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Liban - Analyse

Ri(fi)fi en Conseil des ministres : un mort, le cabinet Mikati

Le cœur lourd, Nagib Mikati s’en est allé en appelant hier « toutes les parties à faire preuve de cohésion pour éviter l’inconnu au Liban ». Photo Hassan Assal

Le fantôme de Rafic Hariri avait fait tomber le cabinet Karamé quatorze jours après l’assassinat du 14 février 2005. Le spectre de Wissam el-Hassan, lui, a mis un peu plus longtemps à opérer, mais c’est finalement lui qui, en quelque sorte, a emporté le cabinet Mikati, de l’aveu même de l’enfant terrible de la politique libanaise, Walid Joumblatt. Le déséquilibre au plan sécuritaire induit par l’assassinat du patron des services de renseignements des Forces de sécurité intérieure a été tel qu’il était tout bonnement inadmissible que le 8 Mars puisse se débarrasser aussi facilement du dernier rempart à son hégémonie totale sur l’appareil sécuritaire du pays, le directeur des FSI, le général Achraf Rifi, qui plus est la personnalité la plus populaire à l’heure actuelle dans la rue tripolitaine.


D’autant que, sur le plan de la légitimité sunnite et tripolitaine en particulier, Nagib Mikati, bombardé Premier ministre après un twist politico-sécuritaire forcé de majorité parlementaire en faveur du 8 Mars début 2011, avait lié son sort politique à deux questions : le financement du Tribunal spécial pour le Liban et... la protection d’Achraf Rifi contre la campagne féroce du Hezbollah et du Courant patriotique libre visant à le déloger.

En prenant l’initiative de démissionner pour protester contre la volonté du 8 Mars de ne pas proroger le mandat de Rifi, Nagib Mikati a donc honoré hier son serment à l’égard de son audience sunnite et s’est revêtu in extremis d’un apparat de légitimité également sunnite qui continuait à lui faire défaut en raison de sa docilité à l’égard du Hezbollah. D’où la volonté du Premier ministre d’avoir voulu soigner sa sortie sous le signe d’un ultrasunnisme politique de mise en période électorale, en se dirigeant au Sérail – loin des usages politiques traditionnels qui veulent qu’une démission se fasse à partir du palais présidentiel... 

 

(Lire aussi: Le message de démission)



Les faits
« Ni Achraf, ni ichraf » (NDLR : l’instance de supervision des élections en arabe). La formule toute trouvée des ministres aounistes Gebran Bassil et Sélim Jreissati avait donné le ton très rapidement. L’hostilité d’une prorogation du mandat d’Achraf Rifi, perçu comme étant le dernier homme du 14 Mars à la tête d’un appareil sécuritaire, et la volonté de torpiller le comité de supervision des élections sous différents prétextes, auguraient déjà d’une séance particulièrement houleuse au palais présidentiel.

Au bout d’une heure, les prédictions se sont réalisées. Certains ministres ont commencé à quitter la salle pour effectuer des contacts, notamment Hussein Hajj Hassan (Hezbollah) et Ali Hassan Khalil (Amal). Cependant, Nagib Mikati avait indiqué aux journalistes qu’en dépit de la vague de protestations attendue concernant l’affaire Rifi, il attendrait de voir quelle tournure prendrait la séance avant de prendre une quelconque décision et de bouder, le cas échéant.

 

Après la promotion du colonel Mohammad Kheir au rang de général et sa nomination au rang de secrétaire général du Conseil sécuritaire, et après l’allocution du président de la République, Michel Sleiman, le dossier du comité de supervision des législatives a créé, comme prévu, le premier gros malaise.

L’un après l’autre, les ministres du Courant patriotique libre, rejoints par ceux du Hezbollah et d’Amal, s’y sont opposés, en arguant de son anticonstitutionnalité, sous prétexte que la loi qui a créé cette instance n’avait été adoptée en 2008 que « pour une seule fois ». Le président Sleiman a aussitôt demandé que le dossier soit soumis au vote, et le 8 Mars a obtenu la majorité, faisant ainsi chuter l’instance. Le chef de l’État a aussitôt exprimé sa consternation, soulignant qu’il était tenu de respecter la Constitution et qu’il était inconcevable que la question du comité de supervision des législatives ne soit pas en tête de l’agenda du Conseil des ministres. Il a ensuite affirmé qu’il ne souhaitait plus présider désormais le Conseil et voulait lever la séance, mais le Premier ministre a refusé, insistant pour que la question de la prorogation du mandat d’Achraf Rifi à la tête des FSI soit soulevée – non sans exprimer sa solidarité avec le président Sleiman. M. Mikati a ainsi certifié qu’il ne convoquerait plus le Conseil des ministres tant que le chef de l’État ne revenait pas sur sa décision de ne plus le présider.

Devant le refus des ministres du 8 Mars d’envisager la prorogation du mandat de Rifi, le président du Conseil a quitté la salle, suivi du président Sleiman. Il s’est ensuite dirigé vers le Sérail, où il a été question qu’il présente sa démission. Mais la chaîne du Hezbollah al-Manar a démenti l’information dans un premier temps à la place de M. Mikati, laissant planer le doute.

Finalement, en dépit de tentatives du Hezbollah de l’inciter à changer d’avis, le Premier ministre a tenu sa conférence de presse, présentant sa démission qu’il devrait remettre aujourd’hui selon les usages au président de la République à Baabda, lequel devrait aussitôt, selon la Constitution, se presser de procéder à des consultations parlementaires pour la désignation d’un nouveau Premier ministre chargé de former un nouveau gouvernement. 

 

(Lire aussi: 14 Mars et centristes saluent « le courage » de Nagib Mikati)

Prospective
Par-delà l’affaire Rifi – lequel sera probablement acculé quand même à la sortie à la fin de son mandat, au début du mois prochain – stricto sensu, la démission de Nagib Mikati marque certainement un tournant dans la vie politique du pays.

 

Une première conclusion à tirer de cet événement est que le règne du régime Assad touche désormais réellement à sa fin et qu’il s’agit là de la première manifestation de cet effondrement. L’avènement au forceps de M. Mikati début 2011 s’était faite grâce à deux maîtres d’œuvre : le régime Assad et le Hezbollah.
Si le régime syrien maintient sa capacité de nuisance sur le plan sécuritaire au Liban, il n’est cependant plus en mesure d’y jouer aux marionnettistes : une gamme de mutations au plan régional, dont l’imminence de sa propre déroute politique et militaire sur son propre territoire, lui ont rogné les ailes.


Quant à l’autre béquille du cabinet Mikati, le Hezbollah, elle a subi elle aussi une série de revers particulièrement douloureux, le dernier en date étant le camouflet militaire reçu aux mains de l’Armée syrienne libre ces dernières semaines à Qousseir.

Engagé dans un bras de fer au Liban avec une communauté sunnite revigorée par le printemps arabe au point de recréer une sorte de nouveau rééquilibrage des forces, enlisé dans une guérilla urbaine coûteuse en Syrie sur tous les plans au côté d’un régime défaillant à tous les points de vue, le parti chiite n’est pas sans se poser des questions. A-t-il enfin « autorisé » le Premier ministre à se libérer de sa tutelle et à présenter sa démission ou pas, peu importe. Mais un élément de réponse peut être trouvé chez le très faussement candide Wi’am Wahhab, qui a proposé hier le nom du chef du courant du Futur, Saad Hariri, comme candidat pour désigner un nouveau « gouvernement de salut public ». Un indice qui pourrait expliquer pourquoi le Hezbollah a laissé filer Nagib Mikati : en quête désespérée de relégitimation et de dialogue interne, il souhaiterait peut-être voir l’ancien Premier ministre en exil lui offrir ce cadeau inespéré de lui tendre la perche d’une nouvelle réintégration dans le tissu social national ; une nouvelle virginité nationale, quoi... Sauf que le Hezbollah s’imagine peut-être que Saad Hariri reviendra au Liban et fera cette opération de lifting aux conditions qu’il fixera au leader sunnite, armes obligent. Erreur potentielle de jugement, si c’est le cas, puisque Hariri, lui, n’envisage son retour qu’à la lumière de la déroute de l’allié du Hezb, Bachar el-Assad, et de l’affaiblissement logique corollaire de la tutelle iranienne sur le pays...


Il reste cependant trop tôt pour anticiper sur tout cela. Entre-temps, deux certitudes : comme l’a relevé Marwan Charbel hier, la démission de Nagib Mikati ôte une épine du pied de toutes les parties libanaises, incapables de s’entendre sur un projet de loi électoral, puisqu’elle rend quasi impossible de facto la tenue des élections législatives dans les délais impartis.

Ensuite, le Liban s’est découvert hier un nouvel homme d’État providentiel, qui exerce enfin souverainement sa fonction de gardien de la Constitution et d’arbitre institutionnel, ce qui manquait au pays à ce niveau depuis au moins deux décennies ; le Liban s’est découvert un vrai président de la République. Et il s’appelle Michel Sleiman.

 

 

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Naufrages, l’éditorial de Issa Goraieb

 

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commentaires (3)

Désolé c'est un scoop ! il y a deux morts...car désormais nous savons que le ridicule tue aussi... (c'est pourtant rare dans notre pays)

M.V.

13 h 55, le 23 mars 2013

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Commentaires (3)

  • Désolé c'est un scoop ! il y a deux morts...car désormais nous savons que le ridicule tue aussi... (c'est pourtant rare dans notre pays)

    M.V.

    13 h 55, le 23 mars 2013

  • Toujours le système tribal qui triomphe et fait basculer le pays dans l' inconnu . Antoine Sabbagha

    Sabbagha Antoine

    13 h 04, le 23 mars 2013

  • "Ce gouvernement de naufrageurs, qu'on le laisse donc sombrer", dit M Issa Goraieb en son editorial de ce jour, Naufrages. Oui, mais ! Parce qu'il s'agit d'un gouvernement composé principalement de deux forces aventurières, le Hezbollah et le général Aoun, qui peuvent littéralement faire naufrager et sombrer le Liban. Deux forces qui considèrent ce pays comme leur propriété privée et l'exploitent à l'extrême, l'une en faveur d'une puissance étrangère dont elle est une filiale et l'autre en faveur de ses intérêts personnels et mesquins. Et voilà qu'à un moment trop crucial découlant des répercussions gigantesques de la guerre civile en Syrie, les deux forces en question mènent ce pays à l'instabilité totale et à la possibilité de ruine finale. Un gouvernement de chemises noires sinistres dynamitant et la majorité issue des élections de 2009 et toutes les possibilités d'entente et de dialogue nationaux, dans un pays à la démocratie toute singulière, ne pouvait que terminer par ce "naufrage" entraînant le Liban dans l'abîme. Allah yestor !

    Halim Abou Chacra

    04 h 15, le 23 mars 2013

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