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Moyen Orient et Monde - Tribune

Tempête au Moyen Orient

Photo AFP

Les négociations en cours entre l'Iran et le Groupe des 5 + 1, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité plus l'Allemagne, viennent, faute d'accord au moment de la date butoir du 24 novembre, d'être prolongées de 7 mois, jusqu'en juin 2015.
Extraordinaires négociations... Interrompues et réouvertes à diverses reprises, elles durent en fait depuis plus de dix ans. Le Sénat des États-Unis et Israël affichent de manière constante une méfiance absolue, inconditionnelle, qu'aucune disposition écrite ne paraît pouvoir suffire à réduire. Les négociations semblent programmées pour échouer.


Pourtant, et depuis deux ou trois ans au moins, les deux exécutifs principalement concernés, l'Iranien et l'Américain sont hautement désireux et ont même un urgent besoin de trouver un accord. L'Iran parce que les sanctions économiques commencent à l'étrangler dangereusement et parce que le président Rohani, hostile depuis toujours à la détention de l'arme nucléaire par l'Iran, a besoin d'un succès international pour conforter sa position. Les États-Unis parce que le président Obama a lui aussi besoin d'un succès international pour renforcer sa position intérieure, en même temps parce que le règlement de ce contentieux est une condition de soulagement des tensions et d'ouverture d'un processus de règlement pour le problème syrien et pour commencer à traiter la menace représentée par l'État islamique dit califat en Irak.


Or, l'Iran sort à peine d'un long combat politique interne, plus de trois ans en fait, entre ceux qui voulaient absolument arriver à produire l'arme, représentés par l'appareil militaire et une partie des mollahs, et ceux qui le refusent, représentés, eux, par la communauté marchande et par les mollahs réformateurs au premier rang desquels Khatami et Rohani. Ce combat fut longtemps incertain et fut finalement gagné par les anti-nucléaire militaire lorsque le guide suprême, l'ayatollah Khamenei, s'y rallia en proclamant l'arme nucléaire contraire au Coran. Même s'il est probablement terminé maintenant et nettement gagné par les anti-nucléaire militaire, ce combat a eu notamment pour résultat que pendant des années, toute délégation iranienne collective participant à des pourparlers était inévitablement composite et comportait aussi bien des opposants que des favorables à l'armement nucléaire. On a ainsi vu des cas où une visite de l'Agence de Vienne à une installation jugée suspecte, mais explicitement autorisée par l'un des divers accords partiels qui ont jalonné cette route, a été formellement interdite par un commandant local. De même depuis les mêmes années, toute délégation américaine composée pour les mêmes pourparlers comporte pour partie des fonctionnaires irréductiblement hostiles à l'Iran et à tout ce qui en vient, et pour partie seulement des fonctionnaires disciplinés au président et servant la cause qu'il a décidé de servir. On ne peut que comprendre les ratés fréquents de ces négociations.


Or les choses changent au grand Moyen-Orient, lentement et sûrement mais profondément, telles des plaques tectoniques. La plus visible n'est pas la plus profonde, dont les effets déflagrateurs se révèlent plus localement et à plus court terme. Il s'agit du réveil chiite. On sait que depuis bien des siècles, un millénaire en fait, le monde de l'islam vit un conflit profond entre deux lectures de la tradition. Les majoritaires, sunnites, plus de 70 % du monde arabe, se veulent orthodoxes et considèrent les minoritaires, chiites, comme des hérétiques, et réciproquement. La haine est inextinguible. Le seul grand pays chiite est l'Iran, la Perse, non arabe. Dans le monde arabe, les chiites sont dispersés un peu partout. Il n'y a que l'Irak où ils approchent de la majorité. L'imbécillité de l'attaque américaine contre l'Irak au début du présent siècle a mis fin à l'autorité du dictateur local. Saddam Hussein était, certes, effroyablement cruel, mais séculier, religieusement minoritaire, une petite secte issue du chiisme ; et surtout, loin de détenir des armes de destruction massive, il voulait maintenir sa domination de fer chez lui sans référence religieuse en se gardant bien de vouloir bouleverser l'équilibre extérieur, la leçon de 1989-1990 lui suffisant. Cette opération insensée ouvrit la voie à une guerre civile entre sunnites et chiites, en même temps que la perspective pour les chiites de prendre majoritairement le pouvoir par une élection. L'instabilité qui en résulta est permanente depuis.


L'on a en Syrie une situation presque inverse mais analogue. Dans la mosaïque de ce pays, des druzes, des Kurdes, des chrétiens, quelques juifs, des chiites, la majorité est sunnite. Un dictateur laïc, Bachar el-Assad, effroyable lui aussi, maintenait un ordre extrêmement brutal mais appuyé par toutes les minorités qu'il défendait contre les sunnites dominants. Assad lui-même est alaouite, une petite secte issue du chiisme, donc minoritaire. La volonté occidentale de se débarrasser de lui au nom des droits de l'homme et de la démocratie, visions occidentales chaleureuses mais inconnues et sans racines dans tous ces pays, a été prise par les sunnites comme l'annonce d'une libération possible de leur oppresseur et comme une incitation à anticiper la guerre de libération... Or, ces sunnites-là sont proches des Saoudiens et appartiennent donc au wahhabisme, l'école de pensée la plus intolérante de tout l'islam. De ce fait, ils encouragent et protègent l'émergence de l'État islamique d'Irak et de Syrie, qui se veut califat et annonce une guerre d'extermination aussi bien contre les chrétiens, pour eux les croisés, que contre les chiites.


L'arc chiite en plein réveil est à l'évidence soutenu par l'Iran, mais aussi par la Russie, lasse de voir l'influence anglo-américaine relayée au Moyen-Orient par la quasi-satellisation où ces deux pays ont réussi à mettre les deux grandes nations qui dominent le monde sunnite, l'Égypte et l'Arabie saoudite. L'armée la plus puissante au milieu de tout cela est l'armée turque. Elle n'est pas arabe, mais elle est sunnite, et le gouvernement turc cherche peu à cacher son absence d'antipathie pour l'État islamique en interdisant notamment à ses propres Kurdes de soutenir les Kurdes voisins d'Irak subissant l'assaut de l'État islamique.
Assad devient donc nécessaire à la défense générale contre les tueurs de l'État Islamique. Et l'adversaire majeur de l'État islamique en cause est l'Iran, meilleur fédérateur possible même des Arabes chiites. Même l'Arabie saoudite fait cette analyse. Elle aussi a compris que même un sunnisme modéré est intolérable aux jihadistes. Le déblocage des négociations iraniennes est donc la clé du déblocage général, qui passe par un changement d'alliances ayant reçu les agréments turc et russe. Voilà pourquoi l'annonce du report de sept mois des négociations des 5 + 1 avec l'Iran est une mauvaise nouvelle : tous les dangers sont en voie d'aggravation, Ukraine comprise, alors que cette dernière trouverait aussi son compte à une stabilisation générale ; en même temps qu'une bonne : les négociations sont reportées, non interrompues. Personne n'a voulu prendre ce risque. Puisse la crainte être ici bonne conseillère pour la suite.

©Project Syndicate, 2014.

Michel Rocard est ancien Premier ministre français et ancien dirigeant du Parti socialiste.

Les négociations en cours entre l'Iran et le Groupe des 5 + 1, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité plus l'Allemagne, viennent, faute d'accord au moment de la date butoir du 24 novembre, d'être prolongées de 7 mois, jusqu'en juin 2015.Extraordinaires négociations... Interrompues et réouvertes à diverses reprises, elles durent en fait depuis plus de dix ans. Le Sénat des...

commentaires (1)

DESERT STORM ! COMMENCÉ PAR... CONTINUÉ... ET ? UN LUNATIQUE QUELQUE PART SIROTE SON CAFÉ ET RIT : VOILÀ LE NOUVEAU MOYEN ORIENT PROMIS !

LA LIBRE EXPRESSION

13 h 41, le 12 décembre 2014

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Commentaires (1)

  • DESERT STORM ! COMMENCÉ PAR... CONTINUÉ... ET ? UN LUNATIQUE QUELQUE PART SIROTE SON CAFÉ ET RIT : VOILÀ LE NOUVEAU MOYEN ORIENT PROMIS !

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 41, le 12 décembre 2014

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