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Moyen Orient et Monde

Une ville prison

Par Chris PATTEN

Dernier gouverneur britannique de Hong Kong, Chris Patten a été commissaire européen aux Affaires extérieures. Il est aujourd’hui chancelier de l’université d’Oxford.

Il est plus simple de pénétrer dans une prison sous très haute sécurité que d'entrer dans la bande de terrain (de 45 km de long et environ 8 de large) qu'est le foyer de 1,5 million de Palestiniens à Gaza. Cerné par un mur inhospitalier, des miradors et des zones tampons mortelles, je suis entré au moyen d'un visa durement obtenu par le passage d'Erez (barrières en fer, scanners et interrogatoire mené par de jeunes et las officiers de l'immigration). De l'autre côté se trouvait une passerelle grillagée menant vers cette partie de la Palestine, coincée entre Israël, l'Égypte, la Méditerranée et l'indifférence générale de la communauté internationale. La traversée de cette longue cage - sous une chaleur étouffante - offre une vue apocalyptique. De petits groupes de Palestiniens démolissent les vestiges des infrastructures industrielles anéanties par les bombes - des blocs de béton qui polluent le paysage sablonneux. Ils désossent ces blocs pour en récupérer le gravier et les barres d'acier. Le résultat de leur ouvrage est emmené sur des charrettes tirées par des chevaux galeux. Voilà ce qu'on appelle de l'industrie à Gaza.
De temps à autre, le monde est secoué par l'horrible quotidien de Gaza, puis s'en retourne à la Coupe du monde ou aux préparatifs des vacances d'été. Nous avons par exemple été réveillés par les attaques militaires de décembre 2008 et janvier 2009 où plus de 1 300 Palestiniens (dont plus de 300 enfants) et 13 Israéliens ont trouvé la mort. En mai dernier, nous avons à nouveau été plongés dans l'horreur lorsque les forces de défense israéliennes ont attaqué une flottille humanitaire turque, causant neuf pertes civiles.
Il faut modérer son langage lorsqu'il est question d'Israël. Ceux qui arguent que Gaza est en proie à une crise humanitaire ne devraient pas comparer la situation à celle de l'Éthiopie ou du Soudan accablés par la sécheresse ou la guerre. Aucun doute, les conditions de vie à Gaza sont dures et la population souffre. Le gouvernement israélien dément le fait que la population meurt de faim et vient d'assouplir son régime d'importation restrictif. Or, le but du siège n'a jamais été d'affamer les Gazaouis. Comme Dov Weissglass, un ancien bras droit d'Ariel Sharon, l'a fait remarquer de façon mémorable, le but était de « mettre les Palestiniens au régime ». L'objectif était donc le châtiment collectif, venant en partie en réaction au contrôle politique de Gaza exercé par le Hamas. En 2006, le Hamas a remporté les élections dans l'ensemble de la Palestine occupée, puis formé un gouvernement d'unité nationale avec le Fateh. Les États-Unis, Israël et la plupart de la communauté internationale ont ensuite torpillé cet arrangement. C'était une bonne idée que d'organiser des élections - jusqu'à ce que le mauvais côté l'emporte.
Comme le contrôle des importations a été modifié - la liste concerne désormais les produits proscrits plutôt que les produits autorisés -, davantage de marchandises devraient arriver à Gaza. Mais la possibilité d'acheter de la confiture, des céréales, du vinaigre balsamique et des conserves de crème au citron, comme je l'ai constaté dans un supermarché haut de gamme de Gaza, n'apportera pas grand-chose aux gens ordinaires, dont 80 % dépendent des rations alimentaires d'urgence. Qui plus est, les habitants ordinaires de Gaza ne peuvent pas reconstruire leur maison et leurs écoles car les matériaux de construction sont toujours prohibés ou admis au compte-gouttes pour les projets des Nations unies uniquement. Aucune matière première, qui permettrait la renaissance du commerce et de l'industrie à Gaza, n'est permise. C'est là la clé de voûte de la politique d'Israël, qui met au défi pur et simple le droit international et les normes coutumières de tout comportement civilisé. Maintenant que le chocolat et la cardamome sont autorisés à Gaza, Israël pratique un siège « plus astucieux » : les Palestiniens sont toujours isolés, appauvris et dépendent de l'aide humanitaire, mais ils ne meurent pas de faim.
À Gaza, avant la seconde intifada, j'ai vu de nombreux exemples d'ambitieuses entreprises - dans les usines et les fermes. La majeure partie d'entre elles ont disparu. À la fin des affrontements en 2009, les bulldozers israéliens ont rasé les usines. L'imposition de la zone frontière a englouti jusqu'à 29 % des terres arables de la bande de Gaza. Dans l'ensemble, Israël et l'Égypte - partenaires du siège - ferment les yeux sur les tunnels (dont le chiffre se monte peut-être à un millier) qui serpentent sous la frontière égyptienne à Rafah pour faire entrer de la marchandise sur le marché noir, que le Hamas taxe par la suite. Les Palestiniens susceptibles de devenir des hommes d'affaires bien sous tout rapport (à la base d'une éventuelle classe moyenne) sont détruits. Le racket prospère. Cette politique kafkaïenne génère une économie dans le genre de celle d'« Alice au pays des merveilles ».
C'est en visitant les hôpitaux, comme je l'ai fait avec l'organisation caritative Medical Aid for Palestinians dont je suis président, que l'on décèle le mieux les difficultés créées par le siège. Les médicaments vitaux viennent à manquer et, souvent, l'équipement ne fonctionne pas à cause des coupures de courant ou de l'absence de pièces de rechange. Les patients gravement atteints ont besoin d'une autorisation pour être soignés dans les hôpitaux de Cisjordanie, et certains, paraît-il, ont été sommés de collaborer avec les services de sécurité israéliens en échange de cette autorisation. Médecins et étudiants ne peuvent que rarement quitter Gaza pour suivre des conférences ou poursuivre des études à l'étranger. Il y a un an, je me suis fermement opposé à l'appel international au boycott des universités d'Israël. Mais le blocus de Gaza signifie qu'Israël boycotte la vie universitaire des Palestiniens. Il est temps qu'Israël cesse de stranguler Gaza.
D'aucuns, en Israël, à l'instar du ministre des affaires étrangères Avigdor Lieberman, souhaitent couper complètement Gaza de la Cisjordanie, enfreignant alors les accords d'Oslo (et la perspective d'une solution à deux États !), et poussent Gaza vers l'Égypte. Or Gaza, dont la population s'accroît, fait partie intégrante de la Palestine. Avec une hausse démographique de 3,5 % par an, le nombre de Gazaouis aura doublé d'ici à quinze ans environ (époque à laquelle, selon l'Organisation mondiale de la santé, l'approvisionnement en eau ne sera pas suffisant pour la population de Gaza). De quel monde les enfants que l'on voit par centaines dans les rues de Gaza hériteront-ils ? Ce châtiment collectif aura-t-il fait d'eux des ilotes modérés qui respectent la loi ? L'histoire penche en faveur d'une autre immoralité. Je veux voir Israël, cette société libre et démocratique, être à la hauteur de ses valeurs ancestrales et être en paix avec ses voisins. Il n'y parviendra pas avec la politique effarante qu'il mène à Gaza. Le monde - à commencer par l'administration américaine et l'Union européenne - devrait le dire à Israël. Mais ne vous faites pas trop d'illusions.

© Project Syndicate 2010.
Traduit de l'anglais par Aude Fondard.
Il est plus simple de pénétrer dans une prison sous très haute sécurité que d'entrer dans la bande de terrain (de 45 km de long et environ 8 de large) qu'est le foyer de 1,5 million de Palestiniens à Gaza. Cerné par un mur inhospitalier, des miradors et des zones tampons mortelles, je suis entré au moyen d'un visa durement obtenu par le...

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