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Moyen Orient et Monde - commentaire

Persistantes retombées chimiques en Syrie

À la recherche de traces d’armes chimiques, des experts de l’Onu prélevant des échantillons dans le quartier damascène de Aïn Tarma, en août 2013. Mohammad Abdullah/Reuters

L'échec de la communauté internationale à mettre un terme à la guerre en Syrie est une tragédie – et tout particulièrement pour ceux qui en souffrent depuis si longtemps. Sur un point pourtant l'action multilatérale a porté ses fruits : la destruction de l'arsenal d'armes chimiques du pouvoir syrien et de ses capacités de production. Des informations font pourtant état d'utilisations récentes d'armes chimiques, notamment de gaz à base de monochlorure de soufre (hypérite ou gaz moutarde) et de bombes au chlore, contre des civils en Syrie.
L'enjeu est crucial. Les responsables de ces attaques doivent être identifiés et menés devant la justice. Permettre que l'usage d'armes chimiques demeure impuni pourrait non seulement compromettre l'une des très rares évolutions positives du conflit syrien, mais constituerait aussi une menace de caducité des règlements internationaux concernant l'utilisation de gaz et d'agents neurotoxiques en même temps qu'elle augmenterait la probabilité d'un recours à de telles armes lors des attaques terroristes.

En août 2013, des roquettes contenant du gaz sarin ont frappé la Ghouta, une banlieue des environs de Damas contrôlée par les rebelles. Des images atroces de femmes et d'enfants à l'agonie ont mobilisé et rassemblé l'opinion internationale contre l'utilisation d'armes de ce genre. En octobre 2013, à la suite de l'accès de la Syrie à la Convention sur l'interdiction des armes chimiques (CIAC), une mission conjointe de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC) et des Nations unies fut chargée de détruire l'arsenal chimique du pays et ses unités de production.
Moins d'un an plus tard, la mission accomplissait ce à quoi nulle intervention militaire n'aurait pu parvenir : la menace stratégique des armes chimiques syriennes était effectivement éliminée. Certains aspects de la déclaration initiale du gouvernement syrien concernant son programme d'armement restent à éclaircir et le travail poursuit à cet égard son cours, mais 1 300 tonnes d'armes chimiques, dont les stocks de gaz moutarde et de composants pour la fabrication d'agents neurotoxiques létaux, ont été inventoriées et détruites sous l'œil attentif des inspecteurs de l'OIAC.

Ce succès ne saurait tolérer aucun recul. La Convention sur l'interdiction des armes chimiques est le résultat d'un des efforts les plus aboutis de l'humanité en matière de désarmement. Depuis son entrée en vigueur, en 1997, 192 pays ont accepté de se contraindre à ses dispositions et 91 % des armes chimiques déclarées dans le monde ont été détruites. L'usage réitéré d'armes chimiques dans le conflit syrien cause non seulement de terribles souffrances aux populations civiles, mais il risque aussi de saper la crédibilité de la convention.
Une mission d'information constituée par l'OIAC en avril 2014 a obtenu la « confirmation convaincante » de l'utilisation « systématique et répétée » d'un agent chimique toxique – probablement du chlore gazeux – contre des villages du nord de la Syrie. C'est sur la foi de ces observations que le Conseil de sécurité des Nations unies a convenu en août 2015 de la création d'un mécanisme d'enquête conjoint entre l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC) et l'Onu, le chargeant d'identifier les responsables de l'utilisation d'armes chimiques dans le conflit.


(Repère :Terrorisme et armes biologiques ou chimiques : quelques précédents)



On ne saurait permettre au brouillard de la guerre de mêler les responsabilités. Les auteurs d'attaques chimiques, quels qu'ils soient, doivent rendre des comptes. Les enquêteurs internationaux déployés en Syrie apportent à cette importante mission une expertise irremplaçable. Il est indispensable que les dirigeants politiques expriment leur confiance dans l'impartialité de ces spécialistes et leur permettent de mener à bien leur travail sans entraves d'aucune sorte, sans non plus critiquer après coup leurs conclusions. Lorsque les responsables de l'utilisation d'armes chimiques auront été identifiés, la communauté internationale devra s'assurer qu'ils seront poursuivis, envoyant ainsi un signal clair quant à l'inviolabilité de l'interdiction mondiale.

Les allégations persistantes selon lesquelles des acteurs non étatiques utiliseraient en Syrie et dans le nord de l'Irak des armes chimiques sont particulièrement inquiétantes, car elles renforcent la probabilité d'une utilisation de produits chimiques toxiques lors d'attaques terroristes. La fabrication d'agents neurotoxiques est un processus complexe, mais les extrémistes peuvent facilement faire usage de produits chimiques industriels toxiques – comme le chlore gazeux – s'ils en ont en leur possession. Une attaque conventionnelle contre un site chimique représente un autre risque, potentiellement dévastateur – elle n'est pas hors de portée d'un groupe terroriste correctement financé.

Presque vingt ans après l'entrée en vigueur de la Convention sur l'interdiction des armes chimiques, le traité se trouve face à un défi majeur. La menace d'un déploiement de gaz toxiques ou d'agents neurotoxiques lors d'un conflit entre deux pays a pratiquement été écartée. Si nous échouons à punir leur utilisation dans la guerre civile syrienne, nous courons le risque de saper le cadre réglementaire qui nous a menés au seuil d'un monde sans armes chimiques.

 

Traduction François Boisivon
© Project Syndicate, 2016.

Ahmet Üzümcü est directeur général de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC).

 

 

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