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Culture - Disparition

Le rideau est définitivement tombé sur Yaacoub Chedraoui

Une grande figure du monde du théâtre libanais et arabe vient de disparaître. À 79 ans, après un dur combat contre la maladie, retiré déjà depuis longtemps des feux de la rampe, Yaacoub Chedraoui a définitivement tiré sa révérence.

Son amour pour le théâtre était passionnel, fusionnel et immodéré. La dernière fois que je l’ai aperçu, amaigri dans son costume gris, mais l’œil toujours vif et brillant, il était venu assister à un remake moderne de Hamlet, défendu par de jeunes acteurs au talent mordant. Et des accessoires de scène technologiques dont il ignorait sans doute l’usage. Et qu’il observait, médusé et fasciné.
De cet enfant qui a eu à se battre pour imposer ses goûts de comédien et d’homme de théâtre dans une société qui considère cet art bien frivole et stérile, fait pour les amuseurs publics, la bataille fut longue et sans merci. Mais non sans vengeresses victoires. Et la société ne lui fit pas de cadeaux, pas plus qu’à son immense talent de metteur en scène. Un metteur en scène subtil et inventif, adroit et habile porteur aux feux de la rampe de magnifiques textes littéraires dont il fut un fervent amoureux.
Du Venezuela à l’Italie, en passant par la Russie pour devenir l’éminent «stanislavskien» qu’il est, inspiré par tous les croisements et embranchements de la culture. Une mise en scène encore absente de la frénésie de la technologie actuelle.
Yaacoub Chedraoui a âprement défendu son rêve et celui du monde des planches. Sans compter une vie traversée par le fracas et les aléas de la guerre. Il appartient, de toute évidence, à cette génération de l’âge d’or du théâtre libanais qui a redoré le blason de la scène locale et arabe. Et on nomme, pour tous ces faiseurs de rêve dont il fait partie intégrante, Roger Assaf, Nidal Achkar, Raymond Gebara, Antoine et Latifé Moultaka, Jalal Khoury...
De retour au pays après les années de formation à l’étranger, les œuvres n’ont pas tardé à pleuvoir. Dans ce chapelet de créations magiques et importantes, on cite volontiers, sous le ciel de Baalbeck au sein d’un festival qui draine un public international, E3rob ma yali (Analyse ce qui suit), avec des textes groupant les noms d’Adonis, Ounsi el-Hage, de Mahmoud Darwiche, Georges Schéhadé, Saadallah Wannous. Mais suivront aussi des œuvres originales et iconoclastes, politiquement et socialement percutantes et virulentes : Saison de la migration vers le Nord de Tayeb Saleh, al-Mouharrej (Le Clown) de Mohammad el-Maghout, Ya iskenderia bahrek ajayeb (Ô Alexandrie, ta mer est miracles) de Oussama Aref.
Il ne s’est pas contenté de productions sortant des sentiers battus et sous le label de l’exploration ou de l’expérimentation scéniques, il a frayé aussi avec des spectacles péplum alliant grandeur historique et musique rahbanienne. À l’époque, le jeune Ghassan Rahbani faisait ses armes sous sa direction chorégraphique avec plus de 60 personnes sous les spots pour un Hannibal au pas martial.

Présence à la jeune génération
On est loin de citer tous les univers que ce metteur en scène d’une finesse extrême a fait vivre. À son actif aussi (et ce n’est pas une nomenclature exhaustive): al-Tartour de Youssef Idriss, Mikhaïl Neaïmé pour une vision de l’anachorète de Baskinta, Lawlal mouhami, Talamizi el-karya, Amir el-Ahmar...
Son rapport avec les acteurs de la nouvelle génération était un vecteur de révélation, d’éclosion et d’affirmation de talents. Pour tout le bonheur du métier et du public. Dans cette palette de comédiennes, peloton riche en scintillements nouveaux, on désigne entre autres Carmen Lebbos, Darina el-jundi, Lina Sayegh...
On ne dira jamais assez combien l’État brille par son absence et se trouve loin des enfants de son pays. Même ceux qui ont contribué à sa gloire et à son rayonnement culturel. On attend toujours de tristes médailles posthumes. Même celles-là ne viennent pas ou tardent à venir... Pour des disparus encore présents dans nos mémoires, tout grands que sont Walid Gholmieh et Boghos Gelalian par exemple, que leur a-t-on fait? Quel honneur précis ou insigne?
Pour Yaacoub Chedraoui, qui s’est littéralement cassé les dents à prendre par les cornes le taureau du monde de l’illusion, la bataille, comme pour tous ses confrères, reste solitaire et «donquichottesque». Ni théâtre subventionné ni aide substantielle aux personnes. C’est l’art de faire le mort.
C’est de fatigue, de lassitude, de solitude, d’absence de main tendue qu’est parti ce grand ami et amant du théâtre. On retiendra à jamais ses belles œuvres, lui qui, avec quatre fois rien, pouvait dévoiler avec quelques acteurs des bribes d’étoffe, quelques notes de musique et des mots volés au Parnasse ou au quotidien, le ciel et l’enfer.
Mais on retient aussi sa modestie, sa sensibilité à fleur de peau, sa générosité de bourse et de sentiment (il se jetait avec exaltation, à corps perdu dans ses projets, défiant tous les dérapages financiers, lui qui était plutôt pour le happy few!), sa noblesse de cœur et de comportement. Car il était avant tout un brillant intellectuel du monde arabe, un vrai gentleman qui ne s’abaisse jamais au compromis.
Le rideau est définitivement tiré. Un profond salut pour un grand artiste...
Son amour pour le théâtre était passionnel, fusionnel et immodéré. La dernière fois que je l’ai aperçu, amaigri dans son costume gris, mais l’œil toujours vif et brillant, il était venu assister à un remake moderne de Hamlet, défendu par de jeunes acteurs au talent mordant. Et des accessoires de scène technologiques dont il ignorait sans doute l’usage. Et qu’il observait,...

commentaires (2)

Europa demeurera malgré tout Symbole d'Avenir !

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

21 h 12, le 29 mai 2013

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Commentaires (2)

  • Europa demeurera malgré tout Symbole d'Avenir !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    21 h 12, le 29 mai 2013

  • Une grande perte pour le theatre libanais et arabe.

    Gerard Avedissian

    12 h 14, le 28 mai 2013

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