Dans la forme, la mise sur pied du gouvernement de Moustapha Adib bute encore sur le ministère des Finances que le binôme Amal-Hezbollah veut conserver à tout prix. Mais la journée d’hier a démontré que le problème est beaucoup plus profond que cela. Il s’agit d’un règlement de comptes politique sunnito-chiite qui se joue au niveau des tractations gouvernementales.
Dans la nuit de mercredi à jeudi, tout prêtait à croire pourtant que le « gouvernement de mission » attendu sur le double plan local et international verrait le jour incessamment. Une atmosphère positive distillée à la suite d’un entretien entre l’ambassadeur de France Bruno Foucher et Ammar Moussaoui, responsable des relations internationales au Hezbollah, avec la participation par visioconférence de Bernard Émié, chef des renseignements extérieurs français, en charge du dossier libanais. L’occasion pour les trois hommes de tenter d’aplanir l’obstacle du ministère des Finances. Une source proche du parti chiite assure à L’Orient-Le Jour que lors de cette réunion « les Français ont accepté le principe de l’attribution des Finances à la communauté chiite ». La même source fait également savoir que les Français ont approuvé aussi « le principe selon lequel il revient au tandem Amal-Hezbollah de nommer les ministrables chiites ».
Cette entente devait se traduire par une rencontre entre le chef de l’État Michel Aoun et le Premier ministre désigné Moustapha Adib. Certains optimistes s’attendaient même à ce que la formation de la nouvelle équipe soit annoncée à l’issue de cette rencontre. Mais il n’en fut rien. Comme ce fut le cas mercredi, le chef du gouvernement désigné – initialement attendu à Baabda à 11 heures – a reporté sa réunion avec M. Aoun à 17 heures, l’accord définitif autour de la future équipe n’étant toujours pas atteint en dépit des efforts français en direction du tandem chiite.
« Les Français n’ont probablement pas exercé suffisamment de pression pour permettre la naissance du cabinet », commente un proche du Hezbollah contacté par L’OLJ. Mais il accuse aussi les quatre anciens chefs de gouvernement, notamment le leader du Futur Saad Hariri et son collègue Fouad Siniora, d’empêcher la mise sur pied du cabinet « pour la simple raison qu’ils s’opposent à l’attribution des Finances aux chiites ». Ce proche du parti de Hassan Nasrallah se joint ainsi à tous ceux qui accusent les quatre ex-Premiers ministres, Saad Hariri, Fouad Siniora, Nagib Mikati et Tammam Salam, de contrôler l’action de Moustapha Adib. Des reproches que rejette naturellement M. Siniora, assurant que ce ne sont pas les anciens chefs de gouvernement qui forment l’équipe Adib. Mais il déplore le fait de voir « certains tenter de consacrer des coutumes allant à l’encontre de la Constitution », dans une claire allusion à l’insistance des chiites autour du ministère des Finances.
Adib patiente
« C’est à la faveur d’une pression exercée de la part de MM. Hariri et Siniora que le Premier ministre désigné a clairement fait savoir à Ali Hassan Khalil, bras droit de Nabih Berry, et Hussein Khalil, conseiller de Hassan Nasrallah, qu’il restait attaché aux critères qu’il avait déjà définis pour former son équipe », lance ce proche du Hezbollah. Et d’ajouter : « M. Adib a déclaré sans ambages qu’il est déterminé à former une équipe restreinte de spécialistes, qu’il est attaché au principe de la rotation des postes ministériels et voudrait nommer les ministrables. »
Il s’agit là de critères qui vont à l’encontre des exigences du tandem chiite en matière de gouvernement. Le binôme presse pour que le cabinet soit composé de 20 ministres nommés par les partis politiques. Contrairement à M. Adib, il s’oppose catégoriquement à la rotation des postes. Il veut, en outre, conserver le portefeuille des Finances pour assurer le contreseing chiite sur les décrets cosignés par le président de la République (maronite) et le Premier ministre (sunnite).
Le groupe parlementaire du Hezbollah n’a pas tardé à répondre à M. Adib. Dans un communiqué publié à l’issue de sa réunion hebdomadaire, il est revenu à la charge, plaidant pour conserver le ministère des Finances et désigner les ministrables chiites. « Nous refusons que qui ce soit nomme nos ministres à notre place. Et nous refusons que l’on s’oppose à ce que la composante que nous représentons ne dispose pas du ministère des Finances », souligne le groupe, avant de tirer à boulets rouges implicitement sur Saad Hariri. Le Hezbollah s’est ainsi indigné de voir « ceux qui forment le gouvernement dans l’ombre confisquer la représentation de certaines composantes en interdisant au Premier ministre désigné de mener des contacts avec les groupes parlementaires ». Il a dénoncé aussi « les tentatives de certains qui, forts de l’appui extérieur, veulent former un gouvernement qui profiterait à une seule partie ».
Face à cette impasse, le Premier ministre désigné s’est rendu à Baabda pour s’entretenir avec Michel Aoun et se récuser. Mais selon notre correspondante Hoda Chédid, la cellule de crise française chargée du dossier libanais l’aurait poussé à patienter, dans la mesure où son retrait à ce stade serait un véritable saut dans l’inconnu. Pour donner une chance aux contacts en cours, M. Adib a donc annoncé depuis Baabda qu’il s’est entendu avec Michel Aoun pour mener davantage de concertations dans les prochains jours, sans se fixer un délai pour mettre sur pied une équipe ministérielle.
commentaires (24)
Au Liban il n'y a pas de ministrables d'indépendants ! Çà ne peut pas exister , de qui se moque-t-on à part de nous-mêmes ! La seule option seraot le retour à un gouvernement d'union nationale pour contenter tout le nonde, sans vainqueurs ni vaincus , c'est la loi dans cette jungle libanaise . A moins d'un coup d'état opéré par le president lui même et qui installerait une gouvernement de militaires jusqu'à la fin du règne
Chucri Abboud
17 h 44, le 18 septembre 2020