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Détours de force

Si la crise présidentielle ne sévissait pas depuis plus d'un an et demi déjà, il eut peut-être fallu l'inventer : cela à seule fin de montrer l'extrême vulnérabilité de notre système de gouvernement, dès lors que se conjuguent, pour le frapper de paralysie, mauvaise foi, obédiences étrangères et chantage à la guerre civile, bien évidemment exercé... à main armée.

Dans un microcosme libanais où les nuances d'antan ont fait place, ces dernières années, à un paysage politique perçu moitié noir et moitié blanc, l'actuelle impasse a par ailleurs le singulier mérite de rappeler à une opinion publique désemparée combien doivent être relativisés les pertes et profits engrangés ou essuyés par les divers acteurs politiques.

En voici plus d'un exemple, parmi bien d'autres. Naturelle, logique, largement justifiée a pu paraître, en son temps, l'émergence, sous les auspices du patriarcat maronite, d'un quatuor de présidentiables forts. Après tout, ce sont bien des personnages de premier plan que musulmans sunnites et chiites propulsent régulièrement aux hautes charges qui leur sont traditionnellement dévolues. Du lot ont paru soudain se détacher dernièrement deux favoris, tous deux membres du 8 Mars, et bénéficiant tous deux du soutien, hier encore impensable, de l'une ou l'autre partie du 14 Mars !

Peine perdue : aucun des deux favoris n'est en mesure, pour autant, de réunir les suffrages parlementaires nécessaires pour décrocher la timbale. Phénomène plus remarquable encore : se refusant à céder le passage, les deux champions du moment ne sont apparemment pas seuls à se neutraliser l'un l'autre. C'est en effet le carré d'as dans son intégralité qui risque d'être dépassé par la situation ; y trouveraient alors leur chance des candidats forts, non point d'une vaste assise populaire, mais d'autres atouts qui en feraient de très convenables présidents de consensus.

Deuxième exemple : c'est au plus malin qu'ont joué – l'un contre l'autre – Saad Hariri et Samir Geagea, s'attirant les bravos de leurs inconditionnels ; mais en sont-ils vraiment plus avancés ? Le premier a fait part d'une incroyable désinvolture en larguant celui qui fut longtemps son propre compagnon et même candidat pour en choisir un dans le camp adverse, croyant s'assurer de la sorte un ticket de retour au pouvoir. En lui rendant la monnaie de sa pièce, en se livrant au même et spectaculaire grand écart pour se rallier à son ennemi de la veille, le chef des Forces libanaises a cru, lui, réintroduire avec force la composante chrétienne dans le processus de fabrication du président. Confrontés à la même impasse, Saad Hariri et Samir Geagea semblent néanmoins condamnés à se retrouver tôt ou tard : le premier parce que le 14 Mars peut difficilement trouver ailleurs une aussi consistante couverture chrétienne ; et le second parce que, dans un Liban multiculturel en proie aux ambitions dévorantes de deux islamismes rivaux, c'est encore le courant du Futur qui fait le plus efficacement barrage à un extrémisme sunnite qu'alimente furieusement l'équipée syrienne du Hezbollah.

Faut-il absolument que ce dernier nous mette un pistolet sur la tempe ? twittait dimanche le président de l'Assemblée, hostile comme on sait au général Aoun et l'un des parrains de la candidature Frangié. Que non, Monsieur le Président Berry, rassurez-vous : pour peu que la milice se décide à abattre ses cartes, il n'en faudra jamais autant pour vous ramener dans le rang. Le pistolet, la roquette, comme vous dites, c'est ailleurs, sur le jeu démocratique, sur le système et ses institutions, qu'ils sont en permanence pointés.

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Si la crise présidentielle ne sévissait pas depuis plus d'un an et demi déjà, il eut peut-être fallu l'inventer : cela à seule fin de montrer l'extrême vulnérabilité de notre système de gouvernement, dès lors que se conjuguent, pour le frapper de paralysie, mauvaise foi, obédiences étrangères et chantage à la guerre civile, bien évidemment exercé... à main armée.
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