Rechercher
Rechercher

Aveux et désaveux

Crime crapuleux, crime politique ? À quelque catégorie qu’elle appartienne en dernière analyse, l’affaire Pascal Sleiman ne peut qu’alarmer au plus haut point une population déjà en proie à mille frayeurs d’ordre sécuritaire, économique ou même existentiel. L’un de ces cauchemars, et non des moindres, est celui d’un Liban littéralement submergé par des masses de réfugiés et de déplacés : lesquelles, à la longue, finiraient par bouleverser de fond en comble sa très particulière et fort fragile texture pluriconfessionnelle.


Cette même terreur d’une invasion démographique en règle, secondée par une affolante recrudescence de la criminalité, le meurtre de ce responsable régional du parti des Forces libanaises, imputé à des gangsters syriens, ne manque certes pas de l’exacerber, comme en témoignent les inqualifiables agressions dont ont été victimes d’innocents étrangers. Selon les premiers résultats de l’enquête, il s’agirait ainsi d’un banal acte de piratage de voiture qui aurait mal tourné, les malfaiteurs ayant fracassé le crâne du propriétaire qui leur résistait avant de le placer dans le coffre du véhicule, à bord duquel ils ont gagné leur pays. Se voulant rassurant alors que le Liban est devenu une jungle livrée à la loi du plus fort et à l’impunité judiciaire, le ministre de l’Intérieur nous disait hier la chance inouïe qui est la nôtre, puisque cette fois-ci les coupables sont déjà sous les verrous et qu’ils avouent dans le détail leurs tristes exploits ainsi que leurs motivations bassement matérielles…


Entre-temps l’affaire se corsait dangereusement avec un échange public de suspicions à peine voilées et de contre-accusations non moins graves, la polémique ne tardant pas à s’étendre aux réseaux sociaux. Échaudés par une longue série d’assassinats perpétrés dans leurs rangs et ceux de leurs alliés – et qui n’ont jamais connu de suites judiciaires – les FL et les Kataëb ont indirectement mis en cause le Hezbollah ; en attendant les conclusions des investigateurs, ces deux formations continuent d’ailleurs de s’en tenir fermement à la thèse de l’assassinat politique.


Réagissant vivement à ces soupçons, Hassan Nasrallah n’aura fait cependant que jeter de l’huile sur le feu. Car quand il accuse ces partis de rechercher la guerre civile, c’est en réalité le chef d’une milice aussi notoirement puissante et surarmée que le Hezbollah qui agite lui-même, sans trop s’en cacher, le spectre d’un aussi terrible fléau. Et qui, pour faire bonne mesure, invite la chrétienté libanaise à tenir compte du message.


Avec son rapatriement hier s’achevait la cavale posthume infligée par ses assassins à la dépouille de l’infortuné Pascal Sleiman. Par une de ces ironies dont l’actualité peut être capable, son martyre aura coïncidé avec un développement plutôt heureux survenu dans la crise des déplacés syriens. En visite à Beyrouth, le président de Chypre, nous assure-t-on, a enfin compris que le Liban n’est pas acharné à lui exporter ces désespérés, et qu’il fait de son mieux pour enrayer ce vil trafic de pauvre chair humaine. Mieux encore, le gouvernement chypriote œuvrera auprès de ses partenaires de l’Union européenne à une définition plus extensive des zones de Syrie où ces déplacés peuvent retourner en toute sécurité.


Alors, Beyrouth et Nicosie sur la même galère vraiment pour gérer le dossier des boat people ? Voilà qui changerait bien opportunément l’État libanais de sa condition de paria !

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Crime crapuleux, crime politique ? À quelque catégorie qu’elle appartienne en dernière analyse, l’affaire Pascal Sleiman ne peut qu’alarmer au plus haut point une population déjà en proie à mille frayeurs d’ordre sécuritaire, économique ou même existentiel. L’un de ces cauchemars, et non des moindres, est celui d’un Liban littéralement submergé par des masses de réfugiés...