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Lifestyle - Tous les chats sont gris

Pair, impasse et manque : (dé)faites vos je...

À la fois rongé par la mélancolie et survolté par son énergie coutumière, hanté par des effluves d'avant-guerre et habité par des destins en points d'interrogation, ou de suspension, le Casino du Liban demeure un point d'ancrage de la nuit libanaise. Un lieu où les machines à sous promettent indifféremment cauchemars et jours meilleurs...

Photo DR

C'est dans le décor d'un casino et en compagnie de nombreuses actrices que Karl Lagerfeld a présenté mardi dernier la collection haute couture automne-hiver 2015 de Chanel. Pourquoi une salle de jeux, lui a-t-on demandé ? « Je ne joue pas, mais j'aime bien l'ambiance des casinos du temps où les gens s'habillaient. Ils n'avaient pas l'air d'essayer de gagner de quoi payer le loyer à la fin du mois. Aujourd'hui, c'est un peu sinistre les casinos, parce que les gens ne s'habillent plus. » Une réponse somme toute rassurante ; nous étions repartis du casino local (bredouilles et) interloqués, avec un drôle de sentiment, quelque part entre violente nostalgie et infinie tristesse. Surtout ce rappel à la réalité glauque d'un pays qu'on asphyxie tous les jours un peu plus. Mais bon, le grand Karl nous tranquillise : c'est partout pareil.

Perdu, l'éclat...
Les lettres lumineuses, démesurées, n'ont pas changé: même forme, même typo. Depuis 1997, le Casino du Liban illumine à nouveau la baie de Jounieh, comme au bon vieux temps. Deux ans de travaux et plusieurs millions de dollars ont été nécessaires pour le remettre en état. Comme avant. Ou presque. Même si, tous les soirs, ils sont nombreux à se presser sous les lustres de cristal, même si certains des vieux croupiers ont récupéré leurs gilets et nœuds pap' d'antan, les yeux embués de se retrouver en ce lieu magnifié par leur mémoire, le Casino a perdu de son aura. Cette poudre d'or qui faisait tourner la tête. Cela se ressent dès le hall d'entrée, où flotte une ambiance à la Stanley Hotel dans The Shining, avec son odeur tenace de renfermé. On présente nos papiers d'identité et notre col (condition d'entrée), et le réceptionniste nous fournit une carte d'accès aux jeux et des jetons. On s'installe ensuite sur une machine à sous. Sur le siège d'à côté, une femme, probablement 80 ans, teint naphtaline et jambes fripées, si pâles qu'on les croit d'abord gainées de bas ivoire. De ses mains qui tremblotent comme des feuilles, elle soulève la manivelle. Deux ampoules s'illuminent sur son visage. Gagnées, 50 000 livres libanaises. « Je suis là tous les soirs parce que j'ai tout perdu pendant la guerre. À part mon solitaire. Mais ça, je ne le miserai jamais. Je suis ridée, mais je n'ai pas perdu la tête!» lance Mona, suivi d'un sourire qui libère des dents bousillées par la cigarette.

Cercle d'or
Le degré de tension qui régnait dans le hall des machines à sous augmente d'un cran lorsqu'on franchit les salles privées du Cercle d'or, au premier étage. La moquette se pare alors d'étoiles, comme pour marquer le passage dans un cadre qui se veut plus exclusif. On trace une voie dans le nuage de fumée qui inonde l'une des salles pour découvrir, autour d'une table de blackjack, une foule absente, hagarde, possédée, et dont l'expression traduit bien l'angoisse de la déchéance morale. Que reste-t-il du faste de la belle époque du Casino sinon un tas dérisoire de confettis piétinés, comme au lendemain d'une tornade ? Les paillettes, les robes longues montées sur des silhouettes en herbes folles, les cols amidonnés, les regards chatoyants, Juliette Greco, Oum Kalsoum, Brigitte Bardot et les chèques à blanc ont été troqués contre des visages vulgairement maquillés à la craie, des hommes bedonnants qui suent comme des marmites bouillantes, des chaussures qui traînent sous les tables et surtout des mines de désespoir, cherchant bouée pour ne pas couler. Certains joueurs misent les quelques biens qui leur restent, parfois leurs montres, leurs parures, leurs voitures. D'autres « sont interdits de jeux, à force de dettes non payées », confie le croupier que cette bulle en plein naufrage n'a pas l'air de bouleverser.

Comme des vautours
« À vous de jouer », lance ce dernier d'un ton faussement enjoué. L'homme a remis sur le tapis un jeton de plusieurs milliers. Il regarde ses cartes. Ses mains tremblent. La sueur s'échappe de son cuir chevelu. Encore un dix. Perdu. Les cristaux rouges s'affolent. Sur le petit écran, clignote le nouveau chiffre : deux millions six cent mille livres. Le bonhomme devra trouver un autre moyen pour payer le dernier trimestre d'école de ses gamins. Les autres joueurs désertent la salle, par peur d'être contaminés à leur tour par la malchance. Ou d'assister à une aube sordide qui paraît inéluctable. Il ne reste que l'homme et le croupier qui le regarde avec un air consterné et las. Un groupe qui observait la scène en parlant à voix basse vient entourer le perdant. L'un des témoins pose une main sur l'épaule du joueur et lui susurre : « Nous pouvons te prêter de l'argent, tu sais, tu vas en avoir besoin. » Le perdant fait non de la tête sans même se retourner. Voilà longtemps qu'il vient jouer au Casino. Il connaît la suite de l'histoire. Les hommes ricanent. Ils retournent se poster dans le fond de la salle. Comme des vautours avant de fondre sur leur proie...

 

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C'est dans le décor d'un casino et en compagnie de nombreuses actrices que Karl Lagerfeld a présenté mardi dernier la collection haute couture automne-hiver 2015 de Chanel. Pourquoi une salle de jeux, lui a-t-on demandé ? « Je ne joue pas, mais j'aime bien l'ambiance des casinos du temps où les gens s'habillaient. Ils n'avaient pas l'air d'essayer de gagner de quoi payer le loyer à la fin...

commentaires (1)

Ou, le Casino à majorité aux mains de ce qui reste de l’État libanais, servant à pigeonner les pigeons surtout Libanais(h)....

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

12 h 50, le 11 juillet 2015

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Commentaires (1)

  • Ou, le Casino à majorité aux mains de ce qui reste de l’État libanais, servant à pigeonner les pigeons surtout Libanais(h)....

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    12 h 50, le 11 juillet 2015

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