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Nos Lecteurs ont la Parole

Communautés régionalisées, unité nationale éclatée

Bahjat RIZK
Sans revenir inutilement, sur la visite officielle du patriarche maronite en France car l’essentiel, de part et d’autre, a déjà été dit, notamment par le principal concerné et je ne peux prétendre, en tant que maronite et que libanais, douter de l’engagement illimité et total du patriarche pour sa communauté et sa patrie, il est toutefois évident que cet incident remet en avant l’ambiguïté structurelle de l’entité libanaise.
Tout d’abord, il est clair que cette visite était éminemment politique puisque l’éminent prélat a été reçu officiellement, par les présidents des principales institutions politiques en France (République, Sénat, Assemblée nationale et gouvernement. Le président Sarkozy l’a reçu sur le perron de l’Élysée et s’est courbé respectueusement en l’accueillant). Cette visite est une tradition pour tout patriarche maronite nouvellement élu, depuis la déclaration par la France du Grand Liban le 1er septembre 1920, à la suite de l’intervention du patriarche Hoayek au Congrès de la paix à Versailles. Le patriarche maronite a rang auprès de l’État français de Premier ministre (cf le communiqué de presse de l’Œuvre d’Orient). Le patriarche maronite avait donc la latitude de se prononcer sur les événements politiques concernant son pays. Toutefois, même si son sacerdoce qui s’étend à Antioche et tout l’Orient l’y autorise (l’Église par ailleurs ayant, comme toute religion, une vocation universelle), le patriarche maronite, en régionalisant son rôle politique, ouvre la voie à toutes les autres communautés libanaises d’agir de même, révélant, si encore besoin est, la fragilité structurelle de l’entité libanaise.
Le Liban est un pays dont il est difficile aujourd’hui encore de définir psychologiquement l’histoire et la géographie (autrement dit le cadre rationnel spatiotemporel) – et cela est dû aux communautés qui le composent et qui toutes ont un prolongement, au-delà de ses frontières. Certes, cette vocation régionale et internationale libanaise est très avantageuse par de multiples aspects mais elle entrave l’émergence d’une véritable entité nationale cohérente. Souvent de pionniers avant-gardistes, d’entrepreneurs et médiateurs individuels, les Libanais se transforment en boucs émissaires et combattants d’arrière-garde. Sans compter les contradictions flagrantes qu’elle engendre.
Entre le Hezbollah, principal courant actuel chiite armé qui veut, à travers le Liban, libérer la Palestine, et pourtant conserve ses armes, pour empêcher l’implantation des réfugiés palestiniens de longue date, au Liban, les courants sunnites répartis entre salafistes archaïques occultes et souverainistes progressistes déclarés, les maronites, qui oscillent depuis la nuit des temps, entre pro-Occident et pro-Orient, avec des changements d’alliances à tour de bras, voltes-faces saisonnières et spectaculaires et une division interne constante qui a fini par entamer leur crédibilité auprès de leurs alliés d’hier, ennemis d’aujourd’hui et vice versa, les druzes menés par un chef qui a érigé le revirement total et imprévisible en système ordonné et dont les déclarations totalement contradictoires relèvent d’une approche quasi ontologique, les byzantins (orthodoxes et catholiques) partagés entre leur nostalgie de l’empire d’antan et leurs peurs actuelles minoritaires... il est pratiquement impossible de s’y retrouver.
De toute manière, il ne s’agit nullement d’émettre un jugement de valeur politique mais de décrire un processus désormais commun à toutes les communautés, qui les fait se ressembler et décrit une fragilité structurelle de l’entité nationale libanaise car elle apparaît comme une association conjoncturelle de communautés à vocation régionale, dans un environnement hostile et conflictuel. En effet, à nos deux frontières, nous avons d’un côté un pays ayant vécu un traumatisme violent (exode de 1948) et deux communautés religieuses et nationales antagonistes et elles-mêmes divisées, qui essaient de se partager par la force, l’espace restreint et la mémoire saturée ;
et de l’autre un pays gouverné depuis plus de 40 ans par une minorité politico-culturelle qui entretient un régime dictatorial ne pouvant survivre avec la mondialisation et une majorité composite qui tente de reprendre le pouvoir, avec le risque qu’à l’instar d’autres pays dont l’ordre a été bouleversé, que la révolution démocratique soit récupérée par une contre-révolution islamique, les paramètres identitaires étant constants mais convertibles (religion, langue, mœurs et race). Toutefois quelle qu’en soit l’issue, nous ne disposons pas dans l’histoire d’exemple d’un pouvoir militaire qui se soit lui-même volontairement réformé. Advenu à la suite d’un coup d’État, il ne peut qu’être renversé car cela s’inscrit dans la logique de sa propre histoire. Seules les monarchies héréditaires autoritaires peuvent parfois se réformer par la violence ou le consentement et se maintenir, car elles assurent à travers leur continuité personnelle et symbolique celle de l’histoire de leurs peuples. Certes, la tâche du patriarche n’était pas aisée et il a voulu probablement attirer l’attention sur les risques réels d’un tel processus même si nous sommes depuis début 2011 dans une phase de confrontation et non plus dans une phase de négociation. On ne négocie plus avec plus de 3 000 civils assassinés sur les bras depuis six mois, date également à laquelle le nouveau patriarche a été élu.
Il me semble que, pour pouvoir se situer à nouveau, les différentes communautés libanaises, tous courants confondus, devraient revenir, si elles le peuvent, à la dimension nationale interne même si cela paraît pratiquement impossible, compte tenu de la composition du Liban et des crises majeures qui secouent son environnement immédiat. Depuis l’avènement du Grand Liban en 1920, le pays du Cèdre est au cœur de la tourmente, et cela à cause de sa composition et de son environnement. L’entité libanaise, si elle doit survivre dans la durée, devrait reposer sur une histoire et une géographie clairement définies et intériorisées et surtout un consensus autour de valeurs de liberté et de dignité qui la fondent. Revendiquer d’être le pays du dialogue des cultures paraît surréaliste, voire pathétique dans le climat de haine et de défiance entre les politiciens libanais.
Comment faire sortir le discours politique de son affectivité délirante et le structurer ?
C’est ce travail sur nous-mêmes qu’il va falloir un jour accomplir en priorité, après presque quatre décennies de guerres de toutes sortes, pour qu’enfin, comme le dit le patriarche lui-même, « la gloire du Liban nous soit collectivement donnée ».

Bahjat RIZK
Sans revenir inutilement, sur la visite officielle du patriarche maronite en France car l’essentiel, de part et d’autre, a déjà été dit, notamment par le principal concerné et je ne peux prétendre, en tant que maronite et que libanais, douter de l’engagement illimité et total du patriarche pour sa communauté et sa patrie, il est toutefois évident que cet incident remet en avant...

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