Nous. Deux consonnes, deux voyelles : il y a là de la symétrie, de l’équilibre, quelque chose d’un peu pantouflard, souvent, mais de férocement rassurant. Nous, selon n’importe quel dictionnaire, est un pronom qui peut être utilisé comme sujet : nous sommes un peuple tellement mou (par exemple...) ; comme complément : nous nous complaisons dans la médiocrité (par exemple...), ou comme pronom tonique : nous, nous nivelons par le bas, mais les autres, ils aspirent à l’excellence (par exemple, toujours...). Nous, à ne pas confondre avec cet insupportable on qui dit tout et rien à la fois, est terriblement polymorphe et caméléon, joliment schizophrène : il peut être beau ou laid, froid ou chaud, rachitique ou herculéen, désespéré ou sautillant, aux hormones ou bio, grand ou petit, amoureux ou acariâtre, soupe au chou ou foie gras aux myrtilles, peu importe, nous est, peut et fait effectivement tout.
Au Liban, ce nous n’est rien. Surtout lorsqu’il s’agit du nous Libanais. Ce concept est soit furieusement désuet, soit de la science-fiction pure. Ce nous est rongé jusqu’au-dedans par un conglomérat plus ou moins important, plus ou moins volumineux, de je (beaucoup), de tu (très rarement) et d’ils (un peu trop). Des agrégats, des associations pâteuses, décousues, concentriques et stériles : au Liban, il n’y a pas (il n’y aura plus ? ) de nous Libanais regardons dans la même direction ; de nous Libanais avons la même vision, la même conception de et pour notre pays ; de nous Libanais envisageons le même et brillant avenir pour les générations futures, ou de nous Libanais partageons les mêmes valeurs (il n’y a qu’à voir la suprématie de tels ou tels étendards sur le drapeau national pour commencer à comprendre...) ou de nous Libanais, nous nous battons contre le(s) même(s) ennemi(s).
Ici, c’est mille et un nous. Nous 14 Mars, nous 8 Mars, nous centristes, nous courant du Futur, nous FL, nous Kataëb, nous Hezbollah, nous CPL, nous Amal, nous PSP, nous mikatistes, nous sleimaniens, nous musulmans, nous chrétiens, nous sunnites, nous chiites, nous maronites, nous grecs-orthodoxes, nous antisaoudiens, nous anti-iraniens, nous pro-américains, nous prorusses, nous anglophones, nous francophones, nous arabophones, nous pro-Barça, nous pro-OM, nous pro-Juve, nous etc. Même cet indispensable, ce vital pluralisme a fini par être dissous dans l’acide des sectes, au sens littéral du terme, ces ghettos, ces clans, ces gangs puants et (r)enfermés dans leurs convictions, dans leurs certitudes et dans leurs solitudes qui ont fini de dynamiter ce qui faisait l’überrichesse du Liban : ses tribus, au sens le plus noble du terme, comme Morton Fried les disséquait, et qui partagent le même cordon ombilical : la convivialité. Pas la coexistence : la convivialité.
Ici et maintenant, ce nous est amorphe, catatonique, désenchanté. Et atrocement résigné. L’électricité est une chimère ? Nous achète ou loue des générateurs. Il n’y a plus d’eau ? Nous achète des citernes. Plus d’essence? Nous reste chez lui ou se transforme en Al Capone. Les forces de l’ordre ont peur des milices ? Nous plonge dans l’antiétatique le plus vampire : l’autosécurité. Les politiques d’éducation et de santé sont d’une nullité absolue ? Nous se saigne aux quatre veines pour un minimum de décence. L’exécutif, le législatif et le judiciaire sont gangrénés jusqu’à la moelle ou exsangues ou laissés vides ? Nous s’organise péniblement comme des survivants d’un crash en pleine cordillère des Andes. Nous ne proteste plus, nous ne conteste plus, nous ne revendique plus, nous n’exige plus, nous accepte et subit la déliquescence avant noyade finale de l’État. Nous y participe même, certes involontairement, et c’est d’ailleurs un peu (beaucoup...) à cause de nous que le Hezbollah a pu devenir cette milice tentaculaire qu’il est aujourd’hui et que ce sont les pétainistes du CPL qui veulent, à chaque fois, cela en devient très lassant, imposer leur(s) loi(s) : la seule différence entre un Gebran Bassil et un Charbel Nahas, c’est que le deuxième avait, au moins, maigre consolation, un bagage intellectuel, de la culture...
Pendant ce temps, nous regarde les autres, les eux arabes se battre, mourir pour pouvoir (re)vivre, acter, exiger, imposer, etc., en se demandant si pour entrevoir un tout petit coin de bout de tunnel, il faut attendre le prochain assassinat à la tonne de TNT. Pendant ce temps, aussi, monstrueux et beau paradoxe, nous plonge la tête la première dans la méthode Coué et lit et relit une information rapportée par l’agence Reuters qui place le Liban troisième sur les dix meilleurs pays du globe pour passer les vacances de Pâques, derrière l’Argentine et la Grèce (!), mais devant la Suède, la France, l’Espagne ou le Canada...
Nous se console comme il peut, pas comme il veut, dans un assourdissant je ne veux pas voir / je ne veux pas entendre / je ne veux pas parler.
Grand bien nous fasse.
commentaires (7)
Le "NOUS vrais Libanais", que je dis à Antoine-Serge, certes englobe tous les vrais Libanais, du LEBNAN OU BASS, pas de prétention du tout. Tous ceux qui croient au "LEBNAN OU BASS", donc vrais Libanais, en font partie intégrale.
SAKR LEBNAN
11 h 07, le 01 avril 2012