Quatorze séances parlementaires ne leur ont pas permis d'élire un président de la République, trois ans ne leur ont pas suffit pour adopter la grille des salaires du secteur public ou voter une nouvelle loi électorale. Mais quelques dizaines de minutes leur ont été largement suffisantes pour proroger, une nouvelle fois, leur propre mandat de deux ans et sept mois.
Les députés libanais, réunis mercredi en séance plénière, ont voté à une large majorité la prorogation du mandat du Parlement qui expire le 20 novembre. Sur les députés présents, 95 ont voté pour et deux contre. Il s'agit de la deuxième prorogation du mandat de cette Chambre élue en 2009. Le 31 mai 2013, les députés avaient déjà prorogé leur mandat de 17 mois. La nouvelle rallonge leur permet ainsi de compléter une nouvelle législature entière (quatre ans) si l'on additionne cette durée avec celle de la première prorogation.
Le mandat du parlement expire donc désormais le 20 juin 2017.
Tous les blocs parlementaires ont participé à la séance parlementaire à l'exception des députés chrétiens du Courant patriotique libre (CPL) de Michel Aoun et des Kataëb. Le bloc des Forces libanaises (FL) a voté en faveur de la prorogation pour "éviter de tomber dans le vide", ainsi que les députés du Courant Marada de Sleimane Frangié et les chrétiens indépendants du 14 Mars. Le Tachnag, principal parti arménien, a voté contre la rallonge. Tous les blocs musulmans, dont ceux du Hezbollah, du président de la Chambre Nabih Berry, du Courant du Futur et du leader druze Walid Joumblatt ont voté en faveur de la prorogation.
Les partisans de la prorogation invoquent la vacance de la présidence et la situation sécuritaire précaire au Liban pour justifier leur position.
Au Parlement, la députée membre des FL, Sethrida Geagea, a affirmé mercredi que son parti aurait "préféré que des élections aient eu lieu". "Le blocage de la présidentielle nous a conduits à la prorogation. Sans la prorogation nous aurions été vers le vide. Les FL sont prêtes à prendre des décisions qui ne sont pas populaires pour sauver la nation", a-t-elle ajouté.
Mardi, le leader des FL Samir Geagea, avait regretté, lors d'une conférence de presse, que le pays se trouve, à deux semaines de l'expiration du mandat de la Chambre, face à l'alternative suivante : le vide institutionnel total, ou la prorogation du mandat du Parlement.
En votant la prorogation mercredi, les parlementaires renouent avec les pratiques de la guerre civile, durant laquelle les députés de l'époque enchainaient de facto les législatures faute de pouvoir organiser des élections. Les premières élections législatives d'après-guerre, certes largement boycottées, avaient été organisées en 1992 puis de façon régulière tous les quatre ans.
Manifestation de la société civile
Sur le terrain, des activistes opposés à la prorogation ont coupé plusieurs routes menant au Parlement. Ils ont ainsi barré la route près du quotidien an-Nahar, celle menant à la place Riad el-Solh et celle de Bab Idriss. Il s'agit des trois principaux axes menant à la Place de l'Étoile, où se trouve le siège de l'Assemblée. Plusieurs tentes ont été dressées sur ces routes, empêchant les voitures des députés d'arriver à la Chambre. Des heurts ont éclaté avec les forces de l'ordre déployées en force dans la région.
Certains manifestants ont lancé des tomates et des œufs sur les voitures de députés, dont celle de la députée Nayla Tuéni, rédactrice en chef du quotidien an-Nahar. Plusieurs députés ont dû arriver au Parlement à pieds en raison du blocage des routes par les activistes. Les rangs des manifestants gonflaient à mesure que s'approchait le vote de la prorogation.
"Ayez honte de ce que vous faites, vous ne nous représentez plus", a tonné au micro de la LBCI une manifestante portant le drapeau libanais. Un autre manifestant a promis des mesures d'escalade pour refuser "cette mascarade".
Le député Nicolas Fattouche, à l'origine de la proposition de loi sur la prorogation, a balayé d'un revers de main la contestation populaire. "La société civile ne connaît rien à la loi", aurait-il dit en prenant la parole dans l'hémicycle, selon plusieurs médias.
S'exprimant de Sydney où il se trouve en visite depuis plusieurs jours, le patriarche maronite Béchara Raï a qualifié d'"anticonstitutionnelle et illégale" la prorogation.
Angelina Eichhorst, chef de la délégation de l'Union européenne au Liban, a estimé sur son compte Twitter qu'il s'agissait d'un "triste jour pour l'histoire constitutionnelle du Liban".
Asking what cld ve been done differently over past period 2 avoid a parliamentary #extension, a sad day in #Lebanon's constitutional history
— Angelina Eichhorst (@aneichhorst) November 5, 2014
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commentaires (11)
Tous les electeurs qui touchaient de l argent pour voter doivent se sentir pauvres et cocus ...ils n'en ont pas eu pour deux mandats!!! Sinon rien de nouveau...
CBG
01 h 00, le 07 novembre 2014