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Culture - Déambulations

« X-Apartments », lorsque le théâtre se fait domestique

Dans le cadre de Home Works 6, un véritable « Otni », objet théâtral non identifié à expérimenter plutôt qu’à y assister, dans les rues et les maisons de Khandaq el-Ghamiq et/ou de Bourj Hammoud. C’est « X-Apartments », de Matthias Lilienthal, avec l’aide de Nesrine Khodr et Mohammad Hamdar.

Chez Hassan Dakroub, une boîte et des souvenirs éparpillés...

Les spectateurs curieux, un peu courageux aussi, n’hésiteront pas à s’inscrire pour participer à cette expérience artistique peu commune. Un numéro de téléphone à composer*. La tranche horaire et la date choisies, la coordinatrice au bout du fil précise qu’elle enverra les instructions par e-mail. Ce dernier ne tarde pas à pointer. Rendez-vous au café Matador, rue Béchara el-Khoury, pour le tour de Khandaq el-Ghamiq. À l’heure convenue, un jeune homme propose, sans trop de bla-bla, six feuillets d’instructions, en arabe ou en anglais. Avec, en bas de la feuille, un numéro à composer en cas d’urgence ou de... désorientation totale. La déambulation peut commencer. Conçue comme un jeu de piste, elle fournit des indications « à la libanaise » : suivre le mur vert, après la maison aux volets bleus, près du dattier géant, à droite de la boulangerie, etc.
Première étape, au bout d’une ruelle étroite surnommée « Zaroub el-haramiyyeh », une cour intérieure où un hajj nous raconte l’histoire de son arrivée à Beyrouth, puis de la migration de sa famille, venue du Sud.
Dernière étape : le « furn » de kaak qui se situe prés de l’église évangélique. Là, le réalisateur Marwan Hamdan invite le visiteur à assister à un documentaire relatant l’histoire de la rencontre entre ses parents et la bataille qu’a menée sa mère, chrétienne, pour épouser son père, chiite. Entre ces deux arrêts, et deux heures et demie durant, l’intrigue et la progression sont réalisées par le spectateur lui-même. Il aura signé sa participation à l’occupation de l’Irak (un projet d’une artiste danoise) ; visité le home sweet home de Hassan Dakroub qui fait son mea culpa d’avoir trompé sa femme ; été carrément propulsé dans une maison plongée dans le noir le plus total, écouté des conversations téléphoniques dans une cabine publique et discuté avec le bibliothécaire du coin.
Avec « X-Apartments », Matthias Lilienthal détourne, à l’évidence, les codes et les conventions du théâtre. Il ne s’inspire pas uniquement du quotidien des gens. Il s’y installe carrément. En plein dedans. « Ce projet transporte l’action dramatique de la noirceur artificielle de l’espace théâtral vers l’intérieur des maisons, indique l’artiste. Ces espaces bien protégés où les gens interprètent la plus grande partie de leur vie, leurs conflits, leurs rires, leurs espoirs et déceptions, à l’abri du regard public. »
Le principe est aussi pointu que simple : chaque dix minutes, deux visiteurs s’embarquent dans un tour de trois heures dans un quartier. Huit emplacements. À chaque étape, un appartement a été transformé en scène de théâtre pour une pièce courte, une performance, une pièce musicale ou théâtrale, une danse ou une installation vidéo. Autant d’allusions plus ou moins directes avec les histoires individuelles ou collectives des lieux. Oscillant entre le document et la fiction, cet « Otni » comporte peu de textes. Il y a là une succession de petits moments, sans lien apparent, qui rendent l’attente du spectateur active : à en devenir impatiente parfois, cherchant inlassablement à comprendre où Lilienthal (et ses deux directeurs de productions Nesrine Khodr et Mohammad Hamdar) souhaitait nous emmener. Car il y a un paradoxe saisissant entre l’impossibilité évidente d’établir des liens logiques au fil des séquences et l’impression que tout ce qui se passait était d’une cohérence péremptoire. Mais celui ou celle qui cherche à comprendre, au sens rationnel du terme, risque bien de passer à côté des « spectacles », de ces « performances domestiques » qui traitent du temps qui passe, de la vie, de son passage, de l’échec, de la ville et de ses transformations, de la guerre, des changements démographiques, de la gentrification ou popularisation, et mettent en jeu le détournement de gestes quotidiens ou la répétition d’actions banales. Le domestique n’est pas le lieu du repli sur soi, mais plutôt un théâtre ritualisé où peut se re-créer, dans l’intimité et le minuscule, une socialité malmenée.
De quoi rendre dubitatif plus d’un ! Mais pourquoi avoir choisi Khandaq el-Ghamiq et Bourj Hammoud ? « Bourj Hammoud est située aux fontières est de Beyrouth, elle regroupe une large communauté arménienne. Elle se caractérise par un mélange unique d’urbanisme mêlant l’industrie, le commerce, l’artisanat et les histories d’immigration, indique Lilienthal. Khandaq el-Ghamiq est un héritage architectural très diversifié, avec ses maisons ottomanes, ses petites maisons, ses grands immeubles. Situé entre le centre-ville rénové, la rue Monnot et Basta el-Tahta, Khandaq fait partie de ces lieux qui ont subi une transformation économique et démographique radicale. »
À un moment donné, dans la chambre à coucher d’une des maisons visitées, deux acteurs racontent l’histoire d’un assassinat. Le regard du comédien est pénétrant et renvoie les spectateurs à une question fondamentale : « Que regardez-vous ? Qu’y a-t-il à voir ? »
semble-t-il dire.
La vie, telle qu’on l’observe avec acuité, en dehors des murs de l’édifice théâtral, pourrait-on lui répondre.

*Aujourd’hui, mardi 14 mai, entre 11h30 et 14h30. Et demain mercredi, entre 15h30 et 19h30. L’entrée est gratuite, mais il faut impérativement réserver sa place. Tél. : 70/841580 (entre 12h et 18h).
Les spectateurs curieux, un peu courageux aussi, n’hésiteront pas à s’inscrire pour participer à cette expérience artistique peu commune. Un numéro de téléphone à composer*. La tranche horaire et la date choisies, la coordinatrice au bout du fil précise qu’elle enverra les instructions par e-mail. Ce dernier ne tarde pas à pointer. Rendez-vous au café Matador, rue...

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