En 2014, un groupe jihadiste s'empare progressivement de vastes territoires en Irak et en Syrie et déclare la création de l'État islamique. 35 ans auparavant, l'ayatollah Ruhollah Moussavi Khomeyni arrivait au pouvoir en Iran et confèrait une nature islamique au nouveau régime en mettant en pratique sa théorie du wilayet el-faqih al-mutlaqa (le pouvoir absolu du faqih). Entre les deux évènements, il existe de nombreuses ressemblances, voire des reproductions mimétiques, tant au niveau de la réthorique qu'à celui de la volonté d'accaparer le monopole du religieux. Mais même si les deux projets diffèrent fondamentalement dans leurs définitions de l'islamité, il n'empêche que c'est bien en Iran qu'a été créé le premier État islamique de l'histoire moderne.
Aussi, l'ouvrage de Hassan Diab el-Haraké, Les fondements religieux du pouvoir politique dans la République islamique d'Iran, paru en 2012, analyse l'évolution de la pensée politique du chiisme duodécimain depuis 940 et la grande occultation du douzième et dernier imam, al-Mahdi. Ce docteur en culture et sociétés dans le monde arabe et musulman de l'Université Michel de Montaigne à Bordeaux explique, avant toute chose, l'importance de la prise en compte de la notion de sacré dans cette pensée. « En tant qu'espace, idée, objet, personne ou mémoire inviolable et intouchable, le sacré définit cette pensée. Et c'est justement parce qu'il a une place intrinsèque dans l'expérience religieuse politique chiite qu'il est instrumentalisé par les protagonistes du chiisme politique », explique l'auteur. Ce dernier revient ensuite sur l'évolution des relations de pouvoir entre l'imamat et le sultanat, puis sur la progressive entrée en politique du corps des fuqaha. En effet, pendant très longtemps, le faqih n'intervenait pas sur la scène politique et se contentait de gérer les questions sociales et religieuses en attendant le retour de l'imam caché. Mais son rôle va considérablement changer au fil des siècles puisque celui-ci va peu à peu récupérer les attributions traditionnellement confiées au douzième imam et profiter ainsi tant de son autorité morale que de sa base populaire pour intervenir dans les affaires politiques.
« Une religion politique »
Ce mélange entre le politique et le religieux, entre le spirituel et le temporel, entre le profane et le sacré, entre l'exotérisme et l'ésotérisme, atteindra son apogée dans la pensée khomeyniste, « fruit de ce long processus d'élaboration, d'évaluation et de restructuration du statut de faqih », analyse l'auteur. Khomeyni, qui déclare sans nuances que « l'islam est une religion politique », a « islamisé à nouveau tout ce qui semblait s'éloigner de l'islam et a politisé tout ce qui ne l'était pas telle que la prière », d'après les écrits de M. Haraké. Khomeyni, lecteur d'Ibn el-Arabi et fervent admirateur de sa vision de l'homme parfait, ne définit pas la théorie du wilayet el-faqih al-mutlaqa comme un « pouvoir politique, ni exclusivement un pouvoir religieux, économique ou encore social », rappelle l'auteur. Et parce que la légitimité de son autorité dépend uniquement d'une décision de caractère divine, son pouvoir ne peut être limité par aucune loi humaine. En d'autres termes, même si la Constitution iranienne définit des contre-pouvoirs, elle n'encadre pas la fonction du guide suprême. Dans cette équation, le peuple est complètement exclu dans le choix des gouverneurs, mais son rôle est tout de même essentiel dans l'acceptation de la légitimité du guide. C'est « cette acceptation qui rend la wilaya active », ajoute M. Haraké.
Le charisme et la popularité de Khomeyni avaient permis de camoufler les grandes imperfections de cette théorie, mais sa mort en 1989 a démontré la fragilité de la théorie. La nomination de l'ayatollah Khamenei par l'association des experts relève d'une volonté de sauvegarder le régime et de garder le monopole du religieux face à la montée en puissance d'autres fuqaha'. Mais celui-ci n'est pas considéré pour autant comme une marjaa taqlid (une source d'imitation) en Iran, ce qui limite son influence dans le pays. Toutefois, Khamenei va affirmer sa marja'iya en dehors de l'Iran, ce qui va lui permettre de jouer encore un grand rôle sur la politique étrangère et notamment dans ses relations avec le Hezbollah. Selon l'auteur, « le Hezbollah provient de la théorie du wilayet el-faqih exactement comme le rayon de la lumière provient du Soleil ». Autrement dit, la relation entre les deux entités n'est pas simplement tactique ou géopolitique, mais bien « d'ordre idéologique par excellence ». C'est le guide suprême qui a le dernier mot sur tous les dossiers importants, notamment sur toutes les questions de guerre ou de paix. C'est donc l'identité islamique du mouvement, au nom du caractère sacré des décisions du guide, qui prime sur son identité libanaise en ce concerne les questions existentielles.
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commentaires (6)
Et, pour simplifier, tout simplement un duo de tarés....
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
15 h 10, le 08 décembre 2014