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Liban - Échos de l’agora

Béchara el-Khoury et Riad el-Solh : l’affirmation du vivre-ensemble

Béchara el-khoury.

Dans The Precarious Republic, Michael Hudson louait en 1968 la stabilité constitutionnelle du Liban, qui permet aux institutions démocratiques de ce pays d'exister ; contrairement aux sociétés occidentales qui connaissent un processus inverse. La Constitution libanaise, œuvre de Michel Chiha, a précédé la naissance du Liban indépendant alors qu'en Occident, par exemple, l'État a souvent existé bien avant l'élaboration d'une Constitution.

Il est salutaire de rappeler de telles vérités en cette veille du soixante douzième anniversaire de l'indépendance du Liban en 1943 et, surtout, de la formulation du célèbre pacte national, expression non-écrite du vivre-ensemble libanais, œuvre de deux hommes politiques, et non deux responsables religieux, Bechara el-Khoury, chef du parti constitutionnaliste, et Riad el-Solh, figure éminente du courant indépendantiste arabe.
Que n'a-t-on pas entendu comme critiques à propos de ce pacte et de son caractère, du moins utopique sinon illusoire. On rappellera que cet engagement, car il s'agit bel et bien d'une parole donnée, repose sur trois piliers :
1. L'indépendance libanaise à l'égard des États arabes et de ceux d'Occident. Les chrétiens renoncent définitivement à une quelconque protection auprès d'une puissance étrangère et les musulmans à toute recherche d'unité pan-syrienne ou pan-arabe.
2. L'égalité de tous les citoyens, tempérée il est vrai, par la répartition des emplois publics au prorata du poids démographique de chaque communauté.
3. Le troisième pilier affirme l'arabité du Liban et son plein partenariat avec les pays de la région pour autant que ces derniers respectent son indépendance et sa souveraineté.

En principe, ce pacte est une affirmation, avant terme, d'une sorte de neutralité politique positive du Liban. Son deuxième pilier est un héritage direct des grandes réformes ottomanes : les Tanzimat de 1839 qui avaient proclamé l'égalité de tous les citoyens devant la loi, mais aussi les Islahat de 1856 qui avaient conféré aux communautés religieuses non musulmanes la personnalité morale de droit public, fondant ainsi le droit communautaire. Le premier pilier, par contre, est une renonciation claire et nette au statut avilissant de « protégés » des chrétiens, ou de celui de n'être qu'un écho de la vaste « oumma » en ce qui concerne les musulmans.

Le pacte national sera mis à rude épreuve de 1956 à 1989, date de la signature des accords de Taëf qui non seulement réaffirment, par écrit, l'esprit du pacte de 1943 mais, de plus, font du vivre-ensemble libanais le fondement de toute légitimité et la soupape de sécurité par excellence contre toute dérive hégémonique des uns et des autres, c'est-à-dire tant contre le christianisme politique que contre l'islam politique, sunnite à l'époque, comme l'écrivait dans ces mêmes colonnes Abdelhamid al-Ahdab le 09/11/2015.
Mais déjà, dès le 10 mars 1949, Georges Naccache, évoquant l'équation du pacte « Ni arabisation ni occidentalisation », écrivait sa fameuse boutade qui lui valut la prison : « Deux négations ne font pas une nation. » Cette réflexion ambiguë et si mal comprise sert de lieu commun inconsistant à tous ceux qui refusent le vivre-ensemble libanais et lui préfèrent les ghettos identitaires.

La double négation évoquée par Naccache n'est pas une double exclusion de l'Autre comme on le sous-entend, mais un acte courageux et positif, une décision libre de quitter le giron d'un protecteur étranger ou la matrice d'une oumma. Il s'agit d'un engagement que s'accordent mutuellement deux partenaires de vie qui, comme deux fiancés, commencent par renoncer à vivre chez papa et maman afin de construire, ensemble, un projet de vie et fonder une famille nouvelle. Tel est le sens profond du vivre-ensemble libanais. Les accords constitutionnels de Taëf de 1989 ont parfaitement compris la valeur inestimable de l'engagement mutuel de Riad el-Solh et Béchara el- Khoury. Par leurs dispositions, ces accords mettent en place les mécanismes de sortie de l'impasse confessionnelle, talon d'Achille du pacte de 1943, par la mise en place d'un Sénat donnant les garanties nécessaires aux communautés et permettant de séculariser l'État et de libérer le Parlement de l'hypothèque du prorata du poids démographique, tout en établissant une représentativité paritaire à égalité entre chrétiens et musulmans.

Au milieu des détritus qui s'amoncellent actuellement, au fin fond de l'abîme du blocage institutionnel, au plus sombre du gouffre du démantèlement de l'État libanais, luit une lueur d'espoir : l'esprit du pacte national de 1943. Au milieu de la tourmente terroriste qui déferle sur le monde, face à l'apocalypse qui brûle le Levant, l'œuvre de Béchara el-Khoury et Riad el-Solh, prolongée par Taëf, apparaît comme une source d'eaux fraîches, une soupape de sécurité pour maintenir le Liban comme oasis du vivre-ensemble et comme espace de partenariat, dans l'exercice du pouvoir, entre chrétiens et musulmans, mais également entre sunnites et chiites, catholiques et orthodoxes, en attendant la sécularisation complète de la république libanaise.

En ce 72e anniversaire de notre indépendance, notre devoir de mémoire exige que nous rendions un hommage appuyé à trois éminentes figures de notre histoire : Michel Chiha qui a su rédiger un texte constitutionnel étonnamment stable, ainsi qu'au couple Béchara el-Khoury et Riad el-Solh qui se sont accordé mutuellement confiance au nom des générations libanaises. Le dernier discours de Hassan Nasrallah est une reconnaissance implicite de la force que recèlent en eux-mêmes notre pacte national ainsi que les accords de Taëf.

 

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commentaires (4)

Wâllaââh !

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

10 h 54, le 21 novembre 2015

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Commentaires (4)

  • Wâllaââh !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    10 h 54, le 21 novembre 2015

  • ET AUJOURD'HUI... L'ABRUTISSEMENT A REMPLACÉ LE PATRIOTISME...

    LA LIBRE EXPRESSION

    20 h 20, le 20 novembre 2015

  • Certains puînés rompues aux contorsions et aux roublardises, se munissent de longues cuillères pour dîner avec l’intellectuel honnête et "couvrent", avec point trop d’ecchymoses, la plupart des parcours dus à leurs croche-pieds. Il arrive toutefois que leur pelote de khéch ou de kétténe soit si emberlificotée, que + personne ne réussit à tirer le fil ; chréti(e)n ou musulm(ent)an ; qui permettrait un new ravaudage libanais(h) multicolorié ! Ils y arrivent, précisément, à un de ces moments ! Qu’il faudra, maybe, appeler de Vérité. Car, voici que someone appelle 1 fois de + un chat un bésss et ces fripons des fripouilles. En rhétorique polémique, c’est à peine 1 écart de langage. Il n’en reste pas moins que dans le hourvari qui s’en suit, on se mettra bien sûr, à qualifier de "provocation" ce qu’hier était clarté. Et à appeler "mettre de l’huile sur le feu", ce que naguère on baptisait courage ! Et qui donc n’a pas 1 fois au moins, à l’instar de cette "saine Ostie", dénoncé cez-ébaubis sans any patriotisme et leur provocante ineptie ? Ou à tout le moins menacé de le faire si ces derniers des derniers dépassaient, 1 fois de +, les limites par l’honnêteté intellectuelle limitées. Et qui donc ne serait + prêt à jurer, comme hier il le faisait ; et plutôt 2 fois qu’1 ; que la next fois que ces indigènes vrais oseraient encore dénier à ce Libanais Vrai ce qu’il défend ardemment en matière de "libanisme" + ou moins vrai, il trouvera à quelle "sainte Ostie" s’adresser ? Non mais !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    16 h 01, le 20 novembre 2015

  • "Le dernier discours de Hassan Nasrallah est une reconnaissance implicite de la force que recèlent en eux-mêmes notre pacte national ainsi que les accords de Taëf." ! Oui, mais la "sainte Ostie" n'est-ce pas, devrait faire gaffe à la sournoiserie d'un certain "raisonnement" basé sur la "Takkïyâh" !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    12 h 17, le 20 novembre 2015

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