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Nos Lecteurs ont la Parole - Georges TYAN

Le sang aussi est une marchandise

J'avais préparé mes papiers, mes crayons et mes gommes, rempli de hargne mon plus bel encrier pour y tremper ma plume d'apparât, dessiner avec soin des mots énormes, grands comme les beaux rochers de nos montagnes, qu'on sort uniquement aux grandes occasions, pour attirer l'attention, envoyer un message, crier son dégoût d'une situation devenue intolérable.
Je voulais, toute frustration dehors, violente, incontrôlée, sortir ma grosse artillerie, tirer à bout portant sur de minuscules personnages à l'ego surdimensionné, infatués d'eux-mêmes qui se donnent en un misérable spectacle, tenant plus de la bouffonnerie que du législatif, leur fonction principale.
Je voulais, d'un seul mot bien senti, faire parler la poudre et hurler le tonnerre. Comme Zeus du haut de son Olympe lâchant ses meurtriers éclairs sur la foule de marchands détalant apeurés sachant bien ce qu'il firent pour subir son courroux et son ire.
Difficile comme exercice sans verser dans l'insulte d'écrire pour décrire en quelques mots polis sa révulsion d'une classe politique maléfique qui sévit contre son peuple, ses concitoyens, appauvris, démunis, diminués, réduits à regarder le ciel et prier tous les dieux pour qu'enfin le voile qui les aveugle se déchire, le cauchemar cesse et le soleil de la prospérité se lève à nouveau.
Quarante ans que nous pataugeons dans la gadoue, quarante ans d'espoirs envolés, de lendemains pires que les jours précédents, de reculs, de guerre larvée contre une peuplade qui a eu, semble-t-il, le tort de naître sur la superficie de ce pays idyllique, que tout le monde envie et qui, pour notre malheur, est devenu un enfer véritable.
L'ennui est qu'entre le peuple et ses gouvernants existe désormais une faille énorme difficile de combler. Il s'agit d'une question de mentalités, les uns ont déjà dépassé le siècle où nous vivons, les autres sont toujours à l'ère médiévale faisant feu de tout bois, s'accrochant à des prérogatives que nul n'a le droit de contester ou y prétendre, comme s'ils les détenaient de droit divin.
Et pourtant nous sommes à l'heure d'Internet, des réseaux sociaux, du câble, de la globalisation. Le monde est devenu une petite ville. Un événement a lieu de l'autre côté de la planète, le bonhomme juché sur son hameau labourant son champ ou faisant les vendanges le suit en direct sur son portable, redoutable machine de communication tenant dans la paume d'une main, devenue outil de révolution.
Saut qualitatif vers le futur, le changement arrive lentement peut-être, mais inexorablement. Les idiots c'est fini et les analphabètes aussi. Déjà avec la poussée technologique votre voiture se gare toute seule, vous lui annoncez votre destination, elle vous y mène en un clin d'œil, demain peut-être les bébés naîtront en parlant.
Demain c'est le futur, l'avenir, rien ne saurait l'endiguer. Même si la caste politique pour assurer sa survie et sa longévité a, d'un commun accord, avec en sous-jacent la bénédiction des autorités religieuses, catégorisé le peuple le classant par communautés, ce n'est qu'un combat d'arrière-garde perdu d'avance, un pétard mouillé qui fera long feu.
Car il n'est pas inscrit sur le front des humains à quelle religion ils appartiennent d'autant plus qu'en leur for intérieur ils sentent un nouveau frémissement et qu'avant toute chose, c'est le sang de leur pays qui coule dans leurs veines.
C'est une croyance, une appartenance qui peu à peu émerge du néant où elle fut enterrée par les seigneurs de guerre qu'on croyait sans reproches, alors qu'en catimini ou au grand jour ils dévalisaient à qui mieux mieux le pays et envoyaient nos enfants en exil.
Ce qui se passe est intolérable, impardonnable, inouï. Ce n'est pas le fait que les représentants du peuple, certains allant même jusqu'à confondre les caisses de l'État avec leurs poches, aient pris l'hémicycle pour un terrain de jeux où assouvir leurs gamineries, mais plus encore cette folle détermination de laisser à l'abandon les problèmes du pays, tant que leur parrain ou guide n'y a pas donné son assentiment.
C'est un secret de polichinelle. Une partie de nos dirigeants aime à fouler un sol recouvert de beaux tapis persans, l'autre ne se vêt qu'aux senteurs de pétrole, deux références du luxe et de la luxure qui se marient très bien entre eux, mais qui uniquement chez nous du fait du "qui donne ordonne", sont comme l'eau et le feu parfaitement incompatibles. C'est d'eux qu'émanent nos conflits, nos déboires et nos afflictions.
Je prie que bientôt le peuple de mon pays sorte de la léthargie où on tente de le garder, les rassemblements populaires à l'appel d'une jeunesse qui a le choix entre frôler en permanence le seuil de la mendicité ou émigrer, face à l'opulence de ses gouverneurs, a juste chatouillé ces derniers.
Apparemment, les représentants de la nation n'en ont cure de tout ce frétillement. Rien jusqu'à présent n'a pu ébranler leurs convictions qu'ils ont encore devant eux de belles années, eux, leurs héritiers et les héritiers de leurs héritiers, à traire la vache dont le pis ne donne plus que du sang.
Pour ce genre de personnages, le sang aussi est une marchandise.

Georges TYAN

J'avais préparé mes papiers, mes crayons et mes gommes, rempli de hargne mon plus bel encrier pour y tremper ma plume d'apparât, dessiner avec soin des mots énormes, grands comme les beaux rochers de nos montagnes, qu'on sort uniquement aux grandes occasions, pour attirer l'attention, envoyer un message, crier son dégoût d'une situation devenue intolérable.Je voulais, toute frustration...

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