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Lifestyle - Tous les chats sont gris

Et boire un coup, encore un coup, contre le terrorisme

Beyrouth après les attentats de la semaine dernière, ou la preuve vivante que l'on peut être à la fois vulnérable et invincible. La preuve que la nuit et ses fêtards récupèrent leurs droits. Que les paillettes, la musique, l'alcool, les boîtes, les fêtes, la vie reprendront le dessus et que la terreur ne l'emportera pas. Pas cette fois en tout cas.

Que les moralisateurs bienséants qui se cachent sous le nénuphar du Pourquoi les Libanais se sentent-ils plus concernés par Paris que par Beyrouth ? se calment immédiatement. Si ça peut les rassurer, oui, nous avons tous été anéantis par ce qui a touché un Beyrouth déjà éclopé et sous respirateur. Il y a eu les pleureurs des réseaux sociaux langeant leur déprime dans des statuts Facebook et des tweets, les doloristes éplorés transférant des images de l'attentat de Bourj el-Brajneh et ses victimes ensanglantées, et toute la Toile en lambeaux, les drapeaux en berne, la nausée habituelle, les bougies agenouillées et les intentions affligées: de quoi faire jubiler les assassins et leurs commanditaires qui n'en finissent pas de se muscler sur notre dos. Mais passé ce deuil qui joue les sangsues, passés les moments d'émotion et de recueillement, les Libanais ont sans surprise choisi de s'accrocher à la fête, c'est-à-dire à la vie, dans ce qu'elle a de plus plein, de plus intense. Pour repousser ce cauchemar et ces délires ascétiques surgis d'un autre âge, tout le week-end durant, ils ont continué à déconner, à être ensemble, à être libres, à manger, danser, boire, séduire, sortir. Bref, tout ce qui contribue à faire d'un être humain un être humain, et non pas une sinistre machine lobotomisée.

Hurons fiers de l'être
Blessée jusqu'à la moelle, meurtrie dans l'âme, la nuit beyrouthine s'illuminait quand même de tous ses pores. Pas par indifférence, ni manque de respect. Non. Plutôt en mémoire de ces hommes et femmes abattus comme du gibier. Pour eux, d'ailleurs, les fêtards ont refusé d'être civilisés face aux barbares. Ils n'ont plus voulu être les bons reclus contre les méchants en vadrouille, les humanistes claquemurés dans le cagibi de leurs tristesses, opposés aux abrutis à ceintures explosives. En hurons fiers de l'être, ils ont scié à grand bruit le silence imposé par tant de bouffeurs de liberté. Ils ont résisté, à leur manière, à coup de bises claquées et de verres cognés, partout, dans les restaurants, les bars et sur les trottoirs de la capitale. Ces bitumes, de Hamra à Mar Mikhaël, ont vu défiler des Libanais naturellement divers et colorés, joyeux et mélangés, occasionnellement ivres, qui ont outrageusement mal garé leurs voitures, atrocement bruyants, toujours, mais d'une humanité heureuse et insouciante qui sait alléger les moments durs. Et leur manière tactile, quoique parfois naïve, qui sait prendre dans ses bras qui il faut, comme il faut. Trouver les justes mots de consolation sans verser dans le pompeux pathétique, le pathos angoissé. « Lundi je prends le vol pour Paris, je ne peux pas rater cet anniversaire!» avertissait une bourgeoise en terrasse d'un restaurant d'Achrafieh, trinquant à la santé de Beyrouth et de Paris, un Côtes du Rhône à la main. «On a vu pire, on a eu pire!» rassurait le videur de cette boîte de la Quarantaine, «Kello byemché, ahamma chi el-sahha» (Tout ira bien tant que la santé est bonne), disait même un vendeur de roses, rue Makdessi, à un jeune homme gracieusement alcoolisé et visiblement inquiet de la situation.

Beaujolais nouveau
En résistant à la tentation du repli, toutes les manifestations prévues pour le week-end dernier ont eu lieu, comme prévu. Rien que pour la nécessité de maintenir les droits de la vie contre une pulsion de mort qui voudrait tout détruire. La résistance, c'était donc une installation de sculptures en forme de tortues sur un toit chez PS Lab, et la compassion décontractée d'une DJ qui a tenu à passer un tube de Feyrouz un tantinet pleurnicheuse, pour ne rien changer. C'était la soirée d'un gala pour une ONG, où ces mondains, qui aiment avant tout mépriser autrui sans même savoir pourquoi, ont quand même fait l'effort de se saper version années folles, de discuter, de se pavaner, de frimer, parader, agaçant l'un, attirant l'autre. En somme, tout ce qui fait le sel, le sens, le plaisir et l'émancipation des sociétés libres, tout ce que les assassins et leurs commanditaires ont voulu briser.
C'était aussi la réouverture du O1Ne, les berlines qui flirtent en file indienne, les bouts de tissu à jambes nues, ce symbole de liberté gambadante et d'affranchissement désirant, et puis les bouteilles de bulles qui explosaient comme un grand éclat de rire à la figure du terrorisme. C'étaient nos paillettes contre leurs mitraillettes, les drapeaux français et libanais projetés en coude à coude sur les écrans géants de la boîte. L'hymne national et la Marseillaise montant dans le ciel d'un Beyrouth ému, mais goguenard, trompétant ces paroles désuètes, ânonnant ces chants naphtalinés, quitte à se retrouver dans les bras de la Castafiore.
La résistance, c'est enfin l'arrivée aujourd'hui du Beaujolais nouveau, comme pour déblayer les vendanges pourries et l'herbe folle des mauvais souvenirs. C'est lorsqu'on ira le boire, tous ensemble, encore plus divers, mélangés, contradictoires, désaccordés mais non moins unis.

 

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commentaires (1)

Sur à peu près cinq millions de Libanais inscrits dans les registres de l’État Civil dont un million à un million et demi sont binationaux, déjà émigrés et non-résidents ; et sur l'un million et demi de Syriens ou autres réfugiés(irakiens) ou installés déjà au Liban ainsi que sur le demi-million de Palestiniens réfugiés ou déjà naturalisés au Liban : soit au total plus ou moins cinq millions et demi d'individus établis sur ce sol (ayant déduit l'un million à un million et demi de non-résidents). A combien se chiffrerait le nombre d'entre eux qui "participent" ou qui ont "les moyens" de participer à toutes ces sorties ou soirées ? Cinquante mille ? Cent mille ? Deux cents mille ? Donc 1%, 2% ou maximum 4% du total "coincé" dans ce pays ! E La Nave Va !

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

10 h 45, le 21 novembre 2015

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Commentaires (1)

  • Sur à peu près cinq millions de Libanais inscrits dans les registres de l’État Civil dont un million à un million et demi sont binationaux, déjà émigrés et non-résidents ; et sur l'un million et demi de Syriens ou autres réfugiés(irakiens) ou installés déjà au Liban ainsi que sur le demi-million de Palestiniens réfugiés ou déjà naturalisés au Liban : soit au total plus ou moins cinq millions et demi d'individus établis sur ce sol (ayant déduit l'un million à un million et demi de non-résidents). A combien se chiffrerait le nombre d'entre eux qui "participent" ou qui ont "les moyens" de participer à toutes ces sorties ou soirées ? Cinquante mille ? Cent mille ? Deux cents mille ? Donc 1%, 2% ou maximum 4% du total "coincé" dans ce pays ! E La Nave Va !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    10 h 45, le 21 novembre 2015

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