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Nos Lecteurs ont la Parole - Sagi SINNO

L’âme tranchante des moralisateurs

Ils arrivent. Ils déferlent. Ils défilent. À la tête des manifestations. Devant les caméras. Démagogues. Poujadistes. Populistes. Pourtant très élitistes. Flatteurs des masses. Des clins d'œil discrets. Des sourires jaunes. À droite. Surtout à gauche. S'il vous plaît, jetez-nous un petit regard. Voyez-nous. Filmez-nous. Oui, plus près. Oh oui, comme ça. Oui, encore. C'est trop bon, n'arrêtez pas. Oui, une entrevue. Un bon gros plan. Oh ça fait tellement longtemps. Non, ce n'est pas vulgaire. Pas du tout. Eux aussi, ils ont des besoins. Ils n'en pouvaient plus d'attendre. Ils meurent d'envie de quitter l'ombre, d'être de nouveau sous le feu des projecteurs.
Surfeurs pas très gauches, ils prennent la vague de colère. Brel dirait qu'ils vous montrent des dents à croquer la fortune, à décroisser la lune, à bouffer des haubans. Ils s'énervent, s'agitent, gesticulent, grimacent, se démènent, hochent la tête, tournent la tête, s'entêtent, s'indignent, dénoncent, pointent, se gargarisent, crient, invectivent, oui, non, à bas, assez ! Tout, absolument tout est échec cuisant, vol, escroquerie, corruption : les politiques, les institutions, la Constitution, le centre-ville, les banques. Du haut de leur expérience et de leur grande objectivité, ils distribuent les zéros. « Tous pareil, tous pourris » : aussi bien ceux qui ont détruit, que ceux qui ont reconstruit, que ceux qui ont payé de leur vie. Pas de discrimination ! Que des méchants, partout. Eux seuls sont bons. Chercheraient-ils ainsi à occuper le devant de la scène, à régler des comptes anciens ? Eux ? Jamais ! Ils ne font qu'accompagner le mouvement, aider, écouter, conseiller, servir le peuple, faire profiter le plus grand nombre de leur sagesse manichéenne, en toute modestie. Leur gage de crédibilité ? Une auréole faite de grands principes, de belles paroles, de promesses utopiques et, surtout, l'assurance qu'ils ne gouverneront jamais. S'ils peuvent se permettre les critiques les plus farfelues c'est bien parce que, dans le monde platonicien des idées, ils n'auront jamais à composer avec les réalités sensibles du pays et de la région. Que demander de plus ?
Vous prenant à témoin de leur honnêteté exemplaire, ils vous montrent des mains blanches, même si d'aucunes avaient noirci quelques papiers, rapports, livres ou discours bien jaunes, du temps de l'occupation très fraternelle. Faisant profil bas, ils dévoilent progressivement leur âme pure. L'âme aiguisée avec une rancune luisante qui, elle, a été découpée dans une mine de haine. Haine. Déchaînée, aveugle, vindicative. Tantôt sélective, tantôt se gavant de généralisations très approximatives. Haine dogmatique, très kitch, embellie gauchement par les mièvreries d'un romantisme révolutionnaire. Haine interconfessionnelle qui se déguise avec un absolu « tous, c'est-à-dire tous », qui reste très relatif. Haine entre les régions du pays qui cache, derrière la tribune des principes égalitaires, la dune des égoïsmes et du renfermement sur soi. Haine qui fait de l'art pour l'art en protestant pour protester. Haine qui refuse le plan Chéhayeb, sans proposer d'alternative sérieuse. Haine qui, en apparence, est dirigée contre le pouvoir mais, en réalité, cible l'État. Haine qui justifie, par le flou de la légitimité populaire, son refus de la légalité constitutionnelle et achève, ainsi, la destruction de ce qui n'est, à ses yeux, qu'un « instrument d'oppression de classe ». Haine de l'ordre et de ses forces. Haine. Décomplexée. Fière. Dominatrice. Haine dirigée contre l'autre, différent, qui ose ne pas être d'accord avec elle. Haine qui, tout en prétendant être, sur l'échiquier politique, diamétralement opposée aux idéologies les plus abjectes, leur emprunte pourtant la terminologie qui leur est la plus chère, pour « nettoyer le pays ». Haine qui se veut la voix du peuple, mais qui ne respecte aucune représentativité populaire. Haine qui, dans un tourbillon étourdissant, provoque contre elle d'autres haines qui, elles, ne savent pas cacher leurs lames. Haine qui, avec un effet boomerang, n'épargnera personne de ses ravages.
Jeunes manifestants, l'histoire ne nous apprend-elle pas que l'enfer est pavé de bonnes intentions ? Ayant fondé le Tribunal révolutionnaire, puis pressentant peut-être qu'il avait créé un monstre incontrôlable, « Danton disait avec sa grosse voix : C'est singulier, le verbe guillotiner ne peut pas se conjuguer dans tous ses temps ; on peut bien dire : Je serai guillotiné, tu seras guillotiné, mais on ne dit pas j'ai été guillotiné. » (Stendhal, Le rouge et le noir). La terreur a bien fini par le rattraper. Son audace légendaire n'a pu le sauver. Il a été guillotiné. « Robespierre, tu me suis ! », avait-il lancé, sur le chemin le menant à la guillotine, à l'encontre de l'instigateur de son exécution. Quatre mois plus tard, Robespierre, aussi, l'avait déjà suivi.
Jeunes manifestants, même si tout le monde n'est pas d'accord avec votre mouvement, on sait cependant qu'il se veut porteur d'espoir et que l'âme haineuse qui l'envenime n'est pas la vôtre. Alors, sans arrière-pensée ni didactisme, ni noir désir, « veuillez rendre l'âme à qui elle appartient » : aux moralisateurs. Ils retourneront alors à ce qu'ils savent faire de mieux : ressasser leur rancune dans le moisi du renfermé. Quant à vous, vous aurez remporté une première victoire sur le chemin de la liberté. Alors, même les plus récalcitrants à votre mouvement vous applaudiront. Volontiers.

Sagi SINNO

Ils arrivent. Ils déferlent. Ils défilent. À la tête des manifestations. Devant les caméras. Démagogues. Poujadistes. Populistes. Pourtant très élitistes. Flatteurs des masses. Des clins d'œil discrets. Des sourires jaunes. À droite. Surtout à gauche. S'il vous plaît, jetez-nous un petit regard. Voyez-nous. Filmez-nous. Oui, plus près. Oh oui, comme ça. Oui, encore. C'est trop bon,...

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Le moralisateur fait voir le côté divertissant de la revendication à tout va, qui témoigne d'1 connaissance des hommes telle qu'elle ne peut provenir que d'1 esprit forgé par les épreuves. Ce n'est pas dans la revendication en soi que le moralisateur doit trouver 1 satisfaction à son essence humaine. La revendication n'offre que le prétexte, la matière d'1 divertissement qui pourrait tout aussi bien faire de toute autre matière son contenu. Le ras-le-bol est exploité sciemment, pour procurer à ce bienfaiteur le piquant, la jouissance de son "excellence. Il énonce 1 mystère, déjà dévoilé: le ras-le-bol, s’il est forcé d'accepter sa bienveillance, est contraint aussi de servir de jeu à la "belle âme" à satisfaire son amour-propre et son orgueil. Les donquichotteries moralisatrices de ces "belles âmes", tels les conSeils, les belles paroles et les pétitions pour ces "djeunes n'ont pas d'autre signification. Y a longtemps que la revendication à tout va est organisée en puéril divertissement. Le moralisteur réussit ainsi à faire jouer 1 niaise comédie à 1 malheureux "djeune" en compagnie des autres malheureux. Le mystère de ce "service rendu au peuple djeune" imaginé par lui, le "dandy" des "beaux quartiers" de la ville, le trahit quand, après le déjeuner, il invite tout le monde à souper : "Ah mes chers amis ! Ce n'est pas assez d'avoir déjeuné au bénéfice de ces djeunes. Soyons magnanimes ; allons souper maintenant au profit des autres djeunes, mais ceux pauvres d'entre eux." !

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

13 h 23, le 03 octobre 2015

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  • Le moralisateur fait voir le côté divertissant de la revendication à tout va, qui témoigne d'1 connaissance des hommes telle qu'elle ne peut provenir que d'1 esprit forgé par les épreuves. Ce n'est pas dans la revendication en soi que le moralisateur doit trouver 1 satisfaction à son essence humaine. La revendication n'offre que le prétexte, la matière d'1 divertissement qui pourrait tout aussi bien faire de toute autre matière son contenu. Le ras-le-bol est exploité sciemment, pour procurer à ce bienfaiteur le piquant, la jouissance de son "excellence. Il énonce 1 mystère, déjà dévoilé: le ras-le-bol, s’il est forcé d'accepter sa bienveillance, est contraint aussi de servir de jeu à la "belle âme" à satisfaire son amour-propre et son orgueil. Les donquichotteries moralisatrices de ces "belles âmes", tels les conSeils, les belles paroles et les pétitions pour ces "djeunes n'ont pas d'autre signification. Y a longtemps que la revendication à tout va est organisée en puéril divertissement. Le moralisteur réussit ainsi à faire jouer 1 niaise comédie à 1 malheureux "djeune" en compagnie des autres malheureux. Le mystère de ce "service rendu au peuple djeune" imaginé par lui, le "dandy" des "beaux quartiers" de la ville, le trahit quand, après le déjeuner, il invite tout le monde à souper : "Ah mes chers amis ! Ce n'est pas assez d'avoir déjeuné au bénéfice de ces djeunes. Soyons magnanimes ; allons souper maintenant au profit des autres djeunes, mais ceux pauvres d'entre eux." !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    13 h 23, le 03 octobre 2015

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