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Nos Lecteurs ont la Parole - Ghada JABAK

La valise

Dans chaque maison libanaise, il y a une valise ou des valises, symbole de compte à rebours entre un accueil et un adieu. Elle est restée au coin, la tienne, en face de ma chambre à coucher. Je ne l'ai pas rangée au grenier, parce qu'elle n'y restera pas pour longtemps et parce que la cacher ne la fera pas disparaître. Je la croisais tous les jours. Elle m'observait, d'un air désinvolte. Elle attendait, la cruelle.
Elle est témoin d'un départ, d'un retour puis d'un départ. Elle a de la chance, elle t'accompagne, la valise. Comme je l'envie, ce matin. J'aurais aimé que tu restes auprès de nous, de ton père qui pleure en silence à chaque fois que tu quittes, auprès de tes sœurs qui ont besoin de toi, auprès de moi.
Tu ne pensais pas que Paris serait ta destination finale, ta maison, tu me l'as dit. Tu n'en étais pas certaine, mais cette fois-ci, ça y est, tu l'as admis et reconnu. Nous l'avons discuté comme des grands et j'ai pu cacher ma tristesse pour ne pas t'attrister. Je me rappelle bien ce moment, dans la cuisine, je faisais la vaisselle et la sentence est tombée. Il faudrait accepter un nouveau domicile parce que la vie continue et la chasse aux rêves est un droit.
Cette fois-ci, tu pars pour longtemps... Et Beyrouth ne sera qu'une destination de vacances. Que les vacances sont courtes ! Que de mères comme moi pleurent leurs enfants, partis ailleurs à la recherche d'un avenir que le Liban ne leur offre pas ! Quelle damnation, la valise !
Parce qu'ici, c'est la mort de l'ambition et de la jeunesse. Ici, c'est l'enfer sur terre. Ici, c'est une terre maudite qui crache de la haine et empoisonne par sa cruauté. Ici, c'est un peuple singe du maître, un troupeau de moutons qui bêle sa servitude sous les ordres de Brille-Babil. Ici, la tyrannie a l'allure d'une démocratie. Ici, c'est une classe politique pourrie, sangsue qui prône les droits de l'homme et des mères et des pères qui restent seuls. Ici, des enfants élevés avec beaucoup de tendresse et d'affection qui partent loin, vers un autre continent, et qui nous manquent. Quel dommage que nous ne puissions jouir de la présence des êtres chers parce qu'une minorité de tyrans a décidé d'usurper le pouvoir et une majorité de moutons a décidé de s'agenouiller devant l'autel du fanatisme ! Et entre eux, vous, qui décidez de quitter pour trouver une opportunité qui soit à votre hauteur, un lieu de vie qui soit digne de vous. Et rien n'arrêtera le flot de nos jeunes. Parce que la vie les appelle et l'horizon est sans fin.
Ils ont raison de partir, ils sont jeunes. Des jeunes à la quête du bonheur. Des jeunes oiseaux migrateurs qui feront leur nid là où il fera beau vivre. Nos jeunes volent ailleurs. Comme toi, Tala. Comme Sarah qui te rejoindra bientôt. Et à l'idée qu'elle quittera aussi, mon cœur fond en sanglots. Mais je ne serai pas égoïste, je cacherai mes larmes autant que je le pourrai. Je te le promets. Elle me dit tout le temps : « Je vais te manquer, non ? » Elle ne sait pas que je vieillis à chaque fois qu'elle me pose cette question, voulant atténuer ma douleur, voulant anticiper son départ. Elle ne sait pas que je vieillis en ce moment préparant sa valise. La valise finira par m'assommer ! Que c'est dur de vous laisser partir ! Que c'est dur de préparer votre départ ! Mais en même temps, que c'est beau de vous voir voler. Vous méritez le meilleur du monde. Donc, pas de regrets. Parce que celui qui se nourrit des miettes de ses rêves meurt petit à petit. Parce que nos enfants appartiennent à la Vie. Parce que la fierté est immense comme l'amour d'une mère.
Aujourd'hui, c'est toi, demain, c'est elle.
Va poursuivre tes rêves, vole, Tala. Mais rappelle-toi, ici, nous t'aimons. Ici, nous t'attendons. Et quand Sarah te rejoindra, je serai moins triste. Vous ne serez pas seules, vous aurez l'une l'autre, comme quand vous étiez petites. Sauf que je ne serai pas là pour vous chérir et mon regard ne pourra pas vous enlacer.
Et il restera un vide cuisant qui m'habitera tant que vous n'êtes pas entre mes bras, tant que vous ne m'appelez pas le matin, du lit, pour me dire « Bonjour et bonne journée maman ! » tant que je ne vous attends pas pour rentrer la nuit, tant que votre chambre est vide... C'est malgré moi, tu sais.

Ghada JABAK
#Pensées_matinales

Dans chaque maison libanaise, il y a une valise ou des valises, symbole de compte à rebours entre un accueil et un adieu. Elle est restée au coin, la tienne, en face de ma chambre à coucher. Je ne l'ai pas rangée au grenier, parce qu'elle n'y restera pas pour longtemps et parce que la cacher ne la fera pas disparaître. Je la croisais tous les jours. Elle m'observait, d'un air désinvolte....

commentaires (4)

Dommage que personne n'incite nos jeunes à rester et faire quelque chose pour le Liban ! On normalise l'idée de quitter... "Poursuivre ses rêves", "mériter le meilleur du monde", etc. Tout ça pour expliquer (justifier) le départ des jeunes. Tout ça pour nous convaincre que c'est le seul moyen de voir grandir nos jeunes. Tout ça pour renier encore plus notre identité libanaise. Et si vous êtes bien convaincu que nos jeunes devraient quitter, alors, je vous en prie, ne nous plaignons plus de l'état des choses dans ce pays.

Grand Duc

13 h 35, le 23 août 2016

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Commentaires (4)

  • Dommage que personne n'incite nos jeunes à rester et faire quelque chose pour le Liban ! On normalise l'idée de quitter... "Poursuivre ses rêves", "mériter le meilleur du monde", etc. Tout ça pour expliquer (justifier) le départ des jeunes. Tout ça pour nous convaincre que c'est le seul moyen de voir grandir nos jeunes. Tout ça pour renier encore plus notre identité libanaise. Et si vous êtes bien convaincu que nos jeunes devraient quitter, alors, je vous en prie, ne nous plaignons plus de l'état des choses dans ce pays.

    Grand Duc

    13 h 35, le 23 août 2016

  • C,EST DIT ET BIEN DIT !

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 41, le 11 août 2016

  • "Mes chers parents je pars Je vous aime mais je pars Vous n'aurez plus d'enfants Ce soir Je ne m'enfuis pas je vole Comprenez bien je vole Sans fumée, sans alcool Je vole, je vole Elle m'observait hier Soucieuse, troublée, ma mère Comme si elle le sentait En fait elle se doutait Entendait J'ai dit que j'étais bien Tout à fait l'air serein Elle a fait comme de rien Et mon père démuni A souri (...) " (Michel Sardou)

    SFEIR Nathalie

    10 h 04, le 11 août 2016

  • Je crois que le plus grand crime des princes qui nous gouvernent n'est pas de se remplir les poches, cela a toujours existé et n'est que l'aspect estérieur des choses. Leur plus grand crime est de faire vieillir le Liban en en chassant les jeunes. La jeunesse est faite pour l'action et on lui en enlève tous les moyens. Le plus grand crime de tous les crimes est d'étouffer chez les jeunes la flamme d'spérance.

    Yves Prevost

    06 h 47, le 04 août 2016

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