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Lifestyle - Tous les chats sont gris

Vient de s’enregistrer au « VIP Cedar’s Lounge »...

À Beyrouth plus qu'ailleurs, dans une ville où les quais ne sont plus que chemins de fer rouillés et les embarcadères réservés aux conteneurs herculéens, il ne reste que l'aéroport pour goûter, dans la nuit rampante, à cet étrange mélange entre l'éphémère et l'intense, l'insaisissable et l'excitant. Calfeutrés dans les fauteuils du lounge, à cheval entre terre ferme et firmament.

Photo G.K.

On a beau collectionner les cartes frequent flyer argent, or, ou platine, vivre dans des valises et être abonnés aux autoroutes aériennes, rien ne peut empêcher cette boule indéfinissable de se loger au creux de nos estomacs lorsque le douanier vient de tamponner notre passeport avec son regard en alouette. Comme si ce geste marquait un aller sans retour, estampillé bleu, rouge ou noir. Et même si le voyage se résume à une signature de contrat sur 24 heures ou signifie que de fins grains de sable chaud viendront harceler les orteils, il y a, à cet instant, toute une armée de peurs qui, sournoisement, fourmille l'esprit, corroborée par la noirceur d'un ciel sans issu. Des plus justes aux moins cartésiennes : est-ce que la nourriture suffira aux gamins ? Est-ce que cette signature se fera cette fois ? Est-ce qu'on me chopera avec ma maîtresse dans un café ? Est-ce que le pilote décidera de se suicider, y aura-t-il un kamikaze à bord ? Est-ce que je rattraperai ma connexion ? Est-ce qu'il arrêtera de m'aimer ? Est-ce que je serai à la hauteur de ce diplôme ?

En rouge carmin
À cette heure tardive de la nuit, pas la force de faire du lèche-vitrine dans les boutiques glacées de la zone hors taxes. Pas d'humeur à jouer les cobayes pour des parfums fraîchement lancés sur le marché, encore moins à se coltiner les enfants qui galopent dans tous les sens, à l'affût de la moindre gourmandise colorée. Un peu hagards, bâillements retenus au bord des lèvres, on préfère langer ce curieux sentiment sous la lumière nébuleuse et dans les fauteuils fripés du lounge. Le lieu est gardé par une réceptionniste vêtue d'une tenue rouge carmin, presque similaire à celle des hôtesses de l'air de la MEA. Elle s'assure que votre billet d'avion ou votre carte privilège vous autorisent l'accès et puis, comme si vous aviez gagné un peu plus de crédibilité rien qu'en ayant casqué le prix fort, elle vous lance avec un sourire à demi ensommeillé : « Bienvenu au Cedars Lounge ! » Alors, comme ça, de prime abord, on pourrait croire qu'il y aura de petits cèdres en guise de plantes décoratives ou, à la rigueur, un thème ornemental autour de cet arbre centenaire. Hélas, rien de cela. Simplement une installation végétale aux allures de forêt tropicale qui vous accueille et tend ses bras de part et d'autre de ce grand salon symétriquement agencé autour de ce coin prétendument vert.

S'approprier l'espace
Traînant comme un boulet sa valise à main, on cherche désespérément un coin de canapé où s'affaler dans l'attente du signal d'embarquement. Le décor est troublant, à la fois kitsch et lugubre, figé dans des 90's de mauvais goût, tout en beige et bordeaux. À observer le cuir, le marbre, le carrelage et la tenue des serveurs, on pourrait même penser qu'Élias Hraoui est encore président. Les voyageurs, visiblement étrangers à la notion de partage, s'emparent de deux, voire trois sièges, qu'ils investissent comme leurs salons privés. Une mère de famille couche chacun de ses trois enfants sur un fauteuil, un photographe installe toute sa panoplie et vérifie son matériel qui s'étend sur deux blocs, une bimbo aux griffes french manucurées dépose ses quatre besaces sur les sofas qui l'entourent, résistant à toute compagnie. Elle doit être, sans aucun doute, en train d'annoncer à ses connaissances Facebook qu'elle « Check in au VIP Lounge de l'éroport Rafic Hariri ». Tant pis, il faudra patienter autour d'une table, près du buffet dont les relents font tristement penser aux snacks d'anniversaire d'enfant.
Derrière le comptoir, le barman rêvasse, fixant de ses yeux rougis un poste de télévision. Les passagers en attente évitent de l'interrompre, car il semble, même si le son est coupé, que des choses graves se trament aux infos. Ça doit sans doute être cette angoisse nocturne qui joue de vilains tours. On nous offre des lingettes rafraîchissantes, les mêmes que celles de l'avion. Il y a en fond une version karaoké de Feyrouz, bercée par cet air froid et sec, himalayen, qu'on associe toujours aux voyages en avion.
Et surtout ce sentiment d'entre-deux, quelque chose d'à la fois transitoire et saisissant, momentané et captivant, lorsqu'on quitte ce lounge pour embarquer, et qu'on s'arrête face au tarmac, en regardant les avions qui en décollent, bulles quasi hermétiques, dans un ciel idéal.

 

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On a beau collectionner les cartes frequent flyer argent, or, ou platine, vivre dans des valises et être abonnés aux autoroutes aériennes, rien ne peut empêcher cette boule indéfinissable de se loger au creux de nos estomacs lorsque le douanier vient de tamponner notre passeport avec son regard en alouette. Comme si ce geste marquait un aller sans retour, estampillé bleu, rouge ou noir. Et...

commentaires (1)

Rien de tres allechant dans ce salon VIP! Mieux vaut etre avec le voyageur moyen dans un des cafes de l'aeroport ou le Cappucino est bien plus cher que dans les rues les plus huppees de Milan. Le prix de la bouteille d'eau ne devrait pas depasser mille livres libanaises et devrait etre accesssible a tous les passagers quelle que soit leur nationalite ou niveau de vie.

Carine Husni

12 h 29, le 04 octobre 2015

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Commentaires (1)

  • Rien de tres allechant dans ce salon VIP! Mieux vaut etre avec le voyageur moyen dans un des cafes de l'aeroport ou le Cappucino est bien plus cher que dans les rues les plus huppees de Milan. Le prix de la bouteille d'eau ne devrait pas depasser mille livres libanaises et devrait etre accesssible a tous les passagers quelle que soit leur nationalite ou niveau de vie.

    Carine Husni

    12 h 29, le 04 octobre 2015

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