Le 24 mai 2011... Chibli Ayssami, ancien vice-président syrien, l'un des fondateurs du parti Baas au côté de Michel Aflak et opposant au régime syrien de Bachar el-Assad, disparaît à Aley.
Quatre ans plus tard, sa famille est toujours dans l'incertitude totale. « Nous n'avons pas eu des nouvelles de mon père depuis sa disparition, confie à L'Orient-Le Jour sa fille, Raja Charafeddine. Mais vu son âge, nous pensons qu'il est décédé. » Chibli Ayssami avait 87 ans le jour où il a disparu.
Dans le mois qui a suivi l'enlèvement du penseur, la famille n'a épargné aucun moyen pour avoir de ses nouvelles. Des contacts ont ainsi été établis avec les différentes parties politiques, des ONG nationales et internationales de droits de l'homme, le Comité international de la Croix-Rouge, ainsi qu'avec le chef de l'État de l'époque, Michel Sleiman. « Ce dernier avait soulevé avec le président syrien Bachar el-Assad le dossier de mon père, se souvient Raja Charafeddine. Mais Assad avait nié avoir des informations le concernant. D'ailleurs, il est connu qu'en Syrie on fait disparaître les gens. On change leur nom pour qu'on ne puisse pas retrouver leurs traces. Malheureusement, aucun membre de ma famille n'a le droit de se rendre en Syrie, sinon on serait allé le chercher. »
La famille est convaincue que c'est le régime syrien qui est derrière la disparition de Chibli Ayssami. « Comme il s'opposait au régime et que la révolution était encore à ses débuts, ils ont eu peur de lui et du symbole qu'il représentait, constate Raja Charafeddine. De peur qu'il ne puisse initier une dynamique autour de lui dans la foulée de la révolution syrienne, ils ont préféré le faire disparaître. C'est de la peur et de la haine. »
Et d'ajouter : « Ce qui est surprenant, c'est ce manque de coopération. Même en cas de décès, il doit y avoir un corps. Nous sommes dans le flou absolu. »
(Pour mémoire : La fille de Chebli Ayssami met en garde contre une possible liquidation de son père)
« La conscience humaine s'est évanouie »
Avec les événements et les combats sanglants qui se déroulent en Syrie, la famille Ayssami craint le pire. « Nous vivons dans cette angoisse, confie Raja Charafeddine. Nous puisons notre force de notre foi et des personnes qui soutiennent notre cause qui est humanitaire, sociale et politique. Malheureusement, il n'y a plus aucun respect pour l'âge de la personne, ni pour les penseurs, encore moins pour les politiciens. Mon père fait partie de l'histoire de la nation arabe depuis les années 1940 jusqu'aux années 1990. C'est l'un des penseurs qui ont influencé le plus l'histoire de la région. Malgré cela, il a disparu et personne ne réclame la vérité sur son sort. Comme si de rien n'était. J'ai l'impression que la conscience humaine s'est évanouie.
Le cas de mon père n'est pas isolé. Il en existe des centaines dans cette région arabe, au point que nous avons honte de soulever son cas. Il n'en reste pas moins qu'il est âgé. La moindre des choses, c'est de réclamer la vérité. Notre douleur est exacerbée. L'être humain ne peut pas oublier. Il s'adapte, mais il ne peut pas oublier. Que serait-ce dans notre cas, alors que nous n'avons aucune preuve sur son sort ? Nous ne pouvons que patienter, surtout que nous ne pouvons pas faire confiance au régime syrien et nous ne savons plus à qui nous adresser là-bas. »
Raja Charafeddine mène son combat autrement. Elle œuvre à « faire connaître sa pensée ». À chaque anniversaire de la disparition de son père, elle réédite ainsi quelques-uns de ses ouvrages. « Le corps n'a aucune valeur, affirme-t-elle. Seule la pensée en a. La pensée de mon père restera à jamais vivante. Il en est de même pour ses réalisations. Il fait partie de l'histoire d'une nation... »
commentaires (1)
Qui préconisa le glaive disparaîtra par le glaive !
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
12 h 46, le 28 mai 2015