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À La Une - Lecture

Altérité et problèmes identitaires dans les pays du Golfe

Lumière sur le dernier ouvrage couronné par l’Arabic Book Prize, « Sak el-Bambou »* (Tronc de bambou), du jeune Koweïtien Saoud al-Sanoussi. Défense de l’altérité et des problèmes identitaires dans les pays du Golfe. Appel à une humanité... plus humaine.

Saoud al-Sanoussi fait une analyse adroite, ambitieuse du clash des cultures et des conflits sociétaux.

Un pavé tolstoïen ou balzacien que ce roman fleuve aux dialogues drus et au verbe tendre, mais sans sensiblerie. Ni lyrisme à l’orientale. Tronc de bambou (396 pages – Arab Scientific Publishers, Inc) de l’écrivain Saoud al-Sanoussi, trente-deux ans, à la bouille sympathique de jeune homme parfaitement dans le vent, au regard vif, aux cheveux d’ébène et au sourire ravageur, a quelque chose de détonnant dans le firmament des lettres arabes. Notamment pour les riches pays du Golfe. Autocritique et besoin de transparence. À travers une langue arabe simple, voilà une analyse adroite, ambitieuse et téméraire du clash des cultures et des conflits sociétaux.
Un récit banal qu’on croise et perçoit peut-être en roulant dans une voiture rutilante et climatisée quand la chaleur écrasante broie des ouvriers asiatiques sur un chantier dans la fournaise de midi... C’est à peu près la vision à propos des damnés de la terre qui viennent trouver de l’espoir et une certaine fortune (chacun à sa dimension !) dans des pays émergents qu’ils prennent facilement pour le Pérou.


C’est un peu cela ce livre, en transposant le cadre de la narration dans un synopsis où les sentiments ont quelque chose d’interdit, de damné. Mais tout aussi misérabilistes que des travailleurs sous le soleil de midi à plus de 50 degrés.
Joséphine, séduisante Philippine de dix-huit printemps, abandonne sa vie d’étudiante et vient travailler au sein d’une famille nantie, dans l’une des plus riches monarchies des Émirats. Scénario attendu quand le fils de la famille, Rashed, en tombe amoureux.
Mariage tenu secret pour sauvegarder traditions, rang, différences de culture et de société. Mais est archiconnu aussi le bébé non désiré qui arrive... Rupture des jeunes époux. Le conte à l’eau de rose tourne alors au vinaigre. Et l’enfant, nommé José Mendoza, repart avec sa mère dans son pays d’origine où l’attendent la misère et la renonciation à sa moitié d’identité.
Courageux, telle une branche de bambou (joli symbole du titre de l’ouvrage !), il voudrait repousser là où le destin le plante.


Ce sont ces thèmes de l’émigration, des différences de niveau social, de rejet, de religion, d’éducation, de moyens financiers, d’identité, de rapport à l’autre (professionnel ou affectif) qu’évoque l’auteur, imbu et nourri de grandes valeurs universelles, morales et sociales.


À travers cette fiction tirée du cœur de la réalité, c’est un véritable procès à la société que ces lignes qui n’épargnent rien ni personne, sans agressivité inutile. Un roman qui étale les faits à cartes ouvertes pour une réflexion au service de l’épanouissement, du respect et de l’harmonie humaine.


Rien de nouveau sous le soleil : la liaison d’une domestique et d’un fils du patron n’a rien d’inédit. Mais en parler en pleine lumière, avec une telle franchise, dans le monde arabe encore si discret et pudibond sur son mode de vie, dans un ouvrage qui a été doté de 50 000 dollars, triomphé de 133 romans en lice, reçu l’aval d’un jury où les Arabes plébiscitent le droit à la parole et accueilli d’innombrables « like » sur la Toile, voilà un son de cloche nouveau, différent, édifiant. Une ouverture vengeresse.
Rassurant que le monde, surtout celui des régions désertiques, s’ouvre davantage à la confidence et soit à l’écoute des plaintes et des drames existentiels dans ses frontières. Comme partout d’ailleurs, où nul n’est à l’abri de ces histoires et considérations.


Avec des formules simples et élégantes et des aphorismes qui interpellent (« Dans le pays de ma mère, je ne possède qu’une famille, dans celui de mon père, je possède tout sauf une famille... », ou bien : « La donation sans amour n’a pas de valeur ; prendre sans gratitude n’a pas de goût », ou tout simplement : « Celui qui ne regarde pas derrière lui n’atteindra jamais son propre visage »), dans un arabe fluide et sans fioriture, le jeune auteur koweïtien, pour cette variante des « rêves évanouis », noue avec le courant romanesque moderne.
Lire est alors non seulement moment d’agrément ou d’évasion, mais acte de réflexion et de participation à la formulation d’une société plurielle où l’être a vraiment sa place.


*L’ouvrage est en vente à la librairie al-Bourj.

Un pavé tolstoïen ou balzacien que ce roman fleuve aux dialogues drus et au verbe tendre, mais sans sensiblerie. Ni lyrisme à l’orientale. Tronc de bambou (396 pages – Arab Scientific Publishers, Inc) de l’écrivain Saoud al-Sanoussi, trente-deux ans, à la bouille sympathique de jeune homme parfaitement dans le vent, au regard vif, aux cheveux d’ébène et au sourire ravageur, a...
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