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Lifestyle - Tous les chats sont gris - Lieux de nuit

Et les larmes deviennent éclats de rire...

Impressions d'un départ nocturne, via l'aéroport de Beyrouth, entre cohue de voyageurs angoissés, bagages empilés, adieux difficiles et traits d'humour quand même.

Photo C.H.

Il fait toujours nuit sur l'aéroport de Beyrouth. Il fait nuit sur la grise autoroute qui longe la Cité sportive et qui mène vers les départs aigres-doux. Il fait nuit quand on part. Une nuit insolente, probablement due à ces couloirs gris, ce carrelage terne, ces néons blafards. Mais il y a surtout ce sentiment d'arrachement, indomptable, une douce tristesse, ressentie à chaque fois qu'on effleure le tarmac de notre aéroport national. Que ce soit pour se séparer d'un proche qui s'envole pour une petite semaine, ou déposer le petit qui s'en va pour poursuivre ses études ; ce no man's land délavé ne connaît pas de jours ensoleillés. Même ses jours, d'ailleurs, ils sont nuits.

Il est minuit. En franchissant le barrage de l'armée, on attrape la main de cet autre, comme pour essayer de le retenir. Un peu plus, un peu plus longtemps. Les mains sont moites et les yeux se mouillent inévitablement. On arpente l'interminable fourchette qui indique « Départs » avec le pictogramme d'un avion inquiétant décollant à la verticale. On se regarde dans cette nuit sans étoiles, en maudissant ce pays qui nous force à partir encore et toujours. On essaye d'attraper une odeur, de caresser un fragment de peau ou un battement de cils. On voudrait cambrioler ce moment. Devant la porte d'entrée, les voitures sont parquées dans un rang indiscipliné. Personne ne parle, tout le monde hurle. D'une main, on se saisit d'un chariot à bagages, de l'autre on se crève le dos en déplaçant une valise qui déborde ; sous le regard dédaigneux de ces employés vêtus de combinaisons bleues qui proposent leur aide pour des sommes astronomiques. Non merci. Plus loin, il y a un soldat qui engueule ce couple qui ne parvient pas à écourter les adieux, devant leur véhicule jeté en deuxième file. Un décor digne du Baiser de l'Hôtel de Ville de Doisneau. Le flic se dirige ensuite vers nous avec sa mine impitoyable, même à cette heure où il ferait mieux de ronfler. On devrait le baptiser la police des séparations.

À l'intérieur, sous ces néons d'hôpital, c'est la même scène qui se répète inlassablement. Une mère qui ne se résout pas à l'idée que son fils quitte le cocon. Une fillette refusant, dans une fanfare de pleurs, de desserrer la main de son papa qui s'en va travailler à l'étranger. On ne se lâche pas, jusqu'à l'accès réservé aux voyageurs. On se serre plus fort, persuadés que ces quelques mètres de plus consoleront un cœur amer. Et puis, une fois cette frontière franchie, on se retourne pour un dernier regard croisé, pour un ultime « je t'aime », pour un pardon jamais avoué, pour une promesse qu'on ne tiendra jamais. Pour un dernier « prends soin de toi », « mange bien », « appelle-moi », « n'arrête pas de m'aimer », « allah ma3ak ». Pour ce sourire qui tremble et cette larme incontrôlable, pour ce sentiment sournois qu'on devrait bannir. Alors on avance, et les larmes deviennent éclats de rire lorsqu'on se retrouve nez à nez avec nos copines. Vous savez, celles noyées dans leurs brushings et leurs visons rasés, assaisonnées de patchouli et maquillées au Stabilo à 1h du matin. On est d'autant plus consolé lorsque l'employée au comptoir de la Middle East, à la vue de nos yeux humides, omet notre excédent de bagages. Elle décide même de nous upgrader en tapotant sur son clavier jauni de ses ongles dont la french manucure est épaisse de 5 centimètres.

Une fois la douane passée, on se retrouve dans ce curieux espace transitoire qu'est la zone franche, ou duty free, et où tout un petit monde vit au gré de l'attente. D'un vol qui prend du retard, d'une connexion vers un pays du Golfe, d'un rendez-vous de travail crucial ou d'une semaine de vacances bien méritées. Dans l'attente d'un amant qu'on retrouve secrètement pour un week-end à Rome. Ou dans la surexcitation d'un groupe d'ados prépubères, réunis pour leur premier voyage entre copains à Amsterdam ou Varna. Et cette attente, on la meuble comme on peut, même en pleine nuit. Il y a celle qui, coquetterie oblige, prend une leçon de maquillage au stand Guerlain, malgré le look des esthéticiennes qui n'inspire pas forcément confiance. Il y a celui qui achète un stock de cigarettes dans l'optique de le revendre à ses copains de fac et d'arrondir ses fins de mois. Dans un coin, une employée sri lankaise se fait lyncher, comme ça, sans raison particulière, par un officier à qui on devrait tatouer sur le front la charte des droits de l'homme.

Ambiance plus légère au lounge, où l'on se retrouve pour un somme sur les canapés époque stalinienne, pour une séance papotage entre des hommes d'affaires en partance pour Genève ou des desperate housewives qui troquent Megève pour Zürs cet hiver.
On peut également avaler un immonde cappuccino dans un des cafés de l'aéroport qui pratiquent fièrement les tarifs du Ritz avant de rejoindre la porte d'embarquement. Retrouver cette mélancolie qui se cramponne à nous. Envoyer un dernier texto de nuit. Partir quand même.

 

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commentaires (2)

ET L'ÉCLAT DE RIRE... DEVIENT DES LARMES !!!

LA LIBRE EXPRESSION

09 h 19, le 07 février 2015

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Commentaires (2)

  • ET L'ÉCLAT DE RIRE... DEVIENT DES LARMES !!!

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 19, le 07 février 2015

  • Cet aéroport est tellement, gris, froid, lisse, glaçant à la limite... Il aurait pu être beaucoup plus accueillant si on avait laissé le soleil et le beau ciel bleu rentrer par de grandes baies vitrés, des couleurs plus chaudes, des plantes... Il contraste tellement avec le Liban, un pays si accueillant et vivant (malgré tous les problèmes). Si l'on était pas triste, on le devient très vite! C'est vrai, par contre, que la zone Duty Free est, à l'opposé, toujours bien éclairée et animée, même en pleine nuit!

    NAUFAL SORAYA

    08 h 03, le 07 février 2015

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