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Liban - Tourisme interne

Bhamdoun tente de revivre malgré les stigmates de la guerre, encore trop apparents

Nostalgique des beaux jours d’antan, Bhamdoun veut croire que les vacanciers seront au rendez-vous cet été. Mais le ramadan tombe en pleine saison d’estivage et la crise régionale sévit.

Bhamdoun la belle, un village d’estivage qui peine à revivre. Photos Anne-Marie EL-HAGE

À mi-chemin entre Beyrouth et Zahlé, sur la route de Damas, Bhamdoun révèle aux automobilistes de passage ses maisons éventrées, par centaines. C’est comme si le temps s’était arrêté dans la petite localité encore déserte en ce début de saison estivale. Les plaies de la guerre sont encore béantes. Les habitants peu nombreux. Les touristes, eux, pas encore au rendez-vous. Pas plus que les estivants.
Le spectacle de désolation dérange. Il tranche avec les quelques maisons superbement restaurées, aux jardins fleuris. Les beaux jours de Bhamdoun semblent loin. Ces jours qui ont vu la présence du général de Gaulle, venu respirer l’air pur de ce village si prisé, du temps du mandat français. L’été, Bhamdoun débordait de vie, elle accueillait les familles beyrouthines de la classe moyenne aisée, chrétiennes d’Achrafieh, sunnites du cœur de Beyrouth, mais aussi juives ou arméniennes. Elle recevait à bras ouverts les Arabes du Golfe qui s’étaient fait construire de luxueuses résidences. Ses 5 400 chambres d’hôtel ne désemplissaient pas. Ses commerces étaient florissants. De même que son économie, basée sur l’écotourisme et la tradition viticole.

Un retour difficile
Ce temps semble révolu. Balayé par la guerre, les massacres, l’exil forcé. Plus de 500 habitants massacrés en 1983 ; 100 % de la population déplacée durant quinze ans : le bilan est lourd. Sur une population de 4 500 électeurs exclusivement chrétiens au sein des deux municipalités de Bhamdoun, al-Mhatta (gare) et al-Dayha (village), moins de 300 familles sont retournées. Les Bhamdouniens ont pardonné. Ils vivent aujourd’hui en bonne entente avec leurs voisins druzes. Ils ne veulent surtout pas réveiller les démons du passé. Mais les blessures mettent du temps à se refermer. Ils ont fait leur vie ailleurs, à Beyrouth ou à l’étranger. Et puis, la vie en montagne coûte cher. Même si Bhamdoun n’est qu’à une vingtaine de kilomètres de Beyrouth.


Mais dans ce village qui culmine à 1 360 mètres d’altitude, l’hiver est rigoureux et les transports peu organisés. Quant aux opportunités de travail, elles sont encore rares. La rue commerçante ne s’active que les trois mois d’été. Les quelques hôtels remis à neuf aussi. Et encore ! À la condition que les touristes arabes y passent l’été. Ce qui n’est pas une évidence, à l’heure où la crise régionale sévit. Sans compter que le mois du ramadan tombe en plein été, cette année encore. Les Beyrouthins, eux, hésitent encore à reprendre leurs vieilles habitudes estivales. Des étés prospères, Bhamdoun en a bien vécu, après la guerre. Mais cela n’a pas suffi à faire tourner la roue économique du village et à lui redonner sa popularité d’antan.


Bhamdoun est pourtant belle. Avec ses maisons de pierre à l’ancienne. Avec ses terrasses revêtues de pierres, minutieusement sculptées à flanc de colline. Avec ses vignes à vin, qui reprennent vie comme autrefois, ses oliviers, symbole de paix, et ses délicieuses figues. Avec son microclimat qui en a longtemps fait un haut lieu de villégiature. Depuis son sommet, Rsayyef Bhamdoun, envahie par les fleurs sauvages et les ronces, la localité veille sur le Liban. Lorsque le ciel est dégagé, les habitants se plient volontiers au jeu d’observation des montagnes avoisinantes, les cèdres du Barouk, le Chouf, Dahr el-Baydar, le mont Sannine, le Metn, le Kesrouan, le caza de Aley. Par temps clair, Manara est même visible à l’œil nu.

 


La vigne et le vin, comme autrefois
Mais alors pourquoi ? Pourquoi Bhamdoun qui a abrité le premier dialogue islamo-chrétien documenté dans les années quarante, et qui héberge deux mosquées, signe d’ouverture et de coexistence, peine-t-elle à revivre ? Pourquoi ses rues sont-elles si vides ? Pourquoi les belles demeures sont-elles encore détruites et abandonnées ? Pourquoi ces panneaux affichés sur la majorité d’entre elles, avec la mention « À vendre » ? Les quelques coups de marteau qui brisent le silence oppressant ne manquent pas d’attirer l’attention. Le chantier de reconstruction d’une église orthodoxe tire à sa fin. Elle avait été complètement détruite, comme les six autres églises du village. Ici ou là, de rares immeubles poussent. Mauvais présage ! Même revêtus de pierre, comme le veut la loi en montagne, ils détonnent. Trop grands, trop hauts, ils écorchent le paysage. Au risque de faire perdre à Bhamdoun son âme villageoise et d’en faire un prolongement de la ville. Mais les puristes veillent. Ils poussent les municipalités à adopter des lois limitant les surfaces constructibles.


« Seuls les plus démunis... et les fous comme moi, sont retournés à Bhamdoun. » C’est ainsi que se présente Naji Boutros, beyrouthin de mère bhamdounienne, retourné s’installer au village de son grand-père avec épouse et enfants, en 2000, pour y réaliser son rêve : acheter des vignobles, replanter des vignes et faire du vin. Après avoir planté les terres familiales et celles de ses proches et amis, ce financier a réussi à faire parler de son vin, Château Belle-Vue. La première cuvée, Renaissance 2003, a été primée à la Foire internationale du vin de Londres.
« Le vignoble fait désormais travailler 20 personnes de manière régulière et de nombreux jeunes saisonniers pour les vendanges », indique M. Boutros. « C’est le premier employeur du village », avoue-t-il fièrement, assurant qu’avec cette activité, Bhamdoun a recouvré son identité perdue de village viticole et de destination d’écotourisme. « Les touristes commencent même à faire leur apparition ; ils apprécient de se promener dans les vignes », observe-t-il. Naji Boutros envisage d’aménager les sentiers d’ânes à leur intention. Il veut faire bouger les choses.
À défaut de reconstruire l’hôtel familial dont il n’est plus rien resté, pas même les pierres, il achète d’abord la maison d’un ressortissant arabe qu’il restaure pour l’habiter, puis de vieilles demeures détruites ou abandonnées qu’il retape, en préservant leur cachet traditionnel. Certaines seront transformées en hôtels, en restaurants ou en maisons d’hôtes. Une façon pour lui de contribuer à la reconstruction de ce village qu’il aime tant, mais aussi de pousser les anciens habitants à revenir s’installer dans leur village. L’initiative ne peut qu’inciter les amateurs de balades à faire le détour pour une journée, un week-end, voire un été.


Mais les choses ne sont pas simples. « Les Bhamdouniens n’ont toujours pas confiance et hésitent à réinvestir dans leur localité », déplore M. Boutros. « Peuvent-ils seulement se réhabituer à la vie de village après avoir vécu plusieurs décennies en ville ? » demande-t-il. Sans compter que les indemnisations qui leur ont été versées par la Caisse des déplacés ont été nettement en deçà de leurs attentes et ne leur ont pas permis de reconstruire leurs maisons. Et pourtant, leur présence est nécessaire pour faire tourner la roue économique.

Une image négative
Pour cet autre habitant de Bhamdoun, Nadim Moujaès, qui participe activement au développement de Bhamdoun Village, au sein du conseil municipal, la guerre de la Montagne (qui a déplacé tous les chrétiens en 1983) « a brisé le noyau dur de la montagne ». « Mes frères et sœurs et moi-même avons tenu à reconstruire la maison familiale. Nous y sommes attachés affectivement. Et puis vivre à Bhamdoun jusqu’à la mort, dans le respect de ses racines, est une obligation familiale. Mais seulement le quart de nos amis d’enfance originaires de Bhamdoun est retourné, déplore-t-il. Le déplacement a duré trop longtemps. Les blessures sont encore profondes. Les gens se sont donc installés ailleurs. » Parmi les explications qu’il avance aussi, le mauvais état de la route de Damas, le nombre élevé de camions et l’absence de transports en commun. Mais avec la réfection de la route de Damas, les choses devraient s’améliorer, espère-t-il. Il n’en reste pas moins que « la vie en montagne est fatigante et coûteuse ».


L’image de Bhamdoun lui colle inexorablement à la peau. « Une image de guerre et d’éloignement », déplore M. Moujaès. Les estivants chrétiens croient à tort que la région est druze et qu’il vaut mieux en rester loin. Ils évitent donc d’y investir. « Nous sommes un village chrétien qui a toujours été un exemple de coexistence, qui héberge deux mosquées depuis plus de cinquante ans et qui entretient d’excellentes relations avec ses voisins druzes », tient-il à rectifier. Mais cette image n’est pas, à elle seule, responsable de la grande frilosité des investisseurs et des vacanciers. La dissolution de la classe moyenne et la crise de confiance généralisée qui résulte de la crise syrienne sont aussi montrées du doigt. « La moindre tension dans le pays se répercute négativement sur les régions mixtes », regrette ce père de famille.


Mais alors, Bhamdoun est-elle condamnée ? « Nous avons besoin d’une longue période de calme et de prospérité pour que les gens reprennent confiance », observe Nadim Moujaès, affirmant que la localité avait commencé à entrevoir le bout du tunnel il y a quelques années. La municipalité s’active donc pour rendre le village plus accueillant. Au menu, éclairage routier, installation de générateurs pour la distribution du courant à prix limité aux habitations, creusement de puits artésiens, aménagement de jardins publics, d’une promenade bordée de cafés et de kiosques et d’attractions culturelles diverses. « Nous avons aussi baissé le facteur d’exploitation afin de protéger le village des constructions trop élevées », affirme-t-il. Cerise sur le gâteau, la municipalité finalise l’installation d’un accès gratuit à l’Internet.

Oubliée de l’État
Même son de cloche au sein de la municipalité de Bhamdoun gare, et de son président, Osta Abou Rjeily. « Qu’ils nous assurent la stabilité locale et régionale, et nous ferons le reste, assure-t-il. L’État n’a même pas daigné regarder la localité de Bhamdoun après la guerre qui lui a été imposée. Nous avons été déplacés pendant 15 ans. Notre village a été détruit. Et pour toute aide au retour, nous avons eu quelques six millions de livres par maison. » M. Abou Rjeily tient à préciser que les Bhamdouniens de la gare ne sont pas de riches propriétaires, mais des gens de la classe moyenne, propriétaires de 30 % des logements environ. La grande majorité des habitations détruites appartient à des étrangers au village, arabes ou libanais, qui venaient y passer l’été. Certains sont morts, laissant plusieurs héritiers. D’autres ont disparu sans laisser de traces. « Nous nous sommes démenés pour que l’État leur impose de reconstruire ou de restaurer leurs maisons. Nous avons tenté de faire adopter une législation qui mette aux enchères les maisons qui n’ont pas été reconstruites. Mais nous n’avons abouti à rien, déplore-t-il. L’État n’a rien fait pour effacer les traces de la guerre, pas plus qu’il n’a encouragé les déplacés à retourner dans leur village. »


Preuve en est, les écoles de Bhamdoun sont presque vides. La peur est toujours là. Dans l’attente, la municipalité fait son devoir. Elle tente de développer l’infrastructure, et d’améliorer les routes, l’éclairage, les jardins publics, les parkings et la rue commerçante, pour accueillir les vacanciers qu’elle espère nombreux, durant les trois mois d’été, malgré le jeûne du ramadan. « Nous sommes prêts à recevoir les vacanciers à bras ouverts dans notre royaume encore tout cassé. Car notre hospitalité est légendaire », assure M. Abou Rjeily. Aussi légendaire que la négligence dont fait montre l’État envers la Montagne et ses déplacés.


Mais comme le note si bien un habitant qui flâne dans le souk encore fermé, aucun touriste n’a envie de venir dans un village déserté de ses habitants.
Bhamdoun Gare et Bhamdoun Village sauront-elles dépasser un différend ancestral, et travailler en chœur pour la renaissance de leur si belle localité ?

 

 

Pour mémoire
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À mi-chemin entre Beyrouth et Zahlé, sur la route de Damas, Bhamdoun révèle aux automobilistes de passage ses maisons éventrées, par centaines. C’est comme si le temps s’était arrêté dans la petite localité encore déserte en ce début de saison estivale. Les plaies de la guerre sont encore béantes. Les habitants peu nombreux. Les touristes, eux, pas encore au rendez-vous. Pas plus...
commentaires (2)

Bhamdoun, Sofar on dirait deux villages fantômes hantés toujours par de mauvais esprits , comme si quelqu’un leur avait jeté un mauvais sort depuis 1970 .Triste . Nazira.A.Sabbagha

Sabbagha A.Nazira

16 h 36, le 19 juin 2013

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Commentaires (2)

  • Bhamdoun, Sofar on dirait deux villages fantômes hantés toujours par de mauvais esprits , comme si quelqu’un leur avait jeté un mauvais sort depuis 1970 .Triste . Nazira.A.Sabbagha

    Sabbagha A.Nazira

    16 h 36, le 19 juin 2013

  • Dommage!! Bhamdoun? Souvenir de jeunesse sans soucis, avec ses cafe (chamat), restaurant (Halim), Arlequin et Extase (fameux pour son chocollat mou)....

    Moubazbaz Isaac

    03 h 29, le 19 juin 2013

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