La moindre des choses, c’est une question de dignité, même si ce mot ne veut souvent plus dire grand-chose sous ces latitudes, serait de s’excuser auprès des gens que l’on a insultés ou offensés. Ou mis en danger de mort. Fût-ce par défaut : un Pardon, ce n’est pas ma faute, it’s beyond my control n’a jamais écorché quiconque.
Entre serpillière et peau de chagrin, la réputation du Liban n’en est certes plus à une gifle, une souillure près.
La moindre des choses serait de s’excuser follement, en regardant le bout de ses chaussures, auprès des jumeaux Ahmad et Mohammad Malas. Ces deux Syriens exerçaient dans leur pays une profession d’utilité publique : comédiens, humoristes, montreurs de vérités, ils décapaient au vitriol le régime baassiste, coupable depuis près de huit mois de barbarie organisée et de crimes contre l’humanité. Les frères Malas s’étaient réfugiés au Liban. Naïfs, ils pensaient que cette autoproclamée oasis de démocratie et de droits de l’homme dans un Proche-Orient liberticide, inquisiteur et néanderthalien allait les protéger contre leurs compatriotes, shabbihas ou bourreaux. Il y a deux jours, ils ont fui Beyrouth pour... Le Caire. À survivre comme des rats, suant la peur et le manque de sommeil, convaincus de finir comme Chebli el-Ayssami ou les quatre frères Jassem, mieux vaut aller (encore) plus loin. Une gifle pour des Libanais persuadés d’être des champions d’assistance à résistants en danger et d’hospitalité, même si, à leur décharge, ils sont eux-mêmes paralysés, et avec eux un président de la République devenu roi du no see, no hear et un Premier ministre recordman du monde de langue de bois, par une milice libanaise au service du gang des Assad et de la wilayet el-faqih.
La moindre des choses serait de s’excuser follement, en regardant le bout de ses chaussures, des familles des victimes de l’attentat du 14 février 2005 et de tous ceux qui les ont suivis, les familles des présidents, des députés, des ministres et des simples gens victimes directes ou collatérales d’assassinats politiques ; s’excuser d’appartenir à un pays qui ne veut ou qui ne peut pas (c’est pareil) contribuer au financement du Tribunal spécial pour le Liban, le seul vecteur pourtant, toutes catégories confondues, à même de changer la destinée et les mentalités d’un pays et de ses habitants sclérosés par des décennies de non-État, de non-droit, de non-loi, de non-vérité, de non-justice et surtout de non-mémoire. S’excuser d’être des sous-citoyens, bâillonnés et ligotés par une milice libanaise au service de la wilayet el-faqih et du gang des Assad.
La moindre des choses serait de s’excuser follement, en regardant le bout de ses chaussures, auprès d’E.T., du sergent Frank Tree, d’Amistad, de Frank Abagnale Jr., de Roy Neary et de Claude Lacombe, d’Indiana Jones, du soldat Ryan, de Celie Johnson, de Jim Graham, du capitaine Crochet, d’Oskar Schindler et de Tintin. S’excuser auprès de Steven Spielberg. S’excuser auprès de l’art, de la création, de la culture ; s’excuser auprès des lumières. S’excuser d’être les habitants d’un pays bientôt crétin tellement il devient obscurantiste, raciste, antisémite, intolérant, négationniste et stérile ; un pays étouffé par une milice, ses tee-shirts noirs et ses cravates orange, une milice qui répète le mot résistance au moins trois cents fois par jour mais qui n’a pas peur de cracher sur Anne Franck, de dynamiter son universalité.
Le hasard n’existe pas. Loin de toute volonté manichéenne, les faits sont éloquents : depuis 2005, à chaque fois que les Libanais ont honte, s’en veulent d’être libanais et ont mal à leur Liban, c’est à cause des exactions du 8 Mars, du quartette Hezb-CPL-PSNS-Baas et de ses alliés. Bien sûr, personne n’oublie l’ambassade danoise et Achrafieh saccagées par des hordes alliées du 14 Mars après les caricatures de Mahomet publiées dans le Jylland-Posten, sauf qu’ensuite, plus rien : l’ambassade de France était tranquille après l’épisode Charlie Hebdo.
Tout cela finalement n’est pas bien grave. Laclos avait tout compris : La honte, c’est comme la douleur, on ne la ressent qu’une fois. Ensuite, ce ne sont que petites, insignifiantes répliques. Jusqu’au stade le plus avancé de la soumission aux diktats et autres ukases de la milice : le masochisme.
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Monsieur Moubazbaz, avec d'autres amis, nous proposons que le Liban redevienne la Suisse du Moyen Orient, non seulement en beauté naturelle mais dans les domaines civique et politique aussi. Anastase Tsiris
Anastase Tsiris
04 h 30, le 13 novembre 2011