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Moyen Orient et Monde - Le point

L’aube d’une odyssée*

C'est contagieux, dites, le chaos ? Il faut croire que oui, à lire les déclarations des dirigeants européens et américains sur la question libyenne. Oyez plutôt. La communauté internationale a « clairement énoncé » son objectif, qui est de « déloger » Mouammar Kadhafi, vient d'affirmer le Premier ministre belge Yves Leterme. On croyait pourtant avoir compris de Robert Gates, secrétaire US à la Défense, que son pays était opposé à toute frappe militaire qui viserait le guide de la Jamahiriya. D'ailleurs, l'amiral Mike Mullen, chef d'état-major interarmes, n'avait pas dit autre chose lorsqu'il avait déclaré que le but recherché n'était pas de chasser le leader libyen, mais de protéger les civils. Voilà qui est clair, n'est-ce pas ? Heu ! Pas tout à fait. Hier en effet, le ministre britannique des Affaires étrangères, William Hague, laissait entendre que le bouillant colonel - lequel, on n'a pas manqué de le relever ces derniers temps, a quelque peu perdu de sa superbe - pouvait être pris pour cible par les frappes aériennes en cours. Le chef du Foreign Office a jugé utile d'invoquer le soutien sans faille de la Ligue arabe à la résolution 1970 du Conseil de sécurité des Nations unies. Malheureusement pour le chef de la diplomatie de Sa Gracieuse Majesté, il en est qui se sont souvenus, fort mal à propos il faut le souligner, d'une déclaration faite la veille dimanche par Amr Moussa, secrétaire général de l'organisation panarabe, jugeant que « la protection des civils ne nécessite pas forcément des interventions militaires » et que « dès le début, nous avions demandé l'imposition d'une zone d'exclusion (décision rendue publique le 12 de ce mois, à l'issue d'une réunion tenue au Caire) afin de protéger la population et d'éviter tout nouveau développement ». Toutefois, le paragraphe 9 « autorise les États membres de prendre toutes les mesures nécessaires » afin d'assurer la protection de la population. Il serait utile, d'un autre côté, de rappeler que les Occidentaux et l'OTAN avaient laissé entendre qu'il n'y aurait pas d'intervention armée sans l'approbation préalable des organisations régionales. D'ailleurs, les rebelles eux-mêmes n'ont à aucun moment réclamé un appui militaire direct, mais uniquement l'instauration d'une « no fly zone », certains à tort ou à raison qu'ils pourraient, sans aide extérieure, venir à bout des blindés de Kadhafi avec pour seules armes leurs lance-roquettes.
En réalité, la confusion n'a jamais été plus grande, à l'heure où l'Union européenne se préparait hier à renforcer ses sanctions contre le régime de Tripoli. Pour les Italiens, ainsi que l'a rappelé Franco Frattini, il ne s'agissait pas au départ d'une guerre, mais de la stricte application du texte onusien. L'Allemand Guido Westerwelle continue à se dire sceptique sur les chances de succès d'une opération qu'il juge « risquée ». Et la Russie (dont le représentant s'était abstenu lors du vote à l'ONU) a apporté son grain de sel par la voix de Vladimir Poutine. Tout cela, a estimé son chef de gouvernement - aussitôt désavoué, on aura tout vu au Kremlin, par le président Dmitri Medvedev -, ressemble à un appel aux croisades. C'est exactement ce qu'il fallait éviter de dire dans la conjoncture présente, quand nombreux sont ceux qui s'interrogent : « Pourquoi en fait-on autant pour la Libye alors qu'on se montre insensible aux développements des crises à Bahreïn et au Yémen ? »
Bonne question, à laquelle certains à Washington avaient répondu, y ajoutant par anticipation les objections des adversaires de la solution armée. Au choix : l'Ouest n'intervient que lorsque son approvisionnement en pétrole est menacé; il n'était pas possible de laisser se profiler une menace sur d'autres manifestations du « printemps arabe », après le succès du réveil tunisien et égyptien ; et encore, les États-Unis ne peuvent se permettre une troisième guerre en terre d'islam, après les expéditions afghane et irakienne. Fâcheuse coïncidence : l'aviation de la coalition a déclenché ses raids le 19 mars 2011, huit ans jour pour jour après le lancement de l'opération « Shock and Awe » contre le régime de Saddam Hussein. Il est préférable de ne pas penser à la réaction des grands si des troubles autrement plus sérieux que ceux qui y sont signalés depuis quelque temps venaient à éclater en Jordanie ou, plus grave encore, en Arabie saoudite.
Auquel cas, on pourrait souhaiter voir l'alliance présenter un front plus uni et invoquer des buts qui auront fait au préalable l'objet d'un consensus.

(*) Nom donné par les USA à l'opération anti-Kadhafi, baptisée Harmattan par les Français, Ellamy par les Britanniques.
C'est contagieux, dites, le chaos ? Il faut croire que oui, à lire les déclarations des dirigeants européens et américains sur la question libyenne. Oyez plutôt. La communauté internationale a « clairement énoncé » son objectif, qui est de « déloger » Mouammar Kadhafi, vient d'affirmer le Premier ministre belge Yves Leterme. On croyait pourtant avoir compris de Robert Gates,...

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