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Liban - En toute liberté

La démocratie détournée

La démocratie au Liban a été détournée. Nous en sommes sortis, et le système se rigidifie à vive allure. Nous en sortions petit à petit, certes, depuis des mois, voire des années, mais le coup d’accélérateur fatal fut le vote de prorogation du mandat de la Chambre en juin dernier. Passible d’un recours en annulation, qui a été torpillé par un défaut de quorum : l’absence volontaire de trois des dix membres du Conseil constitutionnel. On a parlé d’un défaut de quorum. C’est faux. Il n’y a pas eu défaut de quorum, mais torpillage, à deux reprises, du quorum. En droit constitutionnel, cette supercherie a un nom : abus de minorité. C’est comme ça que l’avis de trois personnes a prévalu sur celui de sept autres, et que la loi de prorogation du mandat de la Chambre a pris force légale. C’est ainsi que la démocratie a été utilisée contre la démocratie. Sans que quiconque réagisse.


C’est exactement ce qui s’est passé en Égypte, où, par les voies démocratiques, des forces antidémocratiques ont commencé à abolir la démocratie qui les avait conduites au pouvoir, ce qui a provoqué un sursaut populaire et a légitimé l’intervention de l’armée. C’est un fait, malgré tous les autres paramètres qui qualifient autrement cette situation complexe. Là aussi, la démocratie a été utilisée contre la démocratie.


Sur le plan interne, nous sommes dans une situation de blocage total, d’immobilité sinueuse préétatique. Les forces politiques antagonistes sont telles que leur résultante est nulle. Allons-nous vers une explosion totale ? C’est improbable, comme l’a relevé avec sa pertinence bouffonne Wi’am Wahhab qui affirme que les forces capables de provoquer l’explosion – le Hezbollah – n’en veulent pas et les forces qui en veulent, le courant du Futur, en sont incapables. Une jolie formule qui manque d’exactitude, puisqu’elle impute perfidemment au courant du Futur les vœux des jihadistes. Non pas que le courant du Futur et avec lui une grande partie des Libanais ne souhaitent pas en finir avec les armes du Hezbollah, qui ont paralysé et ruiné la démocratie, mais ce courant n’a jamais souhaité, comme les jihadistes auxquels il est odieusement assimilé, que le sang coule. Bien au contraire, l’existence d’un courant sunnite modéré, qui, de l’aveu même de cheikh Ahmad el-Assir, a donné son feu vert à l’opération de Abra, après avoir donné ce feu vert par le passé aux opérations de Denniyé et de Nahr el-Bared, est l’une des chances du Liban.


Cette falsification, à laquelle se prêtent hélas des chefs chrétiens ivres de pouvoir, est l’une des facettes du défi que lance aux autres communautés un chiisme politique qui s’essaie là où d’autres ont échoué et qui finira par échouer comme les autres. On évoque déjà, alors que le Hezbollah bat le tambour de la guerre perpétuelle contre Israël et reparle de son élimination, l’écueil insurmontable que représentera, un jour prochain, l’hostilité des habitants du Liban-Sud à une guerre qui détruirait à nouveau leurs villages reconstruits à grands frais par le Qatar.
Les autres facteurs jouant contre une explosion généralisée sont, sur le plan militaire et sécuritaire, la combativité d’une armée qui contrôle toujours le jihadisme sunnite, comme l’a démontré l’éradication militaire du phénomène Ahmad el-Assir, ainsi que la relative exiguïté du territoire libanais et la délimitation assez précise des zones de non-droit, comme par exemple le camp palestinien de Aïn el-Héloué, l’un des repaires des groupes jihadistes, ou le « jurd » de Ersal.


Certains redoutent le phénomène de surpopulation créé par l’afflux des réfugiés syriens. C’est sous-estimer l’élasticité des structures d’accueil matérielles et mentales libanaises et le mercantilisme phénicien. Encore que l’on pourrait assister à une hausse du taux de la criminalité, à une concurrence déloyale sur le plan économique, comme à la multiplication des cas de personnes ou de groupes qui prennent leur justice en main, faute de pouvoir se confier à un État impotent et à une justice borgne. Mais ces phénomènes relèvent plus de la police que de la politique.
Reste enfin le péril réel mais imprévisible d’un Israël « en danger de paix », axiome historique que John Kerry feint d’ignorer.


En somme, et à ce stade de notre évolution politique et sociale, nous sommes un ensemble de communautés capables de résister à ceux qui cherchent à nous dominer, mais incapables d’aller plus loin, d’établir notre propre État, notre propre démocratie. Telle est la tragi-comique situation où se trouve le Liban, qui perd son élite, forcée de s’exiler à la recherche d’un emploi et qui brillera individuellement partout ailleurs que là où l’investissement pour sa formation a été placé.

 

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commentaires (2)

Vous exagérez un peu Monsieur...! les frères musulmans sont de grands libéraux non libéré ... ! mais personne les laisse vraiment s'exprimer , bon ici , la charia ...s'oppose au droit canonique ... en finalité nous constatons que la démocratie est un vieux truc désuet pour pays avancé ...

M.V.

09 h 05, le 13 août 2013

Tous les commentaires

Commentaires (2)

  • Vous exagérez un peu Monsieur...! les frères musulmans sont de grands libéraux non libéré ... ! mais personne les laisse vraiment s'exprimer , bon ici , la charia ...s'oppose au droit canonique ... en finalité nous constatons que la démocratie est un vieux truc désuet pour pays avancé ...

    M.V.

    09 h 05, le 13 août 2013

  • "En somme, et à ce stade de notre évolution, nous sommes un ensemble de communautés capables, (Chacune séparément), de résister à ceux qui cherchent à nous dominer, mais incapables d’aller plus loin, d’établir notre propre État, notre propre démocratie." ! Mais c'est évident cher M. Noun : d'où la nécessité "d'établir" notre "propre" Confédéralisme qui sera lui au moins assurément "démocratique"....

    Antoine-Serge KARAMAOUN

    08 h 32, le 13 août 2013

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