Rechercher
Rechercher

Culture - Disparition

Il s’appelait Shanourh Varenagh Aznavourian...

Il avait écrit pour Juliette Gréco les paroles de « Je hais les dimanches », et c’est un dimanche soir que Charles Aznavour, 94 ans, a quitté la table alors que son répertoire n’était pas encore desservi. Aujourd’hui, ce n’est pas seulement la France qui est orpheline, mais aussi l’Arménie, qui pleure son fils prodigue, et le Liban, dont le chanteur était devenu le grand ami.

Illustration Ivan Debs

Personne d’autre que ce crooner à la voix légèrement éraillée n’aura si bien chanté la jeunesse, l’amour en fuite et le temps qui passe. Et s’il n’a pas nécessairement brillé au cinéma – sauf bien sûr dans le film de François Truffaut Tirez sur le pianiste où il incarnait un musicien –, il était un acteur né. Dès qu’il rentrait en scène, il chantait, mais jouait aussi la comédie en chantant. Et pour cause. Toutes ses chansons étaient des histoires extraites du quotidien : la femme qui commence à ressembler à sa mère et « qui n’a rien pour inspirer l’amour » (Tu t’laisses aller) ; l’amour qui s’enfuit dans Il faut savoir : « Il faut savoir quitter la table lorsque l’amour est desservi, sans s’accrocher, l’air pitoyable, mais partir sans faire de bruit. » Mais aussi l’arrogance de la jeunesse dans Hier encore : « Ignorant le passé, conjuguant au futur, je précédais de moi toute conversation et donnais mon avis que je voulais le bon pour critiquer le monde avec désinvolture », et la mort d’une mère dans La mamma : « On la réchauffe de baisers, on lui remonte ses oreillers. » Toutes ses chansons étaient des scènes de la vie où chacun pouvait se reconnaître, du papa qui accompagne sa fille à l’autel vers l’homme qui la dévêtira de son nom, à L’Homme, oh comme ils disent (abordant le sujet tabou de l’homosexualité, qu’il avait été le seul à mettre en chansons à l’époque). Sur cette scène qu’il a longtemps convoitée et où il était « heureux d’être », il aimait mimer ses chansons, s’enlaçant lui-même comme pour danser ou agitant un mouchoir (en chantant La Bohème), créant à chaque fois des atmosphères nouvelles.


(Lire aussi : Aznavour et le Liban : trois fois vingt ans...)


« Il faut en rire jusqu’au bout »
Shanourh Varenagh Aznavourian, né le 22 mai 1924 à Paris dans un milieu d’immigrés arméniens, d’une mère comédienne et d’un père baryton, s’est toujours vu au haut de l’affiche, et c’est à force de persévérance, de travail acharné, mais aussi de « regard toujours vers l’avant sans faire marche arrière », comme il le disait, qu’il a pu atteindre le Graal. Cet artisan des mots (puisqu’il était l’auteur de la plupart de ses chansons) occupera sa place sur cette affiche soixante-dix ans durant. Même que la prochaine était déjà préparée (était inscrit dessus : « Aznavour en tournée le 8 novembre 2018 »). Cette tournée, il l’avait moult fois repoussée à cause d’une fracture à l’humérus. L’artiste aux 1 400 chansons, dont une quarantaine en langues étrangères (parce qu’il tenait à ce que ses chansons soient traduites dans le pays qui l’accueillait) et aux 180 000 albums vendus, était infatigable. Il aimait les tournées au Japon, aux États Unis, mais aussi au Liban où il était venu de multiples fois (avant et après la guerre), surtout ces dernières années. « Je connais déjà tous les festivals du Liban, disait-il à L’Orient-Le Jour en 2015 : de Baalbeck à Beiteddine, en passant par les scènes du BIEL, de Byblos ou de Deir el-Qalaa, il restait encore Batroun. Maintenant, c’est fait. »

Les Anglo-Saxons, après l’avoir traité d’Az-no-voice à ses débuts, l’avaient honoré en lui offrant une étoile sur le Walk of Fame en 2009. Lui-même pratiquait l’autodérision en avouant qu’il avait été servi côté critiques « puisqu’on m’a traité de laid et de petit, et que j’avais accumulé 12 années de bides ». Le « recordman des bides » n’a pourtant jamais lâché prise. Cette affiche qui le séduisait, il l’obtiendrait.


(Lire aussi : Les chansons "For me...formidables" de Charles Aznavour)


Le môme de Piaf
Il s’était lancé dans la chanson en duo avec Pierre Roche au début des années 1940. En 1946, la rencontre avec Charles Trenet et Édith Piaf est décisive. Sarcastique, la Môme le surnomme « le génie con » et le force à se refaire le nez. Il restera huit ans dans son ombre et sera son homme à tout faire. Il lui écrira entre autres Plus bleu que le bleu de tes yeux et Je hais les dimanches, qu’elle refusera mais que Juliette Gréco adoptera. Cependant, il n’a aucun succès comme interprète. Il devra attendre 1956 et son premier passage à l’Olympia pour connaître son grand succès intitulé Sur ma vie. Quatre ans plus tard, il accède définitivement au statut de « star » de la chanson française avec son titre, Je m’voyais déjà. Il enchaîne alors toute une série de tubes qui deviennent aussitôt des standards que tout le monde fredonne. Il faut savoir, La mamma, La Bohème, Et pourtant ! Que c’est triste Venise ou Désormais. Charles Aznavour rentre dans la maison des jeunes et des adultes. Il sera à jamais indétrônable. Les années 70 sont aussi fastes, avec des titres comme Mourir d’aimer, Les plaisirs démodés, Idiote je t’aime, Comme ils disent, Nous irons à Vérone ou encore Mes emmerdes. C’est alors que commencent les tournées internationales, et le chanteur se produit dans les salles les plus prestigieuses. En 1988, lorsque l’Arménie est victime d’un terrible tremblement de terre, il n’est pas sourd à l’appel du pays de ses ancêtres. Il écrit alors Pour toi Arménie, qui l’aide à soulever des fonds en faveur des milliers de sinistrés. Il sera nommé en 2009 ambassadeur d’Arménie en Suisse.

Durant sa longue carrière d’auteur-interprète, le cinéma le sollicite. Il jouera dans une dizaine de films, notamment Un taxi pour Tobrouk (La Patellière), Le passage du Rhin (Cayatte), Les lions sont lâchés (Verneuil), ou Le tambour (Schlöndorff). Il tient même le rôle principal dans Ararat d’Atom Egoyan, en 2002, et écrira quelques scénarios, mais c’est toujours – et jusqu’à la fin – que la scène l’attire. Si sa carrière a été lente à démarrer, elle sera toujours axée toujours plus haut, sans jamais de chutes. Car ce crooner au verbe éloquent et à l’écriture trempée dans le réel saura en toute générosité passer le relais en écrivant des chansons, notamment à Johnny Hallyday Retiens la nuit ou à Sylvie Vartan La plus belle pour aller danser. Il y a quelques années (de 2012 à 2015 ) il présentait en collaboration avec Virginie Guilhaume une émission à la télévision intitulée Hier encore où plusieurs chanteurs et chanteuses interprétaient des tubes de Ferré, Ferrat ou Brassens.... Ces chansons étaient émaillées d’anecdotes et de souvenirs d’Aznavour qui avait côtoyé ces grands. Ce dernier des Mohicans s’en est allé suivre ses pairs. « J’ai fait une carrière inespérée mais exemplaire, avait-il déclaré un jour à l’AFP. Je n’ai pas vu le temps passer. » Marié à Ulla Thorsell depuis 1967, Charles Aznavour avait six enfants. Dans une interview récente et parlant de la mort, il avait avoué qu’il mourrait sûrement avec sa famille autour de lui, un livre à la main, mais avec beaucoup d’humour.


Trois regrets
Lors de son passage en août 1999, où il devait se produire à Baalbeck, il avait, au cours d’une entrevue, confié à notre collègue Zéna Zalzal qu’il n’était pas un nostalgique, mais qu’il avait eu quand même trois regrets dans sa vie : « Je devais jouer avec Fernandel dans Marius de Pagnol, faire Carmen avec Mario del Monaco et tourner Polichinelle avec Roberto Rossellini. Ces trois projets n’ont pas eu lieu parce que les personnes en question ont disparu avant que le travail ne prenne forme. »

Lors d’un passage au Liban, en 2015, il avait accueilli L’OLJ pour un entretien exclusif. La star, modeste malgré sa longue carrière, expliquait cette longévité par le travail acharné. « Il n’y a pas de secret, avait-il dit. Travailler, toujours travailler. » Soulevant le sujet du génocide, il avait encore avoué que sa mère lui avait appris à aimer les Turcs. C’est au gouvernement d’Ankara, pas au peuple turc, de reconnaître le génocide ». Et parlant de sa nationalité, il disait encore : « Ma langue, c’est le français, ma terre, la France ; l’Arménie, c’est la terre de mes ancêtres. Je suis ainsi un café-crème. »


Voir notre vidéo publiée en juillet 2015 à l'occasion de la visite de Charles Aznavour à Beyrouth :


Pour mémoire

Charles Aznavour à « L’Orient-Le Jour » : Qui je suis ? Un café-crème

Pour Aznavour, une étoile hollywoodienne et des concombres libanais

Personne d’autre que ce crooner à la voix légèrement éraillée n’aura si bien chanté la jeunesse, l’amour en fuite et le temps qui passe. Et s’il n’a pas nécessairement brillé au cinéma – sauf bien sûr dans le film de François Truffaut Tirez sur le pianiste où il incarnait un musicien –, il était un acteur né. Dès qu’il rentrait en scène, il chantait, mais jouait...

commentaires (4)

Pour Aznavour(ian) nous portons tous des noms se terminant par IAN . JABERIAN ÇA ME VA . IAN ET NON I(R)AN. LOL....

FRIK-A-FRAK

13 h 25, le 02 octobre 2018

Tous les commentaires

Commentaires (4)

  • Pour Aznavour(ian) nous portons tous des noms se terminant par IAN . JABERIAN ÇA ME VA . IAN ET NON I(R)AN. LOL....

    FRIK-A-FRAK

    13 h 25, le 02 octobre 2018

  • son vrai nom est SHAHNOUR VAGHINAG AZNAVOURIAN et merci pour cet impressionant texte .

    Andrea Zeitounian

    10 h 59, le 02 octobre 2018

  • Je ne connais pas bien sa musique mais c'est un personnage interessant, "né le 22 mai 1924 à Paris" mais d'apres Wikipedia de parents père de Akhaltsikh en Géorgie (de nos jours) et de mère de Izmir, traditionnellement Smyrne, en Turquie aujourd'hui, la ville est turque depuis 1922 (traité de Lausanne) c.a.d. 2 ans avant sa naissance. C'est l'époque d'un grand nombre de "réfugiés" ou immigrés en Europe comme à Paris dans ce cas. L'article de l'OLJ connait peut-être mieux les faits car je ne lis que sur wikipedia mais c'est intéressant de voir le moyen-orient complexe le dernier siècle en 1922 comme maintenant en 2018 ...

    Stes David

    10 h 28, le 02 octobre 2018

  • Il n'a cessé de nous surprendre et même sa mort se fût plutôt une naissance... À l'échelle planétaire. Chapeau bas Maestro Charles Aznavour le plus grand et plus humbles des maîtres.

    Sarkis Serge Tateossian

    01 h 44, le 02 octobre 2018

Retour en haut