Réinventer. Toute une vie durant. Réinventer. Tout le temps. Réinventer. Tout. Réinventer le monde, pas nécessairement parce qu'il est laid, mais juste parce qu'il est trop étroit, un peu étriqué, pas très ergonomique. Réinventer l'autre, pas nécessairement parce qu'il est insignifiant, mais juste parce qu'on veut le customiser, l'aider à se métamorphoser, l'optimiser. Réinventer son être-au-monde, pas nécessairement parce que nos manières d'agir et de réagir, de faire, de défaire ou de parfaire, sont pataudes, bancales, bouffées de scories, mais juste parce qu'il faut résister. Encore et toujours.
David Bowie était un misfit – il tirait la langue et les deux poings. Un Alien – il (é)tendait des cordes de clocher à clocher, des guirlandes de fenêtre à fenêtre, des chaînes d'or d'étoile à étoile, et il dansait. Un visionnaire – il était convaincu qu'il fallait, absolument, être moderne. Un voyant – il trouvait que le ciel était joli comme un ange. Un passionné – il galopait derrière les rousseurs amères de l'amour. Un sorcier – il savait, presque mieux que quiconque, color(i)er les voyelles et dire et redire leurs naissances latentes. David Bowie était un réinventeur.
Il avait tout vu. Et revu. Tout recréé. Nos mythes. Nos mythologies. Sémiologue. Paléontologue. Aristotélicien. Maquilleur. Psychanalyste. Costumier. (Ra)conteur. Directeur. Il avait, Petit Poucet beau à en crever, jeté plein, tellement plein de petites pierres, comme autant de pistes, de réponses ébauchées. Mais qui sommes-nous ? Des Rebel ? Des Scary Monsters ? Des Jean Genie ? Des Starman ? Mais sommes-nous seuls ? Y a-t-il une Life On Mars ? Et si c'était Loving The Aliens ? Mais comment cohabiter avec nos démons, nos addictions, nos Major Tom (to ground control), nos virées dans cent et un Whisky bars, nos Cruise me, baby, I'm deranged, nos Rock'n'roll suicide ? Mais comment dompter notre peur originelle, Never get old, ce goût de cendres constamment en bouche, Ashes to ashes, ce besoin fol de résurrection, Lazarus ? Mais comment rég(u)ler notre rapport à l'Américain, haï et idolâtré à la fois, notre I'm Afraid Of Americans, notre non : This Is Not America ? Mais comment se dépuceler, en amour, au travail, partout, misfits, toujours, et/ou Absolute Beginners que nous sommes ? Mais comment résister, à un tyran, à un régime sanguinaire, à un État, islamique ou pas, à une injustice, une violence conjugale, une discrimination, quelle qu'elle soit : sale Noir, sale pédé, sale juif, sale Arabe, sale tatoué, sale différent, mais comment faire refleurir les cerisiers et les pommiers et imposer un printemps un 17 décembre, un 25 janvier, un 14 mars, mais comment (donc), Like dolphins can swim, We can be heroes, just for one day, we can be us, just for one day ?
Arthur Rimbaud n'est pas mort. Il a accouché, par méta/anamorphose, d'un fils : David Bowie. Il lui a légué toute sa science de l'alchimie, et le cuivre s'est réveillé clairon ; toute sa noirceur : Les aubes sont navrantes, toute lune est atroce et tout soleil amer, et toute sa foi : Ô flots abracadabrantesques, prenez mon cœur, qu'il soit sauvé, en sachant pertinemment que plus de cent ans après, l'héritier irait plus loin, tellement plus loin, dans la réinvention (Bob l'éponge essore ses larmes), dans la transfiguration (les caméras de Nagisa Oshima, de Tony Scott, de Martin Scorsese ou de Nicolas Roeg s'en souviendront toujours) et dans le don. Qu'il ferait primer, infiniment, malgré (ou à cause de) tous les excès, vastes comme des océans, un intransigeant I Love Life à toutes les logiques de mort.
En ce IIIe millénaire, profondément vilain, daechisé et fascisé dans son esprit, d'Orient en Occident, les résistances inouïes et somptueuses d'un David Bowie, ses identités infinies et salutaires, posées comme autant d'actes culturels, éminemment politiques donc, vont manquer. Des manques d'une cruauté atroce. Rimbaldienne.
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commentaires (4)
A lire et a relire ..... J aime .
Michel Cherabieh
16 h 47, le 12 janvier 2016