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Liban

« L’Orient d’Édouard Saab », un ouvrage reflétant la triple mission du journaliste

La couverture de l'ouvrage.

Dans la foulée des nombreux ouvrages de haute qualité qui ornent les multiples stands du Salon du livre francophone, le livre de Matthieu Saab, L’Orient d’Édouard Saab (éditions Riveneuve), consacré à un recueil d’articles fondamentaux de l’ancien rédacteur en chef du Jour puis de L’Orient-Le Jour, mérite le détour, et mérite, surtout, qu’on lui consacre un long temps de lecture. Édouard Saab avait été tué le 16 mai 1976 par un franc-tireur non loin de l’immeuble Olivetti après avoir traversé ce qui était alors la périlleuse voie de passage du Musée. 


Édouard Saab faisait partie de cette catégorie de journalistes qui se font de plus en plus rares dans notre époque contemporaine. Un journaliste que l’on désignerait aujourd’hui sous le label de « journaliste de terrain » qui perçoit et conçoit sa profession, ou plutôt sa mission, sous l’angle du journalisme d’investigation. Également correspondant du Monde, parallèlement à ses responsabilités à la tête de l’équipe rédactionnelle de L’Orient-Le Jour, Édouard Saab savait concilier les deux piliers complémentaires de la profession, l’information factuelle et l’éclairage. Ou, en d’autres termes, le savoir – qui consiste à rapporter les faits tels qu’ils se présentent concrètement – et le comprendre – qui revient à expliquer l’événement dans toute sa dimension, bien au-delà du factuel. 


Cette démarche intellectuelle et professionnelle était alors d’autant plus vitale qu’elle intervenait à une époque – celle d’Édouard Saab, celle de l’âge d’or de la presse écrite – où le paysage médiatique était dépourvu des actuels supports modernes, tels que les chaînes de télévision satellitaires, l’Internet, les réseaux sociaux, etc. En un mot, la couverture de l’actualité quasiment en temps réel. 


C’est ainsi dans ce contexte de l’époque (les années 1960 et 1970), marqué donc par l’absence des moyens de communication sophistiqués et rapides, qu’Édouard Saab s’employait à informer (dans toute l’acception du terme) et expliquer, d’une manière concomitante, l’événement, aussi bien dans ses correspondances au quotidien Le Monde que dans ses éditoriaux publiés dans Le Jour, puis dans L’Orient-Le Jour. Si bien qu’un choix judicieux de ses articles permet d’avoir, avec le recul, une lecture lucide et critique des principales phases qui ont marqué l’histoire du Liban et de la région durant les années 60 et 70 du siècle dernier. C’est à cette tâche que s’est attelé Matthieu Saab, fils de notre ancien réacteur en chef, qui a parcouru avec attention près de 2 000 articles pour effectuer une sélection de 64 éditoriaux et correspondances qui reflètent le mieux l’actualité de l’époque.  


L’intérêt de l’ouvrage réside dans le fait qu’il couvre précisément une période trouble et particulièrement riche en bouleversements dans cette partie du monde. À travers ces articles, le lecteur peut ainsi suivre l’évolution et les fondements de la montée du nassérisme au cours de la décennie des années 60, parallèlement à la cascade de coups d’État militaires et de soubresauts violents dont la scène syrienne a été le théâtre durant cette même période et qui ont pavé la voie à l’implantation du parti Baas sur les bords du Barada. L’irrésistible ascension du ministre syrien de la Défense de l’époque, le général Hafez el-Assad, et ses farouches manœuvres et manigances en vue de la conquête progressive du pouvoir central, avec en filigrane la marginalisation systématique des forces vives sunnites et le grignotage des postes-clés par les officiers et cadres de la communauté alaouite, sont également mises en relief et expliquées en toute transparence dans nombre d’éditoriaux et de correspondances. Il est notamment question, dans l’édition du Jour datée du 5 mars 1969, soit quelques mois avant la conquête du pouvoir par Hafez el-Assad, d’un net sentiment d’amertume de certains milieux sunnites syriens qui accusaient le régime baassiste en place d’avoir préféré, sous la houlette du ministre de la Défense Hafez el-Assad, abandonner le Golan et Kuneitra à l’ennemi israélien plutôt que d’engager l’armée – encadrée par les alaouites – dans la bataille et dégarnir ainsi la capitale des unités chargées de protéger le parti au pouvoir. 


Les éditoriaux d’Édouard Saab, tels que sélectionnés dans l’ouvrage, relatent en outre le climat qui a conduit progressivement au déclenchement de la guerre libanaise du fait des débordements et de la politique hégémonique dont se sont rendues coupables les organisations palestiniennes sur la scène libanaise et qui étaient dénoncés sans ambages par Édouard Saab. Dans un éditorial publié dans l’édition du Jour du 10 juin 1969 sous le titre « Si Abou Ammar savait », Édouard Saab dénonçait en des termes virulents la politique systématique de déstabilisation et de torpillage des institutions de l’État libanais qui étaient pratiquée au Liban, notamment par certains milieux locaux, sous le couvert de la défense de la cause palestinienne. Édouard Saab interpellait ainsi ouvertement dans cet éditorial le leader de l’OLP, Yasser Arafat, l’invitant à « venir assister au Liban à tous ces crimes perpétrés, sciemment ou non, au nom de la Palestine ». 


Aux deux premiers volets précités de la mission du journaliste – informer et expliquer – Édouard Saab ajoutait ainsi une troisième dimension, complémentaire aux deux premières, et incontournable : le journalisme de combat. Un journalisme de combat qui reflétait un engagement en faveur d’un Liban souverain et indépendant, un Liban fondé sur les valeurs, les principes et les spécificités libanaises – et libanistes – défendus sans relâche, au fil des ans, par L’Orient, Le Jour, puis L’Orient-Le Jour. En clair, les éditoriaux d’Édouard Saab, tels que mis en relief dans l’ouvrage de Matthieu Saab, reflétaient, surtout à partir de la fin des années 60, la conception d’un journalisme clairement engagé mais sans pour autant être partisan.

 

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