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Culture - Portrait

Guvder, sémillant centenaire...

Inoxydable et d'un étonnant dynamisme, Guvder, du haut de son siècle, dessine, peint, chante et enseigne aux étudiants en quatrième année d'architecture*. Rencontre pour une écoute au plus proche de la parole vivifiante d'un centenaire. D'un phénomène !

Guvder, le geste léger, la faconde intarissable...

Les cheveux blancs fous en bataille comme un Aragon à l'âge vénérable, les mots et les phrases toujours bien sertis, le regard étincelant dans des paupières plissées, le geste léger, la faconde intarissable, le petit bedon bien calé sous son polo bleu pétrole, Guvder est égal à lui-même dans ce salon où sa nièce Houri le bichonne. À côté de lui Chocolat, son petit chien noir, à qui il s'adresse en arménien... «Oui, il comprend cette langue», explique-t-il avec un sourire bienheureux.
Pourquoi n'est-il pas marié? Pourquoi n'a-t-il pas d'enfant? «Mais je suis marié depuis longtemps à l'art, à la peinture, à la sculpture! Et mes tableaux, mes sculptures, mes œuvres, mes élèves sont mes enfants », dit-il en tout naturel et spontanéité. Monumentale son œuvre, innombrables ses expositions, inclassables ses déplacements de Rome à Paris, en passant par Bruxelles et Anvers jusqu'à sa sédentarité actuelle à Beyrouth.
Jusqu'à ce jour, huit heures de travail le matin, huit heures l'après-midi et ce n'est pas suffisant pour ce boulimique du boulot. Bien fait ! Il déborde facilement de son atelier à la fois rangé et en fouillis. Il aiguise son regard partout : une plante, un caillou, des bricoles dans un dépotoir, une feuille et le voilà parti dans les projets et les échafaudages les plus improbables.
Il récite la poésie comme on boit un verre d'eau. Peu importe s'il confond les auteurs et ne sait plus qui a dit quoi ! Goethe rejoint Baudelaire, Musset se couche sur les lignes de Ronsard, mais le verbe est là, déclamé avec émotion. Pour parler de son attachement à la vie, pour dénoncer la perfidie du temps qui fuit. Comme si on était au théâtre, il récite: «Cette seconde a disparu pour toujours, elle ne reviendra plus jamais, plus jamais. J'en souffre, j'en souffre pas, tout est égal. La seconde qui a disparu ne reviendra plus jamais, plus jamais. »
Pour lui, c'est cela le résumé de la vie ! On clôt la parenthèse et on passe à Vivaldi. Il fredonne un air qu'il dit être un concerto pour violon et orchestre du Prêtre roux. Avec, pour conclure, un triolet jailli du pays de Sayat Nova. Il y a là certainement du Komitas ou du Babajanian... Revient sur l'art et ses mystères. Pour cela, plus de 500 personnes étaient présentes il y a déjà quelques soirs pour célébrer sa carrière et son dire artistique. Mais il fustige : « Aujourd'hui, on ne comprend pas l'art, mais le dollar. On ne donne pas à l'art sa valeur ! Le travail ouvre des chemins comme ceux impénétrables de Dieu car l'art est un Dieu ! »
Lubie ou réalité, cette revendication des racines arméniennes un peu partout ? Il revient à la charge. Rembrandt (il crie haut et fort qu'il était fils d'Arménien !) et son divin coup de calame. Personne n'avait ce trait précis comme un couperet qu'il tirait d'une plume de roseau par un trait unique et imparable ! Toute sa vie, Guvder s'est voué à restituer ce talent, ce trait comme un coup d'épée du maître de tous les temps à travers ses cortèges de rescapés sur papier canson. Cortèges silencieux, courbés, harassés, douloureux, qui fuient les champs d'horreur sur les routes de l'exil...
Cinquième enfant d'une famille (il s'appelle, de son vrai nom, John Guvderelian), né sur un bateau qui menait les déportés arméniens en 1916, Guvder a le souvenir vivace d'une mère qui aimait le piano et d'un père beau comme les personnages des romans de Pouchkine.
Son meilleur souvenir dans le tumulte de cette vie ?
« Cela remonte à huit ou neuf ans lorsque je chantais à Bab Idriss. Je voulais apprendre à jouer du violon. On m'en a empêché et on m'a traité de "chalghedje" (comprendre musicastre ou musicot en langue turque!). Avec la distance des jours cela m'amuse... » Mais il précise : « Je n'ai pas eu que des moments beaux car toute la vie est belle. Tous les jours, pour moi, c'est comme si je viens de naître. »
La philosophie qui lui permet de rester encore debout ? Une fois de plus c'est la poésie qui enserre le filtre de la vie. Et il déclame, avec de grands gestes de tragédien : « Amer savoir qu'on tire du voyage. Le monde monotone et petit nous fait voir notre image. Oasis d'horreur dans un désert d'ennui ! Faut-il quitter ce monde ? Si tu peux rester, reste ! Si tu ne peux ajouter quelque chose à ce monde, alors va-t'en...» Et d'ajouter, un peu grave et pensif : « Chaque homme est un père au monde... »

* À l'Académie libanaise des beaux-arts.

Les cheveux blancs fous en bataille comme un Aragon à l'âge vénérable, les mots et les phrases toujours bien sertis, le regard étincelant dans des paupières plissées, le geste léger, la faconde intarissable, le petit bedon bien calé sous son polo bleu pétrole, Guvder est égal à lui-même dans ce salon où sa nièce Houri le bichonne. À côté de lui Chocolat, son petit chien noir, à...

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