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Culture - Poésie

Michel Cassir, guetteur de l’espace-temps

D'une beauté souvent intimidante, « La fête prenant de vitesse l'obscur », le dernier titre de Michel Cassir (*), finira par trouver ses lecteurs.

Michel Kassir : « La poésie ne peut pas être au service d’une vérité quelconque, mais il peut lui arriver de faire exploser une vérité, elle est la vérité au moment précis de sa convulsion. »

Riche en fulgurances, très bretonnien, ce livre est un long vagabondage géographique et mental, un Sur la route façon Michel Cassir, un grand voyageur qui rapporte de ses échappées de précieux « carnets » où se cachent des pépites d'or, des fuseaux horaires, des mots intraduisibles et des « liqueurs qui font suer ».
« Un jeune homme donc avec pour seule arme des mots rageurs, des mots émerveillés, où le venin se confond aux pépites de rêves. Des mots devenus paroles clamées dans les vents contraires. Des mots voyous pour affronter les pluies écervelées qui font flotter le sac à couchage. Des pluies enivrantes avec des paroles comme des palais instantanés. Des pluies qui ploient le roseau du désir jusqu'à lui faire toucher les caniveaux. Il ne s'en remettra qu'à la première lueur de l'aube. Un bus de Trieste à Ljubljana pour se sécher les os et redéployer le mirage. Mais quel mirage, de ville en ville, de culture amoindrie en culture humiliée, en culture faussement célébrée. Les hommes, les femmes de chaque coin, de partout, qui sont malgré tout porteurs de prodige. Le prodige de voir, de toucher, d'aimer. Quand bien même il eut fallu les chercher dans les bas-fonds, dans les bars sinistres, sur les bancs du désespoir. La courbe des architectures s'inclinant devant pierres, fenêtres ou secrets qui défilent à la vitesse de chevaux sauvages. »

Drugstore de l'âme
En général, les livres de Cassir, peut-être parce qu'il est professeur à l'École nationale de chimie de Paris et directeur du laboratoire de l'Institut de chimie, ressemblent à une espèce d'ancienne pharmacie, de drugstore, une infirmerie du corps et de l'âme, avec toutes sortes de fioles, de préparations, d'élixirs, de remèdes anciens qui ont fait leurs preuves, mais qui, comme tous les médicaments, restent dangereux, s'ils ne sont pas pris conformément à la prescription. Vous en choisirez le plus approprié.
D'une richesse foisonnante, baroque, ses textes sont pourtant toujours maîtrisés. Il y a même quelque chose de presque classique dans ses compositions, qui se rapprochent du jazz de Coltrane ou de Monk avec, au détour d'un paragraphe, des solos d'écriture automatique qui finissent tous par une sentence.
Dans l'un de ces textes, Cassir livre son art poétique, tout proche de celui de l'Amour fou d'André Breton : « La beauté sera convulsive (...) ou ne sera pas ».
« La poésie ne peut pas être au service d'une vérité quelconque, mais il peut lui arriver de faire exploser une vérité, elle est la vérité au moment précis de sa convulsion. (...) Elle est ce trop plein qui va à la conquête de l'homme renouvelé, ébloui de ses forces imprévues. » Privilège de poète.
« Comment célébrer la clairvoyance, dit-il encore, en rapprochant les extrêmes. Comment célébrer en silence la foudre. Cocktail igné le principe d'incertitude de Heinzenberg Jimmy Hendrix, Jalal Eddin Rumi, Karl Marx. L'esprit à enchanter. Du tremblement de l'atome le rêve ailé comète. Sobriété et vertige l'humain est dans la trace de lui-même. Injustice bannie à chaque instant. Feux de la Saint-Jean. »

« L'or du temps »
D'une certaine façon, Cassir restitue aussi à l'écriture automatique ses lettres de noblesse, en la rapprochant de l'histoire. Ne parle-t-il pas, en homme de son temps, de cette Égypte dont il vient par sa naissance « sens dessus-dessous (...) sortie en pyjamas de son long sommeil pour capturer un ciel plus vif ».
Derrière tout cela se profile un poète de grande intégrité qui continue de défendre la dignité de l'homme, d'interroger l'histoire et d'en guetter les signes, à la recherche de ce qu'André Breton a nommé « l'or du temps », mais un or « revisité, maculé de boue et de crachats » relevant, d'une espèce de matérialisme poétique, loin de tout esthétisme. « La fête prenant de vitesse l'obscur. »
N'appartenant ni exclusivement au monde arabe où il est né (1952) et où il a vécu jusqu'à sa vingt-deuxième année – en Égypte puis au Liban –, ni à l'Amérique latine, malgré ses nombreuses attaches, notamment conjugales, ni à la France, malgré ses profondes racines intellectuelles, Michel Cassir, auteur d'une quinzaine d'ouvrages « est un poète du monde », dit Antoine Boulad. Un marginal-universel généreux et de grande intégrité.

(*) « La fête prenant de vitesse l'obscur », Michel Cassir, L'Harmattan, collection Levée d'Ancre, dirigée par Michel Cassir.

Riche en fulgurances, très bretonnien, ce livre est un long vagabondage géographique et mental, un Sur la route façon Michel Cassir, un grand voyageur qui rapporte de ses échappées de précieux « carnets » où se cachent des pépites d'or, des fuseaux horaires, des mots intraduisibles et des « liqueurs qui font suer ».« Un jeune homme donc avec pour seule arme des mots rageurs, des...

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