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Liban - Portrait

Georges Sabbagh, la mémoire d’une époque pétrolière méconnue

À plus de 80 ans et après de nombreuses années passées dans le secteur privé, Georges Sabbagh a reçu récemment les honneurs au ministère de l’Énergie pour une période antérieure de sa vie : celle où il avait participé aux recherches sur le pétrole dans les années 50 et 60.

Georges Sabbagh, dans sa demeure de Annaya, se souvient de l’époque où il avait été repéré pour ses talents de dessinateur.

C’est un retraité affable qui nous reçoit dans sa demeure d’été à Annaya, avec vue sur la vallée. Tout au long de l’entretien transparaît une humilité évidente chez un homme qui peut être qualifié aujourd’hui de mémoire de toute une époque peu connue de ses concitoyens.
À la fin des années 40, c’est le talent de dessinateur de Georges Sabbagh qui lui a valu d’être découvert par un homme qui devait jouer un rôle central dans sa vie, Johann Haas de la Compagnie libanaise de pétrole (CLP) – une compagnie française avec certains actionnaires libanais. «J’étais encore élève et je prenais des cours de dessin technique et artistique, se souvient-il. La compagnie avait ouvert une branche dans la Békaa. La coïncidence a voulu qu’elle s’installe dans une maison en face de la nôtre (nous sommes originaires de Chtaura). Haas m’a surpris un jour en train de dessiner et a trouvé mon dessin très bon et propre, selon ses termes.»
Sabbagh était alors proche de la vingtaine. Autour de lui, on était ignorant du potentiel du Liban en pétrole. «Personne n’était conscient que des compagnies envisageaient le forage de pétrole sur le territoire libanais, on pensait, en les voyant travailler, qu’elles étaient à la recherche de vestiges archéologiques ou d’or, dit-il. Ce n’est qu’en 1953-1954, quand la CLP devait commencer le forage proprement dit, que le président (de la République d’alors) Camille Chamoun était venu inaugurer un de ces projets. C’est là que la population s’est aperçue de la possibilité de trouver du pétrole ou du gaz dans le sous-sol libanais, ce qui a provoqué, en ce temps-là, une véritable euphorie.»

 

Des études de terrain « à la main »
Sabbagh commence donc très vite à travailler avec Haas. « En 1948 et 1949, j’ai consacré toutes mes vacances d’été à la compagnie, dit-il. En 1950, j’avais déjà décroché mon diplôme technique et Haas m’a engagé. La compagnie me payait beaucoup mieux que le bureau d’architecture local pour lequel j’avais travaillé plus tôt ! »
Et les avantages n’étaient pas que matériels, le jeune homme a été initié à un véritable métier. « C’est là que j’ai appris de quoi était constituée une carte topographique, même avant d’avoir commencé des études géologiques, souligne-t-il. En ce temps-là, il n’y avait pas encore la technologie des images satellite, tout se faisait sur le terrain et à la main. C’est ainsi que les experts de l’époque étudiaient les formations de terrain, les failles, les fossiles, toutes les caractéristiques du sous-sol. Haas m’a appris toutes les prouesses techniques des cartes topographiques que j’exécutais sur du papier millimétré, dès les premiers jours de travail. Je l’accompagnais dans les sorties sur le terrain, et bientôt le métier n’avait plus de secret pour moi. »
Quelle était l’importance de ce travail ? « Nous étions en mesure de découvrir ce qui se cachait dans les couches géologiques, répond-il. Nous faisions les relevés des strates (âge, inclinaison...), pour voir si des structures s’y trouvaient, car c’est ce genre de structures qui peuvent renfermer du pétrole. En d’autres termes, les équipes faisaient une extrapolation sur ce qu’il y avait sous terre pour savoir où diriger le forage. C’est ainsi que la compagnie a estimé dans quelles zones le pétrole pouvait se trouver. »
Sur quelles régions concentraient-ils leurs recherches ? « L’autorisation de forage portait sur plusieurs zones (blocs), des carrés de cinq kilomètres carrés, explique-t-il. En ce temps-là, la CLP était la seule à œuvrer sur de tels projets, mais avant elle, certains avaient tenté de creuser le sol, sans succès, comme la Iraq Petroleum Company (IPC). La CLP avait foré à Sohmor et Yohmor ainsi que dans la Békaa. D’autres compagnies ont suivi. »

Le succès n’était pas au rendez-vous
Pourquoi aucune de ces tentatives n’a-t-elle abouti ? « Aujourd’hui, je comprends mieux les raisons de l’échec, grâce aux recherches ultérieures de Ziad Beydoun (chercheur et professeur à l’AUB) sur la Syrie, qui est assez proche pour pouvoir nous éclairer sur le cas du Liban, reconnaît Sabbagh. Dans ce pays-là, ils ont découvert, dans les années 70, de grandes quantités et ont pu vendre leur production. Beydoun a exploré tous leurs puits, et il communiquait les résultats au Liban, mais personne n’y avait prêté attention. »
Se souvient-il d’un sentiment d’échec ? « Au niveau des autorités, personne n’y accordait de l’importance, dit-il. Les actionnaires, eux, ont perdu leurs investissements. En tant que chercheurs sur le terrain, notre espoir a été déçu. Bien plus tard, nous avons compris que notre connaissances des structures au Liban n’étaient pas suffisantes. Selon Beydoun, la couche la plus superficielle, le jurassique, devait être dépassée. Le forage n’était tout simplement pas assez profond. Et les sociétés n’étaient peut-être pas assez professionnelles. L’une d’elles a creusé dans le village Kaa : je ne sais sur quoi elle comptait pour penser qu’il y avait du pétrole là-bas ! »

Une bourse inespérée
Cela n’a pas empêché le jeune Georges Sabbagh d’utiliser cette expérience pour progresser à un niveau personnel. Avec le temps, il était devenu l’assistant de Haas. Ce dernier avait décidé de lui fournir des ouvrages lui permettant de se spécialiser dans la géologie.
« Quand la CLP a fermé ses portes, j’ai été recruté par un bureau d’études géologiques, poursuit-il. En 1958, un ingénieur de mines français appelé René Berger est venu au Liban de la part des Nations unies pour explorer les possibilités de forage dans ce pays. Il voulait rencontrer des géologues. Au ministère de l’Énergie, où il n’y avait aucun document de référence, on l’a dirigé vers le bureau de Haas (toujours ouvert à Beyrouth) pour profiter des cartes géologiques qui s’y trouvent. On m’a recommandé à lui, je l’ai guidé à titre de collègue. Je l’ai accompagné sur le terrain dans tout le Liban. Il est reparti, impressionné par mon travail de géologue, malgré mon simple diplôme technique. »
Berger est alors à l’origine d’une bourse d’études qui a été accordée à Sabbagh en France, venant de l’Association des techniciens étrangers en France, une institution publique. « J’ai choisi de poursuivre mes études à l’Université de Grenoble, parce qu’elle était connue pour la géologie appliquée, notamment la géologie des barrages, explique-t-il. J’y suis resté six ans. J’ai pris dans mes bagages un grand nombre de cartes topographiques du Liban. »
Qu’est-ce que le diplôme a changé dans sa vie ? « J’ai fait ma thèse de doctorat sur les gisements au Liban, dit-il. Je faisais toutes mes recherches sur le Liban, mais les autorités n’y ont pas prêté attention. Entre-temps, j’avais appris l’allemand. J’ai décroché une bourse de recherche postdoctorale pour l’Allemagne. »

 « L’hommage, une reconnaissance »
Aujourd’hui, Georges Sabbagh se souvient de Haas comme d’un « personnage central » dans sa vie. « Il était à l’origine de tout ce qui s’est passé dans mon existence, souligne-t-il, ému. Je n’oublie pas non plus René Berger qui a insisté pour que je termine mes études. Le hasard a joué un grand rôle dans ma vie, c’est vrai. En Allemagne, j’ai rencontré des chercheurs vraiment impressionnants. On m’avait proposé un poste, après une conférence que j’avais donnée sur la géologie du Liban. Mais je suis rentré à la mort de mon père, et je suis resté au Liban, fondant une famille et travaillant dans le privé. »
Il est cependant évident que Georges Sabbagh garde une certaine nostalgie envers cette période de sa vie. Qu’a représenté pour lui l’hommage qui lui a été rendu dernièrement au ministère ? « J’ai été très touché parce que, jusque-là, je sentais que personne n’avait prêté attention à mon travail », dit-il.

C’est un retraité affable qui nous reçoit dans sa demeure d’été à Annaya, avec vue sur la vallée. Tout au long de l’entretien transparaît une humilité évidente chez un homme qui peut être qualifié aujourd’hui de mémoire de toute une époque peu connue de ses concitoyens. À la fin des années 40, c’est le talent de dessinateur de Georges Sabbagh qui lui a valu d’être...
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