Selon un vieux routier de la politique libanaise, un dicton libanais résume parfaitement la situation actuelle du pays : « Les obsèques sont fiévreuses, mais le défunt est un chien. » D'une façon plus explicite encore, on pourrait dire que le fromage est périmé, mais les gourmands continuent à s'en disputer les parts...
Aujourd'hui, la division interne est à la fois horizontale et verticale, et les protagonistes font feu de tout bois, alors qu'il n'y a pratiquement plus rien à se partager. Les polémiques autour du verdict du tribunal militaire dans l'affaire Michel Samaha et autour des nominations militaires sont le meilleur exemple de cette stérilité politique et institutionnelle dans laquelle se débat la classe politique.
Le vieux routier de la politique affirme qu'il ne prend position pour aucun camp contre l'autre, mais concernant l'affaire Michel Samaha, plusieurs questions se posent : d'abord, lorsque l'ancien ministre et député a été pris en flagrant délit de transport d'explosifs dans le parking de son immeuble à Achrafieh, le Liban avait encore un président de la République, un gouvernement en fonctions, et le 14 Mars avait des moyens de pression sur ce gouvernement à travers le procureur près la Cour de cassation et le directeur général des FSI.
Pourquoi dans ce cas l'affaire Samaha n'a-t-elle pas été déférée devant la Cour de justice s'il y avait des doutes sur l'objectivité de la justice militaire ? De plus, depuis que le général Achraf Rifi est ministre de la Justice, pourquoi n'a-t-il pas présenté au gouvernement, comme l'exige la loi, un projet de loi sur la réforme des institutions judiciaires de manière à annuler cette justice d'exception que constituent les tribunaux militaires, au lieu de mener cette campagne médiatique contre ces instances sans agir concrètement selon les règles ?
Enfin, au sujet du contenu du dossier, il est clair qu'à partir du moment où il a été convenu de dissocier l'affaire du chef des SR militaires syriens Ali Mamlouk du cas Samaha, l'idée était de juger celui-ci au lieu de le laisser croupir indéfiniment en prison, dans l'impossibilité de notifier Mamlouk de sa convocation devant le tribunal. Or, dans ce contexte, le tribunal a aussi renoncé à convoquer le témoin-clé Milad Kfoury, qualifié « d'informateur protégé » auprès du service de renseignements des FSI.
L'ancien ministre et député a, de son côté, reconnu les faits, déclarant avoir été convaincu par Milad Kfoury de transporter les explosifs. Dans ces conditions, il n'y avait plus de nouvel élément possible à ajouter au dossier, du moment que les responsables syriens et le témoin-clé n'avaient aucune intention de comparaître devant le tribunal. Celui-ci s'est donc retrouvé face à un dossier clos, qu'il a jugé selon la loi qui punit ce crime d'une peine allant de 3 à 7 ans de prison. Samaha n'a donc pas bénéficié d'une peine allégée ou minimale, mais de quatre ans et demi de prison, tout en étant déchu de ses droits civiques et politiques. Le tribunal a donc tenu compte des données disponibles, sans chercher à politiser le dossier.
Preuve en est que la famille et les avocats de l'ancien ministre comptent se pourvoir en cassation, qualifiant le jugement d'excessif. Sachant que ce dossier a des implications politiques dans le contexte actuel, aucun autre tribunal, ordinaire ou militaire, n'aurait pu prendre un autre jugement. À moins de jouer les prolongations et de faire traîner le procès indéfiniment, en attendant des développements politiques ou militaires de l'autre côté de la frontière. Est-ce cela qui était requis et est-ce cela la justice voulue pour les Libanais, ceux-là-mêmes qui protestent contre la lenteur des procédures judiciaires ? Autant de questions qui attendent des réponses calmes, loin de tout déchaînement des passions.
Au sujet des nominations militaires, c'est pratiquement la même équation : le 14 Mars veut bloquer la désignation d'un nouveau commandant en chef de l'armée pour la seule raison qu'il faut rejeter le candidat du général Michel Aoun. Mais le général Aoun n'a jamais déclaré ouvertement qu'il souhaite que le général Chamel Roukoz soit désigné. Il affirme vouloir simplement éviter une nouvelle prorogation du mandat de l'actuel commandant en chef, cette procédure étant du plus mauvais effet pour le moral des officiers, et pour le cycle des promotions et des montées en grade au sein de l'armée.
Pour justifier ce refus, certaines figures du 14 Mars avancent le fait que si le général Roukoz était commandant en chef de l'armée, il aurait entraîné la troupe dans la bataille du Qalamoun aux côtés du Hezbollah. Mais cet argument montre une méconnaissance des prérogatives du commandant en chef de l'armée qui, depuis Taëf, est sous l'autorité du Conseil des ministres. De plus, une bataille exige un budget et des moyens que seul le Conseil des ministres a le pouvoir de décider. Le commandant en chef peut donc envoyer sur le terrain une unité en particulier, mais il ne peut pas décider de lancer une offensive. Par contre, quel qu'il soit, il a le devoir de protéger les positions de ses soldats et les villages libanais d'une attaque d'où qu'elle vienne.
Par conséquent, la polémique actuelle n'a pas lieu d'être et elle s'inscrit essentiellement dans le cadre des vexations politiques, au détriment de l'intérêt du Liban et des Libanais. Empêcher le camp adverse de marquer un point et aborder tous les dossiers sous ce seul angle, tels sont les mots d'ordre actuels de la classe politique qui, faute de pouvoir s'entendre sur un élément positif, n'est d'accord que sur le blocage, la paralysie des institutions et la non-application de la loi. En résumé, deux oppositions ne font pas des institutions...
Lire aussi
Pour les milieux du Futur, Aoun se saborde lui-même, l’éclairage de Philippe Abi-Akl
Michel Aoun donnera-t-il le coup de grâce au gouvernement ?
Réactions outrées dans les rangs du 14 Mars et au-delà après le verdict du tribunal militaire
commentaires (6)
Va t on arrêter , juger et jeter en prison les " duplicatas " de Michel Samaha qui pullulent depuis des années et qui resteront impunis ?
Hitti arlette
17 h 03, le 15 mai 2015