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Moyen Orient et Monde - Tribune

L’État observateur de Palestine

* Ian Buruma est professeur de démocratie, des droits de l’homme et de journalisme au Bard College, et l’auteur de « Taming the Gods : Religion and Democracy on Three Continents ».

La Palestine n’est plus une « entité », mais un État – ou, pour être précis, un État observateur non membre des Nations unies, tout comme le Saint-Siège. La candidature palestinienne a reçu le soutien de 138 pays membres (l’Allemagne, la Grande-Bretagne et 39 autres pays se sont abstenus), tandis que seulement sept, y compris les îles Marshall, Palau et Panama, ont rejoint les États-Unis et Israël en s’y opposant, laissant ces deux derniers plus isolés que jamais.
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu était furieux : il a traité de menteur le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, et a autorisé la construction de 3 000 nouveaux logements juifs sur les territoires occupés palestiniens. Son ministre des Affaires étrangères, Avigdor Lieberman, avait déjà menacé d’écraser le gouvernement palestinien en Cisjordanie si le vote aux Nations unies devait avoir lieu. Mais Israël ne doit s’en prendre qu’à lui-même pour ce qui est arrivé. M. Abbas et son Premier ministre, Salam Fayyad, ont été plus modérés et plus ouverts à des négociations sérieuses avec Israël que les dirigeants palestiniens précédents. La police palestinienne a coopéré avec les Israéliens pour contenir la violence en Cisjordanie. L’amélioration de l’économie, plutôt que la confrontation violente, a été le souci principal de l’Autorité palestinienne.


Toutefois, en continuant à bâtir des colonies sur les territoires palestiniens, le gouvernement israélien a sapé l’autorité de M. Abbas et le gouvernement du Fateh au point de le rendre presque impuissant. Les Palestiniens sont de plus en plus lassés de l’inutilité de ce qu’on appelle encore le « processus de paix » et croient que le rival féroce du Fateh, le Hamas, le mouvement islamiste qui gouverne la bande de Gaza, a des moyens plus efficaces de sortir de l’impasse actuelle. L’échec des méthodes pacifiques de M. Abbas rend l’alternative de la violence de plus en plus attrayante. Le Hamas a également été vu comme le vainqueur sur le plan moral après le récent conflit militaire, qui n’est sûrement pas le dernier. Loin d’intimider les Palestiniens par le bombardement de Gaza et la mobilisation de troupes, les Israéliens ont donné au Hamas une apparence héroïque dans sa résistance. Une fois de plus, M. Abbas avait l’air faible en comparaison. C’est pourquoi il avait désespérément besoin de sa victoire à l’ONU. La promotion diplomatique de la Palestine représente pour lui une bouée de sauvetage.


Les Israéliens souhaitent-ils vraiment une résurgence de la violence islamiste dans la bande de Gaza, les menaces d’écroulement de la politique paisible en Cisjordanie, et maintenant le droit pour un État palestinien reconnu de citer Israël devant la Cour pénale internationale pour crimes de guerre? Sinon, pourquoi sont-ils si maladroits ? Il semblerait qu’Israël commette la même erreur que d’autres pays par le passé. Il a été prouvé à maintes reprises que l’intimidation militaire des civils ne brise pas leur moral et ne les retourne pas contre leurs dirigeants, aussi terrible que soit le régime. Au contraire, les difficultés communes renforcent généralement les liens entre les citoyens et leurs dirigeants. Il en allait de même dans les villes allemandes bombardées durant la Seconde Guerre mondiale, ainsi qu’au Vietnam, et la même chose est en passe de se produire dans la bande de Gaza.


Cependant, il y a une autre manière d’envisager la situation. Que le gouvernement israélien soit maladroit n’est pas l’essentiel. Israël se fait peu d’illusions sur le fait que les Palestiniens renversent leurs dirigeants. En effet, un renforcement du Hamas pourrait aller dans le sens des Israéliens radicaux actuellement au pouvoir. Ils peuvent évoquer la rhétorique violente, antisioniste, voire même antisémite des islamistes radicaux, et prétendre qu’aucune entente n’est possible avec les Palestiniens. La menace du coup de bâton est la seule langue comprise par les autochtones. Garder les Palestiniens divisés entre les révolutionnaires islamistes et le Fateh, plus orienté vers le monde des affaires, convient admirablement aux buts poursuivis par les Israéliens. Tant que le Fateh garde les choses plus ou moins sous son contrôle en Cisjordanie, et que tout ce que le Hamas peut faire revient à lancer périodiquement des missiles au-dessus de la frontière israélienne ou faire sauter un bus de temps en temps, Israël peut alors facilement continuer de vivre dans le statu quo. Ces Israéliens qui croient qu’une solution à deux États ne peut pas être réalisée se sentent disculpés ; ceux qui ne veulent simplement pas que deux États coexistent sont également bien servis. Donc du point de vue du gouvernement israélien actuel, la bonne stratégie est de garder un gouvernement palestinien faible et sans équilibre institutionnel en Cisjordanie, sans tout à fait l’abattre, et de contenir le Hamas en montrant périodiquement la puissance militaire (tout en détruisant les missiles à longue portée qui peuvent causer de graves dégâts en Israël).


Les politiques israéliennes ne sont pas génocidaires, comme aiment à le soutenir certains commentateurs pas toujours exempts de haine antisémite. De nombreux Palestiniens ont été tués sous la domination israélienne, mais leur nombre n’atteint pas encore le nombre de civils musulmans qui sont torturés, assassinés et mutilés chaque jour par les gouvernements musulmans. Israël est cependant une puissance semi-impériale, qui utilise les méthodes coloniales traditionnelles : gouverner par procuration, diviser les rebelles potentiels, récompenser l’obéissance et punir l’opposition. L’histoire coloniale montre que ce type de puissance est fragile. L’humiliation n’est pas un fondement solide pour la stabilité à long terme. Il arrive un moment où les promesses d’indépendance ne convainquent plus personne. Fomenter la résistance violente en démoralisant ceux qui pourraient encore entendre raison est une invitation à la catastrophe. Les chances d’un règlement pacifique disparaissent. La violence est tout ce qui reste.


C’est une chose que les colonies explosent à l’autre bout du monde. C’en est une autre si la colonie est à nos portes et que la puissance coloniale soit entourée de pays à la sympathie limitée pour un désordre qui est en grande partie de leur fait.

© Project Syndicate, 2012. Traduit de l’anglais par Stéphan Garnier.

La Palestine n’est plus une « entité », mais un État – ou, pour être précis, un État observateur non membre des Nations unies, tout comme le Saint-Siège. La candidature palestinienne a reçu le soutien de 138 pays membres (l’Allemagne, la Grande-Bretagne et 39 autres pays se sont abstenus), tandis que seulement sept, y compris les îles Marshall, Palau et Panama, ont rejoint les...

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