Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole

13 octobre : le témoignage du général Salim Kallas*

En cette 25e commémoration du 13 octobre 1990, je me souviens des sacrifices des vaillants militaires et du dévouement des fidèles citoyens qui ont cru en un Liban souverain et indépendant. Je garde au fond de mon cœur un sentiment de tristesse à l'idée que cet espoir pour un Liban libre a abouti à un échec presque total.
Il serait important de se rappeler quelques séquences inédites de cette période tragique de notre histoire.
Au matin d'une chaude journée d'août de l'année 1990, je recevais à mon bureau au commandement de la 8e brigade à Fayadieh la visite inattendue de M. Khattar Hadassi, neveu du président de la République Élias Hraoui. Khattar est un fidèle ami de jeunesse et un intime du général Michel Aoun. Khattar était chargé de transmettre le souhait de l'ambassadeur du Royaume-Uni Allen Ramsay de me recevoir à 17 heures du même jour en sa résidence de Rabieh pour débattre d'une question d'extrême urgence. Je gardai ma visite confidentielle en prétextant une inspection de routine des éléments de ma brigade assurant la sécurité de la résidence de l'ambassadeur. Celui-ci, d'imposante allure, me reçut dans un petit salon faiblement éclairé, alors que sifflaient dehors les obus d'artillerie lourde. Allen Ramsay fit servir le « five o'clock tea », puis, en présence de M. Hadassi, entama directement le sujet. Son but était de passer un message fort délicat au général Aoun vu l'amitié qui nous liait et l'importance de ma position dans la hiérarchie du système. Il souligna que son gouvernement reconnaissait la légitimité du cabinet de M. Sélim Hoss et interdisait tout contact avec l'autorité du général Aoun. Celui-ci est dans une situation politique et militaire désespérée, ajouta-t-il, et s'il s'obstine, il va se retrouver coincé dans une situation sans horizon, l'étau se resserrant autour de son enclave augurant d'une catastrophe totale. M. Ramsay était disposé à dialoguer avec le général Aoun à travers une tierce personne pour trouver une issue honorable préservant les intérêts nationaux. Le temps pressait et une réponse rapide était nécessaire pour mener à bien cette mission presque impossible.
J'essayai d'expliquer à l'ambassadeur que le général Aoun n'est pas une personne qui cède à la pression, qu'il n'accepterait en aucun cas de dialoguer dans des conditions pareilles. Le diplomate insista néanmoins pour que soit passé le message, espérant obtenir une réponse le lendemain à la même heure. Sans perte de temps, je me dirigeai vers le palais de Baabda. Le général accueillit froidement la proposition mais promit de répondre dans le délai demandé. La journée du lendemain passa sans aucun signe de la part du général et je dus repartir chez l'ambassadeur pour lui en faire part. En peu de mots, Ramsay me fit savoir que le destin du général était au cœur d'une situation tragique, la décision de mater la « rébellion » ayant été prise. Malgré cette situation critique, l'ambassadeur était disposé à rencontrer Michel Aoun en un lieu non officiel pour donner une dernière chance à un accord. Sur ce, je proposai une réunion à déjeuner en ma demeure provisoire de Araya. L'accord de l'ambassadeur étant acquis, il fallait encore convaincre le général qui accepta. Le déjeuner fut fixé au jeudi 23 août à 14 heures, et l'ambassadeur, accompagné de sa femme, arriva à l'heure, malgré les obus qui pleuvaient sur tout le front de Souk el-Gharb. À 14h15, n'ayant reçu aucun signe du général, je lui téléphonai ; à ma grande surprise, il me pria de l'excuser ; j'exigeai alors qu'il en informe directement l'ambassadeur afin de clarifier une situation aussi ambiguë. Les deux hommes échangèrent une courte conversation, à la suite de laquelle nous passâmes à table.
Après le repas, l'ambassadeur, qui semblait vexé, me conseilla d'envoyer ma famille hors du pays pour raison de sécurité. De fait, la situation politique et militaire se détériora en septembre ; toutes les démarches pour arriver à un compromis ayant échoué, une action militaire était imminente.
Le 13 octobre 1990, à sept heures du matin, suite au bombardement par l'aviation syrienne du palais présidentiel, le général me téléphona pour une évaluation de ce développement tragique. C'était clair, un feu vert international pour mettre fin à la « rébellion » avait été donné. Je proposai au général de déployer ma brigade, qui était alors positionnée en réserve, pour défendre le palais présidentiel et le ministère de la Défense, mais il insista pour que je me conforme aux ordres du directeur des opérations de l'armée pour soutenir les divers fronts.
À peine la conversation terminée, sûrement objet d'écoutes, des tirs de chars et de canon d'artillerie prenaient pour cible ma demeure de Hazmieh, qui fut complètement endommagée ; je pus néanmoins échapper par miracle, avec mes soldats, à cet attentat bien calculé. Une demi-heure plus tard, et à ma grande surprise, j'appris que les médias diffusaient en flash un communiqué de résignation du général Aoun. J'appelai immédiatement le palais de Baabda pour me renseigner, et le commandant de la garde présidentielle, le général Michel Abou Rizk, me confirma que le général avait subitement quitté le palais à destination de l'ambassade de France à Hazmieh. Sur-le-champ, je contactai l'ambassade. Quand j'eus le général à l'autre bout de la ligne, je lui demandai de m'expliquer les motifs de son désistement et de sa présence à l'ambassade. Il chercha à couper court à la discussion en affirmant que c'était là une décision internationale à laquelle nous ne pouvions faire obstacle, et me demanda de rallier le commandement du général Émile Lahoud.
Sur les fronts, cependant, l'appel du général ne fut pas reçu ; les combats s'intensifiaient, la défense s'acharnait et les pertes s'accumulaient. Je pris alors l'initiative de bloquer la zone de déploiement de ma brigade, face à toute force syrienne qui tenterait de pénétrer mon dispositif, et communiquai ma décision au directeur des opérations, le général Jean Farah. En même temps, je donnai l'ordre au bataillon d'artillerie de la brigade de continuer de soutenir les soldats déployés sur les fronts de défense face à l'attaque syrienne. Durant cette journée, et jusqu'à l'arrêt des combats, les canons de 155 m/m du 85e bataillon tirèrent à cette fin plus de 800 obus. Cette bataille fut inéquitable, les unités de défense se trouvant débordées par le nombre des assaillants et délaissées à l'initiative personnelle de leur chef de terrain. Malgré toutes ces conditions anormales, les soldats libanais, par leur courage et leurs sacrifices, se sont montrés dignes de l'admiration du peuple libanais qui garde un sentiment de fierté pour son armée. Le 13 octobre 1990 est un chapitre glorieux de dévouement et de prouesse, en défense d'une noble cause.

*Commandant de la 8e brigade (1984-1990)

En cette 25e commémoration du 13 octobre 1990, je me souviens des sacrifices des vaillants militaires et du dévouement des fidèles citoyens qui ont cru en un Liban souverain et indépendant. Je garde au fond de mon cœur un sentiment de tristesse à l'idée que cet espoir pour un Liban libre a abouti à un échec presque total.Il serait important de se rappeler quelques séquences inédites de...

commentaires (1)

Oui ,ce fut un jour glorieux et héroïque...et je salut les combattants pour leurs courage , mais il semble une fois de plus que les européens and associés US ,n'ont pas vraiment tenu leurs parole...et favoriser l'intrusion de l'armée syrienne.... 25 ans après leurs parole ne vaut pas mieux ...donc , aux libanais de prendre leurs responsabilités...

M.V.

18 h 37, le 13 octobre 2015

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • Oui ,ce fut un jour glorieux et héroïque...et je salut les combattants pour leurs courage , mais il semble une fois de plus que les européens and associés US ,n'ont pas vraiment tenu leurs parole...et favoriser l'intrusion de l'armée syrienne.... 25 ans après leurs parole ne vaut pas mieux ...donc , aux libanais de prendre leurs responsabilités...

    M.V.

    18 h 37, le 13 octobre 2015

Retour en haut