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Moyen Orient et Monde - Éclairage

« La guerre actuelle au Yémen est un conflit de pouvoirs car le clivage sunnito-chiite n’est pas opérant »

Peut-on réellement parler de « guerre chiito-sunnite » au Moyen-Orient ? Deux éminents spécialistes, Henry Laurens et Olivier Roy, répondent aux questions de « L'Orient-Le Jour ».

Un milicien houthi à Sanaa. Mohammad Huwais/AFP

La défiance entre les communautés chiite et sunnite et les tensions qui en découlent sur les différents théâtres du Moyen-Orient sont-elles une lutte de pouvoir politique ? Dans quelle mesure la dimension religieuse du conflit yéménite, souvent relayée dans les médias comme étant « une guerre fratricide » ou « une sale guerre entre chiites et sunnites », est-elle réelle ?

Pour Henry Laurens, historien français et spécialiste du monde arabe, une identité politique a été construite à travers une identité religieuse. « Il y a eu des périodes de conflit à l'époque de l'Empire ottoman et l'Empire iranien à partir du XVIe siècle. Mais à la seconde moitié du XIXe siècle, les œcuméniques se sont rapprochés pour faire front contre la menace colonialiste, c'est ce qu'on appelle le panarabisme », explique-t-il.
Et l'historien de poursuivre : « Dans les années 50, on n'opposait pas chiisme au sunnisme, car il y avait le nationalisme arabe. Les chiismes n'avaient pas pris une définition politique. Suite à la révolution iranienne, en 1979, traduite par la volonté de Téhéran d'imposer son hégémonie sur le monde de l'islam, une forte réaction sunnite, politique et religieuse, voit le jour. Pour M. Laurens, la question était alors de savoir qui allait contrôler l'islam. « C'est dans ce but que les deux parties vont alors utiliser des référents. »

Évoquant le cas yéménite, le spécialiste indique qu'« il y a une dizaine d'années, nous n'entendions pas parler d'un tel clivage sunnite-chiite dans ce pays ». Définir les houthis comme chiites est un fait très récent, car ils ont un soutien matériel et politique de l'Iran, explique M. Laurens. Cela les fait rentrer dans une grille d'opposition sunnite. « La guerre actuelle au Yémen est un conflit de pouvoirs car le clivage sunnite-chiite n'est pas opérant », assure Henry Laurens. Et de poursuivre : « Dans ce pays, on parle d'"une action des États sunnites". Mais la coalition arabe menée par l'Arabie est également en guerre contre Daech » (acronyme arabe de l'État islamique). « De ce point de vue, poursuit-il, faire une grille sunnite-chiite n'est pas efficace. C'est l'essence de ces conflits, qui est une lutte pour le pouvoir. Ensuite, ils utilisent des référents religieux. En général, le référent communautaire vient toujours en second position. Ce n'est pas l'inverse. »

L'historien français précise dans ce contexte que « même le mot "sunnite" divise », citant à titre d'exemple l'hostilité avérée des pays du Golfe, à part le Qatar, envers les frères musulmans. Selon lui, ce n'est que très récemment que cette hostilité a diminué, notamment avec la mise en place du président Abdel Fattah el-Sissi en Égypte. « Le clivage confessionnel n'est donc pas la cause du conflit ni même un facteur », insiste l'historien.

 

(Lire aussi : En Arabie saoudite, pas de voix discordante (ou presque) contre la guerre au Yémen)

 

Forme de légitimité
Même son de cloche de la part d'Olivier Roy, politologue français et spécialiste de l'islam. « L'opposition politique chiite-sunnite est la conséquence du conflit qui a commencé avec la révolution iranienne, estime-t-il. L'Iran n'a pas réussi à rallier les sunnites et, dans les années 80, les chiites se sont tournés de facto en faveur de Téhéran. » En outre, « l'intervention américaine en Irak a inversé ces rapports de force. Depuis, l'Arabie saoudite tente de construire une coalition sunnite », explique M. Roy.

Pourquoi les différents protagonistes utilisent-ils le langage religieux pour illustrer le conflit qui les oppose ? « Ils cherchent une forme de légitimité, répond Olivier Roy. Avant, c'était le nationalisme arabe qui primait, l'opposition sunnite-chiite n'avait pas lieu d'être, puisque ces pays mettaient en avant leur arabité avant leur identité communautaire. »
Ce « conflit de pouvoir » qu'exposent les deux éminents spécialistes, a-t-il cependant une dimension religieuse ? « Oui, il y a une dimension religieuse pour l'Arabie saoudite. Les ulémas wahhabites ont appelé à condamner les chiites qu'ils considèrent comme hérétiques », rappelle M. Roy. Mais si le royaume joue la carte du religieux, il n'en délaisse pas moins l'aspect ethnique, comme l'explique le politologue en évoquant le qualificatif de « perses » utilisé alors par le roi saoudien. Henry Laurens rappelle, pour sa part, « qu'en 1962, l'Arabie saoudite a soutenu les tribus zaidites », qui sont désormais considérées comme des chiites houthis.

Face à ce choc des titans, sous faux-semblant de communautarisme, quelle va être la position des chrétiens au Moyen-Orient ? Seront-ils amenés à prendre parti pour l'Iran chiite ou pour l'Arabie saoudite sunnite ?
« En Irak et en Syrie, les chrétiens ont été emportés par le déferlement de violences. Ils ont été compromis par les régimes dictatoriaux. Les hiérarchies religieuses ont été manipulées par le régime baassiste et continuent de l'être dans cette logique de nettoyage ethnique », souligne Henry Laurens. De son côté, Olivier Roy estime que « les chrétiens redoutent l'extrémisme sunnite ». Selon lui, « l'Iran a toujours évité toute confrontation. Les chrétiens n'ont pas de problèmes avec les chiites mais avec les radicaux sunnites ».

 

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La défiance entre les communautés chiite et sunnite et les tensions qui en découlent sur les différents théâtres du Moyen-Orient sont-elles une lutte de pouvoir politique ? Dans quelle mesure la dimension religieuse du conflit yéménite, souvent relayée dans les médias comme étant « une guerre fratricide » ou « une sale guerre entre chiites et sunnites », est-elle réelle ?Pour...

commentaires (5)

MYOPIE ANALYSTIQUE... CET ANALYSTE... VOIT DE TRAVERS !

LA LIBRE EXPRESSION

12 h 43, le 20 avril 2015

Tous les commentaires

Commentaires (5)

  • MYOPIE ANALYSTIQUE... CET ANALYSTE... VOIT DE TRAVERS !

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 43, le 20 avril 2015

  • COMME IL Y A AU LIBAN UN PARAVENT CHRÉTIEN QUI RÊVE D'OCCUPER "LA CHAISE"... IL Y A AU YÉMEN UN PARAVENT SUNNITE QUI RÊVE DE "RÉOCCUPER" LA CHAISE... SI SIMPLE QUE çA !!!

    LA LIBRE EXPRESSION

    19 h 57, le 19 avril 2015

  • C'EST UN CONFLIT AVANT TOUT RELIGIEUX ! LES HOUTIS AU SERVICE DE L'IRAN CONTRE L'INTÉRÊT DE LEUR PATRIE ET LEURS AUTRES CONCITOYENS !!!

    LA LIBRE EXPRESSION

    19 h 44, le 19 avril 2015

  • Le pb est politico-religieux ceux qui n'ont pas encöre compris ca .. C'est qu'il pronostique sans fondement ni base et qui parle de religieux parle d'idéologie et politique est un acquis !! C'est la motivation qu'il faut trouver. Pou finir « l'Iran a toujours évité toute confrontation. Les chrétiens n'ont pas de problèmes avec les chiites mais avec les radicaux sunnites" merci de préciser "LES RADICAUX sunnites" .... Et pas tous les sunnites hahah !!

    Bery tus

    18 h 08, le 18 avril 2015

  • C'est vrai que parfois je m'emporte sur votre facon de presenter les choses messieurs olj , mais force est de reconnaitre que vous jouez le jeu democratique au mieux de ce que vous pouvez faire , vu les circonstances actuelles de votre situation ancree occicon . Un article pareil , signe de Caroline Hayek me laisse bouche bee , elle repond mais en mieux a tous les reproches que je vous faisais sur la question des guerres sunnites/chiites tant de fois decries dans vos colonnes par d'autres journalists qui meriteraient de s'en inspirer un peu . Que vous dire d'autre ? continuez dans cet effort de recherche de la Verite . La conclusion de cet article est edifiant .

    FRIK-A-FRAK

    11 h 34, le 18 avril 2015

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