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Moyen Orient et Monde - Le point

Quand l’histoire hoquette

Il arrive souvent à l'histoire d'avoir des coups d'accélérateur qui laissent pantois les Fabrice Del Dongo que nous sommes, pauvres témoins de trop de batailles de Waterloo auxquelles, au début à tout le moins, nous ne comprenons pas grand-chose.La révolution tunisienne peine encore à trouver sa vitesse de croisière qu'en Égypte s'enclenche un autre processus dont les retombées sur l'ensemble de la région s'annoncent énormes tant il est vrai que ne saurait nous être étranger ce qui se passe dans cette patrie des pharaons, pays de la démesure démographique à l'échelle régionale, avec ses 80 millions - à l'heure où nous écrivons ces lignes... - , une natalité qui avance au triple galop et un interminable cortège de problèmes socio-économiques dont le moindre n'est certes pas un taux de chômage propre à affoler le plus optimiste des futurologues.
Le plus étonnant n'est-il pas que le vent de la colère qui souffle depuis la mi-janvier vienne des deux populations les plus placides du Moyen-Orient, que l'on croyait au mieux résignées, au pire dans l'attente de jours plus cléments. Les gouvernants se rendent compte, un peu tard, qu'il existe des limites à la patience et que le « kefaya ! (assez), longtemps contenu ou bien confiné à quelques cercles d'intellectuels, finit par se manifester de manière violente. À cet égard, le bilan des affrontements au pays du Nil est terriblement lourd : plus de 150 tués, 4 000 blessés, 500 disparus, à quoi s'ajoutent des forces de sécurité (l'Amn el-Markazi compte plus de 300 000 éléments chichement rétribués) désemparées et rétives à accomplir la mission que le régime attend d'elles, et une armée de 340 000 hommes qui fraternisent avec les manifestants alors que leur chef, le général Mohammad Tantaoui, lorgne du côté de Washington, d'où il revient, avant d'arrêter ses choix.
Ces dernières heures, les Cairotes ont eu droit au sifflement non point des balles mais des réacteurs d'avions de combat sillonnant le ciel et au maladroit ballet des hélicoptères. Pour le chef de l'État et la caste militaire, l'heure des graves décisions a sonné. Celle-ci en premier lieu : comment assurer au premier une porte de sortie lui permettant de sauver la face pour n'avoir pas à subir une fuite humiliante, à la seconde de trouver, après un intérim Omar Souleiman, un successeur capable de désamorcer la grogne populaire, d'améliorer les conditions de vie, de combattre la corruption, enfin de mettre un frein à la gloutonnerie des fat cats hérités de l'ère Sadate et abondamment nourris au sérail de son successeur. Vaste programme que la troupe - dont le prestige demeure intact mais dont le chef passe pour être trop proche des États-Unis - pourrait mener à bien.
Après six jours de semi-clandestinité, le loup intégriste a fini par sortir des bois et afficher ses ambitions et ses préférences. La figure de proue des Frères musulmans, c'est donc Mohammad el-Baradei, à condition qu'il limite dans la durée ses ambitions. L'ancien patron de l'Agence internationale de l'énergie atomique et Prix Nobel de la paix serait ainsi, pour les Ikhwan, ce que fut le débonnaire Mohammad Naguib pour les Officiers libres de 1952. On comprend que la perspective d'un régime islamiste au Caire suscite des inquiétudes à Washington - où, quoi que l'on dise, on n'a rien vu venir, en dépit des » révélations « d'aides à certaines parties - mais aussi dans d'autres capitales tout aussi exposées. Pour l'instant, tout porte à croire que la confrérie de Issam el-Aryane, le lointain successeur de Hassan el-Banna, n'a fait que prendre le train en marche, un pragmatisme qu'on ne lui connaissait pas avant le » tamkine « des années 70-80 qui avait conduit à l'émergence d'une sorte d'État dans l'État que l'on voit à l'œuvre.
Ce qui est en jeu désormais, c'est l'avenir de nombre de régimes en place dans la région, c'est la réanimation d'un processus de paix en état de mort clinique, c'est l'instauration à petits pas d'une anémique démocratie. Et l'on ne dira jamais à quel point l'irruption sur la scène de Facebook et de Twitter n'est pas faite pour simplifier les choses. Au contraire, serait-on même tenté de dire. À l'Occident, semblent croire ses interlocuteurs de demain, de faire sa « révision déchirante » face au nouvel ordre sur le point de s'établir.
28 juillet 1952 : un homme embarque à bord du yacht al-Mahroussa. Il est gros, chauve, affiche un air las derrière ses lunettes à verre fumée. C'est Farouk. Sur le quai, un général fait le salut militaire, suprême et combien élégant geste d'adieu au dernier roi d'Égypte. Il s'appelle Mohammad Naguib et lui aussi ne tardera pas à s'éclipser.
L'histoire ne serait-elle, après tout, qu'un éternel recommencement, quitte à hoqueter plus souvent qu'à son tour ?
Il arrive souvent à l'histoire d'avoir des coups d'accélérateur qui laissent pantois les Fabrice Del Dongo que nous sommes, pauvres témoins de trop de batailles de Waterloo auxquelles, au début à tout le moins, nous ne comprenons pas grand-chose.La révolution tunisienne peine encore à trouver sa vitesse de croisière qu'en Égypte s'enclenche un autre processus dont les retombées sur...

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