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Liban

Hommages au Pr Mounir Chamoun

Pédagogue magique, analyste engagé

Cher Mounir,
Te rendre hommage peut se concevoir de différentes manières tant les traces que tu as laissées sont nombreuses et variées : fondateur de la psychologie et de la psychanalyse au Liban, tu étais un vrai conteur, un pédagogue magique, un analyste engagé aussi bien sur le plan de tes convictions que sur le plan de ton action dans la cité. Tes écrits témoignent d'une grande ouverture, de ton souci d'une transmission vivante et dynamique de la psychanalyse. D'ailleurs, tu as souvent mobilisé dans le cadre de journées de travail ou de colloques non seulement des spécialistes du psychisme, mais aussi des anthropologues, des éthologues, des médecins, des philosophes. Tu avais cette capacité étonnante de susciter des dialogues entre des pratiques différentes. Cofondateur de notre faculté avec le père Abou, le père Chamussy et monsieur Omar Adada, et fondateur de notre département que tu as dirigé durant 20 ans, tu as accompagné et vu grandir des générations d'étudiants. Tu étais pour nous tous, enseignants et étudiants, un maître, un mentor, un inspirateur, sans jamais te poser en modèle.
En devenant chef de département, j'ai eu le plaisir de passer plus de moments avec toi. Quel privilège ce fut pour moi de te côtoyer davantage ! J'attendais avec impatience les visites apaisantes du jeudi après-midi. Tu savais parler de choses graves avec une grande légèreté. Tu me racontais beaucoup d'histoires, m'entraînais avec délice dans le monde de la littérature, de la musique, des voyages. Tu m'interrogeais aussi sur mes professeurs en France et sur nos étudiants. Nous discutions ensemble de leurs travaux et avec une grande finesse, tu me donnais des conseils, me procurais quelques références bibliographiques qui pouvaient leur être très utiles... J'ai découvert ainsi un homme exceptionnel aux facettes multiples : mélange singulier d'intelligence, de sens clinique, de curiosité intellectuelle et surtout une grande culture, une immense tendresse et beaucoup d'humour.
Mon cher Mounir, ta disparition nous touche profondément. Nous, enseignants et étudiants du département, sommes endeuillés, profondément peinés mais conscients de la richesse et de l'importance de l'héritage que tu nous lègues. Bernard Golse dit bien : « Si la vie ne commence pas à la naissance, elle ne finit pas non plus avec la mort, et l'on est vivant, tant que l'on existe dans la mémoire de ceux à qui l'on a transmis des choses, non seulement la vie, mais aussi la capacité même de transmettre. »
Nous nous sommes vus la dernière fois en mars 2016. Tu étais inquiet pour ta santé. Nous avons discuté du colloque organisé par le département en décembre 2015 et auquel tu avais participé. Nous avons eu des échanges riches autour des concepts de deuil et de traumatisme. En relisant ton article intitulé « Le traumatisme réactivé », je m'arrête à cette phrase : « La vie reprend dès que l'effet de surprise est dépassé, lentement mais sûrement, et là aussi parce que la puissance de la pulsion de vie, Éros, est plus forte que la pulsion de mort et ses composantes destructives. La vie reprend, en effet, aussitôt que l'ébullition émotionnelle s'apaise et, avec elle, la rage des indignations et le tollé d'accusations... »
Cette espérance dans la vie que tu as insufflée dans le département demeurera. Nous la ferons perdurer.
Tu resteras à jamais pour nous tous une référence, un maître, un père, un ami.
Repose en paix, Mounir, protège-nous ! Tous, enseignants et étudiants du département, te redisons toute notre affection.

Myrna GANNAGÉ
Chef du département de psychologie de l'Université Saint-Joseph

 

L'absence du père

Je savais depuis quelque temps qu'il se débattait dans une maladie qui le laissait irrécupérable.
D'ailleurs, qui ne le savait pas? L'absence de Mounir Chamoun se faisait toujours sentir. Mounir Chamoun était un de ces temples de la psychologie qu'il était difficile de trouver quelqu'un qui ne le connaissait pas. De son lit d'hôpital en France, il continuait encore à gérer au téléphone ses nombreux patients qu'il adressait avec soin aux thérapeutes du Liban.
Il avait formé tellement de générations de psychologues que peu pouvaient ne pas avoir bénéficié de son enseignement. C'est un des esprits les plus brillants de la seconde moitié du XXe siècle de notre pays qui vient de nous quitter.
Effectivement, Mounir Chamoun était un temple de la psychanalyse. Il fait partie d'une poignée d'hommes qui ont pu suivre en thérapie une grande partie de la population de notre pays. Mais sa psychanalyse avait ceci de particulier d'être inscrite non seulement dans une thérapie, mais aussi dans une dimension universitaire et de recherche qui manque cruellement à la psychanalyse et que lui pouvait si bien incarner.
Il était aussi vice-recteur de l'Université Saint-Joseph à la recherche et, surtout, rédacteur en chef d'une des plus belles publications de cette université, Travaux et Jours, revue fondée en 1961 et regroupant des articles de grande qualité du monde universitaire.
Mounir Chamoun était d'une culture et d'une érudition sans égales. Il aimait nous dire qu'il venait de lire tel ou tel ouvrage qui venait de sortir. L'ouvrage pouvait être aussi bien de la psychiatrie que de la psychologie ou des sciences humaines. Pour le psychiatre que je suis, je me plaisais à découvrir avec lui son savoir parfait, même des médicaments psychotropes qu'il connaissait tellement bien.
Mounir Chamoun était aussi d'un courage sans faille. Une des nombreuses patientes que l'on traitait ensemble nous a coûté un jour, il y a 10 ans de cela, d'aller ensemble au commissariat, puisque son père nous imposait de lui livrer le secret de sa fille majeure en lui donnant notre dossier médical. La fille a refusé et était en conflit avec son père. Très bien introduit, son père avait trouvé un magistrat qui a accepté de mener cette affaire surréaliste en nous obligeant à donner des informations pourtant relever du registre du secret professionnel. Nous nous trouvâmes au commissariat, moi accompagné de l'avocat de l'ordre des médecins et lui seul. « De toute façon, le psychanalyste n'a pas de dossiers », rétorqua-t-il. Il expliqua dès lors devant moi et le policier qu'il ne livrerait aucun mot sur sa patiente. Il voulait porter l'affaire au patriarche maronite et j'ai dû calmer son ardeur pour oublier ce mauvais moment.
Voilà ce qu'était Mounir Chamoun, un psychanalyste universitaire féru de culture et trempé de courage. Son absence constituera en langage psychanalytique une absence du père. J'ai envie de lui dire : Allez, Maître, reposez en paix. Même au ciel, on a besoin de psy et une thérapie à nous tous restés sans vous !

Dr Sami RICHA
Auteur de « La psychiatrie au Liban, une histoire et un regard » (éd. Dergham)

 

Partir n'est pas mourir...

Cher Mounir,
Je me souviens de notre première rencontre comme d'une fumée prodigieuse.
C'était en 1987. La salle fébrile d'étudiants, assis côte à côte et encore épris d'idéal, attendait le petit homme aux yeux d'argent. On allait enfin écouter celui qu'on désignait comme l'un des pionniers de la faculté des lettres de l'Université Saint-Joseph, qu'on qualifiait d'esprit libre, de parole vivante, de thaumaturge. La voix s'éleva dans les airs, enflammée et pénétrante, énergique, et au-dessus d'elle, deux prunelles brillaient d'une déchirante lumière. Elles parlaient de rêves, de portes d'ivoire, de lait maternel, de fulgurantes images, de la psyché humaine. Et nous, nous voguions en travers, ravis de plonger en nous-mêmes sous l'effet du mot puissant et du geste arrondi qui s'abaissait musicalement puis remontait, avec la courbe élargie d'un chef d'orchestre. La grâce de l'orateur. Le jaillissement du discours. Comment vous oublier, Mounir ? Partir n'est pas mourir.
Dix ans plus tard, 1997. La même voix descend vers moi, elle grasseye, elle s'impose, elle agit magnétiquement : « Je compte sur toi pour les cours de littérature à l'Université pour tous. » Pourquoi moi ? Ne pas se poser la question, juste accepter, relever le défi, faire ses preuves pour être digne de sa confiance. Le jour venu, devant mon premier public d'adultes, de loin mes aînés, je sortis fier et heureux d'avoir accompli ma mission sans faute. Mais sur le chemin du retour, le verdict tombe, au téléphone : « Il paraît que tu as cédé trop souvent le terrain aux interventions, aux questions. Concentre-toi sur ta lancée, sur l'enseignement magistral. » L'avertissement fait office de leçon et, depuis, à chaque fois que la classe s'égare en échos sonores, je me rappelle le conseil du chef. Vous m'avez enseigné l'audace de la chaire, Mounir, comment vous oublier ? Partir n'est pas mourir.
2009, douze ans après. L'oracle revient, insistant, il ne semble pas décidé à me lâcher : « Il est temps que tu assures la relève à l'Université pour tous. » Nouvelle mise à l'épreuve devant laquelle c'était un devoir absolu et une volupté de s'incliner. Il faut remplir son rôle maintenant, poursuivre la mission avec le même enthousiasme, ne pas se laisser dévorer dans la fosse aux lions, et surtout, ne pas décevoir le père bienveillant. Pourtant les idées se heurtent par moments, le projet initial change d'aspect, de perspective, et l'initiateur accepte, d'un léger sourire, que l'acolyte déploie ses ailes et prenne son essor, sans peur et sans révolte. Le continuateur n'est pas un imitateur, mais celui qui demeure, dans sa différence, dans sa singularité, fidèle et reconnaissant envers le maître. Mounir, la vie passe, les grandes œuvres restent, comment vous oublier ? Partir n'est pas mourir.
À vous, Mounir, toute ma gratitude, mon estime et mon tendre souvenir.

Gérard BEJJANI
Directeur de l'Université pour tous

 

 

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