Dans un geste qui se veut d'indignation, mais qui pourrait être plus calculé qu'il ne le paraît, le chef des Kataëb, Samy Gemayel, a annoncé hier la démission des deux ministres Kataëb, Alain Hakim (Économie) et Sejaan Azzi (Travail).
On s'interrogeait hier soir sur le bien-fondé d'une démission qui rejoint le cas de figure de celle du ministre de la Justice, Achraf Rifi, contraint en fin de compte d'expédier les affaires courantes de son ministère, faute de pouvoir présenter sa démission à l'autorité compétente, le chef de l'État.
MM. Azzi et Hakim vont pratiquement se retrouver dans la même situation, leurs portefeuilles étant assumés, par intérim, par Nouhad Machnouk (Intérieur) dans le cas de M. Azzi, et par Hussein Hajj Hassan (Industrie) dans le cas d'Alain Hakim.
Non pas que la démission ne soit pas sérieuse. En comprendre les motifs est d'ailleurs enfantin. Jeudi dernier, les Kataëb réclamaient encore en Conseil des ministres que l'impact du plan de gestion des déchets sur le littoral du Metn soit mieux étudié et semblaient las de ne pas être entendus. M. Gemayel a repris cet argument hier, tout en se disant excédé de voir passer sous le yeux de son parti des projets dont la seule rationalité est le profit et les commissions, et non l'intérêt public.
L'attitude de M. Gemayel n'est pourtant pas politiquement désintéressée, estiment les observateurs. Achraf Rifi s'est fait une popularité en démissionnant, pourquoi pas les Kataëb, doit-il avoir raisonné, d'autant plus que ce parti a, comme Achraf Rifi, pris le contrepied des ténors qui voulaient imposer leur mot d'ordre à la population, et qu'il a joué gagnant en s'alliant aux familles et notables dans diverses régions.
La conviction du chef des Kataëb qu'« il vaut mieux ne pas avoir de gouvernement que d'avoir ce gouvernement » est par ailleurs contestable. Elle l'a même été au sein même de son parti, dont certains responsables pensent que démissionner signifie laisser la place libre aux manigances des profiteurs et se priver d'un point d'observation précieux. Toutefois, le point de vue de M. Gemayel a prévalu au sein du parti. Apparenté Kataëb, Ramzi Jreige reste au gouvernement et pourra peut-être remplir le rôle d'observateur souhaité.
En soirée, réagissant à la décision des Kataëb, Waël Bou Faour, le ministre de la Santé, a jugé qu'elle était « précipitée ».
Spéculations sur l'attentat contre la Blom
La bombe politique Samy Gemayel reste cependant relativement inoffensive par rapport à l'attentat contre la Blom Bank qui a continué à faire l'objet de spéculations effrénées hier, les uns accentuant la gravité d'un attentat intrinsèquement pervers, les autres le minimisant.
Farès Souhaid a été jusqu'à juger que cet attentat est aussi grave, politiquement, que l'assassinat de Rafic Hariri. Toutefois, même dans les milieux concernés, on a affirmé qu'il en faut bien plus pour ébranler un système bancaire qui en a vu d'autres. Au demeurant, et le ministre de la Défense, Samir Mokbel, semble de cet avis, on voit mal les États-Unis et la communauté internationale, si attachés à la stabilité militaire du Liban, contribuer, fût-ce indirectement, à le déstabiliser financièrement. Certes, la campagne du Hezbollah contre le gouverneur de la BDL a rangé ce parti parmi les suspects, mais on voit mal le Hezbollah tomber dans un piège aussi grossier, à moins qu'il n'ait joué ce jeu au second degré, écartant les soupçons pesant sur lui, justement parce qu'ils sont trop flagrants pour un parti jouant si fin.
Sur le plan de l'enquête, l'agence al-Markazia croit savoir que les caméras de surveillance entourant la banque ont filmé deux voitures de type « Kia » et « BMW » qui auraient pu être utilisées par les criminels.
Le Conseil des ministres
La démission des ministres Kataëb intervient à l'heure où deux dossiers explosifs sont toujours débattus, celui des télécoms, qui doit être examiné aujourd'hui en commission parlementaire, et celui du barrage de Janné, qui figure à l'ordre du jour du Conseil des ministres, demain.
Sur cette dernière question, on assure que Tammam Salam a l'intention de former une large commission ministérielle et d'experts, qui devra trancher une fois pour toute sur la faisabilité et la rationalité économique de ce projet qui pourrait même affecter le débit de la grotte de Jeita, et canaliser vers Beyrouth une eau boueuse emmagasinée au détriment de la vallée de Janné, considérée comme une Jeita en plein air, un espace d'écotourisme unique au monde.
Sur le plan du dossier des télécoms, c'est Samir Mokbel qui, semble-t-il, a l'intention de clarifier les choses, et d'exposer aux députés de la commission ad hoc un rapport substantiel sur l'importation des équipements qui ont permis l'exploitation illégale de réseaux Internet. Les douanes, démontrera-t-il, n'ont demandé à aucun moment l'expertise de l'armée en ce qui concerne les équipements importés. Par ailleurs, les importateurs n'ont pas fourni d'eux-mêmes à l'armée les données identifiant cet équipement de haute technologie. Le sujet, apprend-on, a fait l'objet de l'entretien qui a eu lieu hier entre Tammam Salam et Boutros Harb.
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commentaires (4)
Il est vraiment dommage que le Mandat Français n'ait duré qu'une vingtaine d’années.... Il faudrait imaginer ne fut-ce qu'un instant, s'il avait duré jusqu'en 73 au lieu de 43 e. g. ! Yâ hârâââm yâ Lébnéééne !
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
14 h 41, le 15 juin 2016