La solution passera forcément par les places Riad el-Solh et des Martyrs

En dépit du fait que les visiteurs de Aïn el-Tiné affirment que le président de la Chambre comptait de toute façon lancer une initiative de dialogue à l'occasion de la commémoration de la disparition de l'imam Moussa Sadr, il est clair que le mouvement de protestation populaire place Riad el-Solh et place des Martyrs a servi de catalyseur à l'initiative annoncée dimanche dernier. Celle-ci a donc pris une nouvelle dimension à la lumière des développements dans la rue. Née à cause du blocage des institutions publiques, le Parlement d'abord puis le Conseil des ministres, cette idée est devenue maintenant un moyen d'absorber la colère de la rue et en particulier celle des jeunes et de l'empêcher de se transformer en boule de neige incontrôlable.
Officiellement, les réactions à l'initiative du président de la Chambre sont encore imprécises, certains l'ont appuyée sans réserve, d'autres s'y sont déclarés favorables mais attendent des précisions et enfin d'autres ont exprimé des réserves. Chez les pôles chrétiens, c'est surtout le premier point de l'initiative qui suscite des questions. Pourquoi plus d'un an après la vacance à la tête de la République, le président de la Chambre réclame-t-il l'élection immédiate d'un chef de l'État ? Les pôles chrétiens se demandent aussi ce qui se passera si les participants au dialogue ne parviennent pas à s'entendre sur le premier point. Faudra-t-il passer au second qui parle de dynamisation des institutions, notamment le Parlement et le gouvernement, ou bien l'initiative s'arrêtera-t-elle là ?
De plus, certaines parties chrétiennes qui avaient participé aux réunions de dialogue sous le parrainage de Aïn el-Tiné en 2006 puis celles qui avaient eu lieu sous l'égide de l'ancien président Michel Sleiman rappellent que des décisions avaient été prises qui n'ont jamais été appliquées. Elles évoquent en particulier la déclaration de Baabda, qui avait été adoptée par tous les participants au dialogue avant d'être désavouée par le chef du bloc parlementaire du Hezbollah, Mohammad Raad. L'initiative de M. Berry reprendra-t-elle à son compte ces décisions ou bien les ignorera-t-elle pour se concentrer sur l'élection d'un nouveau président ?
Selon les visiteurs de Aïn el-Tiné, le président de la Chambre a fixé au 9 septembre le premier rendez- vous du dialogue version 2015 pour tenter autant que possible de contourner le mouvement de protestation populaire et éviter que le temple s'écroule au-dessus de toutes les têtes. En même temps, les protagonistes politiques se demandent si le dialogue préconisé par Nabih Berry annulera les dialogues bilatéraux qui ont lieu actuellement entre le courant du Futur et le Hezbollah et entre le CPL et les Forces libanaises. Ou bien au contraire, le dialogue de Berry sera un activateur de toutes ces initiatives bilatérales...
Ce qui est sûr, c'est que le dialogue réclamé par Berry, s'il a lieu, est destiné à apaiser la rue et tuer dans l'œuf les projets de discorde qui profitent du chaos pour s'épanouir. Même si certains craignent que le dialogue prôné par Berry ne connaisse le même sort que celui qui se déroule entre le Hezbollah et le courant du Futur, c'est-à-dire qu'il ait des résultats limités. D'autres, au contraire, pensent que tout comme le dialogue entre le Hezbollah et le Futur, les réunions élargies permettront de consolider la stabilité interne.
Des sources politiques estiment en tout cas que l'initiative du président de la Chambre intervient à un moment crucial, interne et régional. Elle a été annoncée quelques semaines après la visite du ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif qui avait prôné le dialogue et les mêmes milieux se demandent si elle n'est pas la concrétisation d'un mot d'ordre iranien et régional, d'autant que le chef du courant du Futur Saad Hariri et le leader druze Walid Joumblatt se sont empressés de l'accueillir favorablement. De plus, l'annonce de Berry a été suivie par la visite de l'adjoint du ministre iranien des Affaires étrangères, Hussein Amir Abdelahyane, à Beyrouth et avant la réunion du groupe international de soutien au Liban qui doit se tenir à New York en septembre, en marge de la session ordinaire de l'Assemblée générale des Nations unies.
Selon un politicien chevronné, l'initiative de M. Berry viserait donc à assurer un changement dans le calme au Liban, au lieu de laisser aller le pays à accueillir les solutions sur fond de troubles. Toujours selon ce politicien, il faut suivre avec attention les réunions qui ont lieu à Oman entre des responsables sécuritaires iraniens et saoudiens. Ces réunions qui se déroulent dans la plus grande discrétion pourraient préparer une rencontre entre les ministres des Affaires étrangères des deux pays. Des sources du Hezbollah démentent cette tendance au dialogue entre l'Iran et l'Arabie saoudite, mais le politicien chevronné est convaincu que le président de la Chambre n'aurait pas lancé cette initiative s'il n'avait pas capté des signaux positifs venus de l'étranger, ajoutant que les solutions ne peuvent pas arriver à chaud, mais elles doivent forcément passer par les places Riad el-Solh et des Martyrs.