Brusquement, le dossier présidentiel semble s'emballer et les pronostics se multiplient sur une élection présidentielle au cours des prochaines semaines. Le président de la Chambre Nabih Berry a même fixé une nouvelle date pour une séance parlementaire d'élection, la semaine prochaine, en ajoutant que des données à la fois locales et régionales lui permettent d'être plus optimiste qu'auparavant. Dans les coulisses du 14 Mars, on murmure aussi qu'il y a des possibilités de déblocage, notamment à cause des négociations entre l'Iran et la communauté internationale sur le dossier nucléaire iranien et la nécessité pour l'Iran de faire des concessions, au Liban et ailleurs.
En même temps, les milieux du 14 Mars se réfèrent à l'avant-dernier discours du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, le 3 novembre, dans lequel ce dernier déclare pour la première fois que le chef du bloc du Changement et de la Réforme Michel Aoun est le candidat du 8 Mars à la présidence de la République, dans une invitation à négocier avec lui, ce qui constitue donc un prélude à son lâchage. De plus, sur le plan international, le Conseil de sécurité a publié une déclaration présidentielle pour presser les Libanais à élire un président. Tous ces indices mis ensemble permettent de croire à la possibilité d'une élection présidentielle dans un avenir proche.
Toutefois, des sources proches du 8 Mars conseillent aux différents milieux politiques de rester prudents. Pour ces sources, il est clair que ce camp traverse actuellement une nouvelle période de pressions, tant locales qu'internationales, pour tenter de faire passer l'élection présidentielle. La déclaration présidentielle du Conseil de sécurité est à mettre dans ce cadre, sous prétexte qu'il faut profiter de la volonté de l'Iran de conclure un accord avec la communauté internationale sur le dossier nucléaire pour lui arracher des concessions, notamment au Liban et en Syrie.
En même temps, la communauté internationale exerce des pressions sur les parties libanaises, à travers les aides financières et autres au Liban dans le dossier des réfugiés syriens et dans celui de la lutte contre le terrorisme, pour les pousser à élire un président consensuel ou d'entente.
Mais selon les sources du 8 Mars, cela ne signifie pas que ce camp va céder aussi facilement. Le discours du sayyed Nasrallah a été interprété de façon erronée. Quand le Hezbollah refusait de nommer son candidat, alors que tout le monde connaissait son identité, le 14 Mars en profitait pour dire que le Hezbollah ne voulait pas réellement de la candidature du général Aoun, et maintenant que celle-ci a été ouvertement déclarée, le 14 Mars affirme que c'est une manière de le griller. Selon les sources du 8 Mars, quoi que fasse ce camp, le 14 Mars trouvera moyen de mettre en doute son action et de se livrer à des interprétations fantaisistes.
Pourtant, sayyed Nasrallah a été très clair. Et pour couper court à toutes les tentatives de pêcher en eaux troubles, il a dépêché son conseiller en questions politiques hajj Hussein Khalil ainsi que le responsable de l'unité de coordination au sein du Hezbollah hajj Wafic Safa auprès du général Aoun pour lui déclarer ouvertement son appui. Cette visite se voulait essentiellement un message destiné à tous ceux qui souhaitent croire que le Hezbollah, sur injonction de l'Iran, a ouvert le bazar de la présidentielle. Elle est aussi intervenue au lendemain de la prorogation du mandat du Parlement, à laquelle le bloc du Changement et de la Réforme est opposé au point de présenter un recours en annulation de cette loi devant le Conseil constitutionnel.
En effectuant cette visite à Rabieh, le Hezbollah a voulu montrer que la question de la prorogation du mandat du Parlement, en faveur de laquelle les députés de son bloc ont voté, ne peut en aucun cas altérer les relations avec le général Aoun. Celles-ci s'inscrivent dans la stratégie et ne peuvent donc pas être affectées par des divergences sur des sujets secondaires. Dans le dossier présidentiel, on en est donc au même point : tant que le général Aoun est candidat, le Hezbollah n'envisage pas une autre possibilité que son élection. Et toutes les pressions internationales ne peuvent pas changer cette position.
Pour le Hezbollah, la route de Baabda passe donc par Rabieh, et à Rabieh, justement, rien n'a changé, « le général » est toujours candidat et n'entend pas renoncer à ce droit. En tout cas, il ne voit aucune nécessité de le faire, estimant que les Libanais ont une chance rare de pouvoir élire un président représentatif et fort, et ils seraient dans l'erreur s'ils la laissaient passer par crainte des pressions régionales et internationales.
Quant au président de la Chambre, il fait son devoir en convoquant régulièrement des séances parlementaires destinées à l'élection. D'abord, il ne peut pas se permettre de mettre ce dossier dans un tiroir, ensuite, il avait lui-même déclaré qu'il ne veut pas de la prorogation du mandat du Parlement si celui-ci ne fait rien et reste improductif. M. Berry sait parfaitement que cette prorogation était impopulaire et il doit autant que possible pousser le Parlement au mandat doublement prorogé à agir. C'est aussi la raison pour laquelle il a décidé de relancer la commission parlementaire chargée d'étudier une nouvelle loi électorale...
commentaires (6)
Le président du Liban ne représente pas uniquement les maronites. Le premier ministre du Liban n’est pas le chef incontestable des sunnites. Le président du parlement ne préside pas que des chiites. Mais les trois représentent, dirigent et président le Liban et tous ses libanais. Un président fort l’est par ses actions. Il doit avoir un plan économique, social et politique clair et consensuel qu’il appliquera une fois élu. Il n’est pas forcément populaire au sein de sa communauté. Fouad Chehab ne l’était pas et il est incontestablement le meilleur que le pays des cèdres ait connu. Camille Chamoun et Sleimen Frangieh l’étaient, et une guerre civile a éclaté (ou failli éclater) lors de leurs mandats. Non ! Ce vide à la tête du pays n’est pas normal ! L’égoïsme de celui qui scande « Moi ou personne », puisqu’il représente un peu plus de la moitié des chrétiens devient insupportable. Ni lui ni l’autre, son ennemi juré, ne seront (et ne doivent être) élus d'ailleurs. Il faut qu’il comprenne que le pays et ses institutions ne peuvent plus être otage de ses folies, de son égoïsme et de ses rêves. Son allié, inconditionné, l’a même dit sous sa barbe : « Allons voter ! ». Khalas !
Emmanuel Ramia
23 h 59, le 17 novembre 2014