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Lifestyle - Disparition

Abbas Kiarostami, un « face-à-face entre la vie et la mort »

Poète, photographe, peintre et graphiste, le cinéaste, mort lundi, avait un jour empoigné sa caméra pour faire « naître du lien entre les gens », redéfinir le cinéma iranien et (faire) comprendre le trésor incommensurable qu'est la vie.

La caméra du réel d’Abbas Kiarostami. Éric Estrade/AFP

On ne l'avait plus vu tourner depuis 2012. Depuis son dernier film, Like someone in love. Mais on ne s'était pas rendu compte de sa disparition du paysage cinématographique car pour tous les cinéphiles (ou préférablement les amoureux du cinéma), Abbas Kiarostami était encore là, en train de produire, de créer, de procréer. Les enfants qu'il laisse derrière lui sont nombreux et perpétuent son héritage. Ils ne s'appellent pas seulement Asghar Farhadi, Jafar Panahi, Mohsen Makhmalbaf ou Marjane Satrapi, qui sont, d'une manière ou d'une autre, ses enfants légitimes. Ils sont aussi tout ce cinéma iranien à qui il a réussi à donner un autre visage.

 

Sa vie, un road-movie
Né à Téhéran en 1940, le réalisateur étudie aux Beaux-Arts dans la capitale iranienne. Son parcours débute par de simples publicités pour la télévision nationale et par des génériques de films. Son premier court-métrage s'intitule Le pain et la rue (1971). « Une expérience très difficile », avait-il confié. Il s'affirme très vite, avec Le passager (1974), comme un pionnier du cinéma réaliste. D'où son surnom de « Rossellini du cinéma iranien ». Après la révolution de 1979, il choisit de rester dans son pays quand de nombreux autres artistes ou écrivains préfèrent l'exil. « Si vous prenez un arbre qui est enraciné dans la terre et si vous le replantez en un autre endroit, l'arbre ne produira plus de fruits, dit-il, et s'il le fait, le fruit ne sera pas aussi bon que s'il était dans son endroit originel. C'est une règle de la nature. Je pense que si j'avais fui mon pays, je ressemblerais à cet arbre. »
Ainsi, aux débuts des années 70, Kiarostami devient l'ambassadeur de son pays, et introduit en Occident une vison de l'Iran loin de tout cliché médiatique. Réprouvant ses méthodes de réalisation et les jugeant trop au goût des Occidentaux, l'État iranien commence par censurer Le Goût de la Cerise et l'interdit dans les salles locales, avant de l'autoriser à la veille de la remise du palmarès du festival de Cannes où le cinéaste recevra la Palme d'or en 1997.

 

« Un mystique contemporain »
Dans la plupart de ses films, tous tournés comme des road-movies, on aperçoit au loin une voiture traverser des paysages désertiques dessinant des circonvolutions dans l'espace (Le Goût de la Cerise, Le vent nous emportera). Mais ses protagonistes sont aussi principalement des enfants (un regard nouveau sur le monde) et des spectateurs hors champ, mais tellement dans le cadre. À ce propos, plusieurs professeurs de cinéma, tels que Jamsheed Akrami de l'université William Paterson, affirmeront que Kiarostami « essaie systématiquement de redéfinir le film en oubliant la complète transparence et en contraignant le spectateur à une participation accrue ». Également dans ses œuvres, des voix off se font entendre. Ce sont des personnages qui récitent des poèmes du poète persan Omar Khayyam ou d'autres plus contemporains. Ainsi, dans Le vent nous emportera, en réponse à la question de savoir si l'autre monde est un endroit meilleur que celui-ci, le docteur répondra en citant ce vers de Khayyam : « Ils promettent des houris dans les cieux/Mais je dirais que le vin est meilleur/Préférez le présent aux promesses. »
Les thèmes de la vie et de la mort, ainsi que la continuité et la survie de l'âme sont au centre de son questionnement, de ce « face-à-face entre la vie et la mort » qu'il avait lui-même défini comme l'outil principal de son cinéma. Dans ce parcours, Abbas Kiarostami, cinéaste du réel mais aussi poète, aux commandes de la voiture de la vie, a emmené le spectateur devenu copilote dans une quête incessante de l'absolu.

Quelques réactions :
- « Abbas n'est pas seulement le plus grand cinéaste iranien, le Rossellini de Téhéran, le chercheur qui trouve, c'était aussi un photographe inspiré. Il était l'art même », a tweeté l'ancien président du Festival de Cannes, Gilles Jacob.
- « Ce n'était pas seulement un cinéaste. C'était un mystique moderne, tant dans son œuvre que dans sa vie privée », a confié son compatriote le réalisateur Asghar Farhadi au quotidien britannique The Guardian.
- « À lui seul, il a changé l'image de l'Iran », a tweeté l'actrice iranienne Golshifteh Farahani.
- Sur Twitter, nombre d'admirateurs citaient une phrase de Jean-Luc Godard : « Le cinéma naît avec Griffith et se termine avec Kiarostami. »

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Témoignage

Invité à l'Iesav (Institut des études scéniques et audiovisuelles de l'USJ) en 2002, Abbas Kiarostami a laissé un impact au Liban. Hady Zaccack, cinéaste, directeur du ciné-club et enseignant à cette faculté, se souvient :
« Trois grands cinéastes ont marqué l'histoire de l'Iesav à l'époque de la fondatrice-directrice Aimée Boulos. Ils ont parrainé trois promotions, se caractérisant par leur rapport avec le réel et le moyen de le transposer à l'écran. Il s'agit de Youssef Chahine, Michel Khleifi et Abbas Kiarostami. Ce dernier avait créé le néoréalisme iranien qui a prouvé encore une fois combien des histoires simples de l'intérieur peuvent toucher tout le monde. Trois leçons de cinéma dans un milieu estudiantin libanais qui n'arrive pas souvent à répondre à la question : qu'est-ce que le cinéma ? »

 

 

Pour mémoire

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