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Nos Lecteurs ont la Parole - Antoine MESSARRA

Où en est le mouvement syndical ?

Le mouvement syndical au Liban est souvent occulté dans les recherches et les débats publics, même quand on parle de société civile, comme est occulté le Conseil économique et social, sauf dans des situations syndicales fortement contestataires. Or le mouvement syndical est le pilier de la société civile et, du fait qu'il est plus proche des intérêts quotidiens des citoyens, il est le contrepoids indispensable face à tous les risques d'hégémonie partisane ou partitocratie.
Pour sonder de façon concrète l'état actuel du mouvement syndical, les étudiants en master de gestion des ressources humaines à l'Université Saint-Joseph de la promotion 2013-2014 ont entrepris une investigation de terrain auprès plus de trente organisations syndicales et ordres professionnels dans les divers mohafazats.
Il s'agissait de voir, d'observer, de relever des faits à travers une observation participative, plutôt que d'engager des entretiens formels ou de collecter des informations d'ordre général.
Vivre ainsi le syndicalisme libanais a été fort instructif et fructueux. Des étudiants rapportent : « Je suis sortie fière de cette visite bénéfique pour moi : ce projet ne sera pas oublié » (Tala Cheikh el-Ard) ; « J'ai considéré le projet comme une opportunité pour apprendre de façon pratique » (Manal Chahine); «Cette visite a été bénéfique: j'ai pu reconnaître l'importance du rôle que joue l'ordre professionnel dans le métier» (Nadine Nehmé); «Cette visite m'a permis de changer l'idée que j'avais des syndicats en général» (Tatiana Aoun); «Je suis sortie avec beaucoup de données concrètes sur la vie professionnelle, les droits et devoirs » (Rawan Kichli); « Ce travail d'observation était fort intéressant pour moi, une bonne expérience personnelle, car j'ai vécu des situations réelles » (Joanna Élias).
Il ressort de leur tournée d'investigation, dans le cadre de leur projet et de la séance collective de débat, avec la participation de tous les étudiants, quatre données fondamentales.
1. Les disparités d'organisation et de moyens: en comparant de grands ordres professionnels à de petites organisations syndicales, des ordres de médecins, d'avocats... aux syndicats de pêcheurs, de chauffeurs de taxi..., on relève de fortes disparités d'organisation et de moyens (Sandra Waldemar Abouchacra, Zeina Chehab, Racha Zeidan). Les grands ordres ont pu s'assurer des fonds budgétaires à travers des cotisations obligatoires et des prélèvements dans l'acquittement de taxes diverses. Ce sont de petites et nouvelles organisations syndicales, qui s'occupent surtout de travailleurs souvent marginaux ou marginalisés, qui ont besoin à l'avenir de soutien.
2. Les rapports avec la société : des organisations appréhendent la transparence (Joëlle el-Jajj, Rachelle Ghandour). On ne peut les aborder que si on intervient par le canal d'une connaissance (Abdallah Assaad Abi Raad, Farid Daou Abi Zeid). Une étudiante rapporte de sa tournée : « Le syndicat a-t-il un engagement au niveau du changement social et de l'amélioration citoyenne auprès de son pays? L'action syndicale ne serait-elle pas un facteur d'unité et de rassemblement entre les Libanais de tous bords ? » (Carole Teilhac). Des organisations s'activent, avec des réunions régulières, à l'élaboration de conventions collectives (Zeina Samrout). Une étudiante écrit: « Le directeur m'a accueillie et m'a donné de son temps. L'ordre informe sur les possibilités d'emploi, ce qui aide beaucoup les chômeurs dans un pays qui se noie dans un taux de chômage élevé » (Farah Sayegh).
3. Défense des droits ou prolongement des partis ? C'est au moment des élections que le syndicalisme libanais s'active (Joy el-Hélou). La tournée des étudiants a correspondu avec quelques agitations, dont la contestation par des médecins du Liban-Nord de l'arrestation d'un de leurs confrères (Diala el-Baba), le mouvement de salariés d'une chaîne de supermarchés d'où il ressort que «lorsque les employés soulèvent leur voix, ils reçoivent une réponse de l'administration publique » (Samah Khalifeh), et le cas d'employés non payés depuis longtemps (Jad Karam). Des professionnels vivent en permanence des conditions de travail difficiles, avec des cas d'usage de la force (Lara Baroudi, Sandy Jawish, Rita Youssef).
Des syndicats sont confrontés à des problèmes aigus de défense de droits fondamentaux : les pêcheurs et d'autres ne bénéficient pas de garanties et de prestations de Sécurité sociale (Manal Khazaal). Des institutions imposent des clauses d'assurance (Denise Waked). Des ordres professionnels cherchent à aider des retraités nécessiteux (Marwa Ballout, Israk Moussa). Des membres qui n'ont pas touché leur dû viennent au siège syndical pour réclamer le soutien (Yara Maalouf).
Qu'en est-il de l'éthique professionnelle ? Les recours disciplinaires sont souvent jugés avec laxisme (Mira Noujeim, Fatima Moussawi). Un ordre professionnel contrôle avec vigilance des infractions flagrantes ou assure l'organisation de stage (Batoul el-Hajj, Carole Allouche, Tatiana Aoun). Un autre ordre poursuit des sessions de culture juridique populaire (Raed Mansour).
Mais parallèlement à ces actions positives, des faits montrent que le mouvement syndical a subi depuis les années 1980 un laminage progressif, devenant le plus souvent un prolongement d'allégeances partisanes conventionnelles au détriment de son autonomie (Eugénie Élias).
4. L'absence de la perspective publique : il est fort rare que les syndicats et organisations professionnelles sortent du cadre de la défense des intérêts exclusifs de la profession pour s'engager dans une perspective de politique publique, relativement à leur domaine professionnel et en tant qu'acteurs de dialogue social (Georges Karam). Un syndicat en particulier, dont le domaine de compétence est fort large, avec certes des progrès en matière d'information syndicale, ne connaît que la contestation avec une mentalité de grève de pérégrination et de sabotage (Marc Bardawil, Rawan Kassabieh, Hiba Ballout).
Il ressort de nombre de travaux l'absence de perspective publique (Joumana Jalloul, Éliane Hanna, Zeina Jebak, Hussein el-Hajj, Ramy Hatab, Joëlle Jouwayed, Manal Chahine, Éliane Boulos, Nadine Nehmé, Sandra Ataya, Tala Jarrah, Joanna Élias). Or tous les problèmes de société sans exception peuvent être classés en fonction des préoccupations professionnelles du mouvement syndical. Quand ce mouvement est acteur efficient dans les politiques publiques, et non exclusivement contestataire, la démocratisation devient plus effective.

Antoine MESSARRA
Membre du Conseil constitutionnel, professeur à l'USJ

Le mouvement syndical au Liban est souvent occulté dans les recherches et les débats publics, même quand on parle de société civile, comme est occulté le Conseil économique et social, sauf dans des situations syndicales fortement contestataires. Or le mouvement syndical est le pilier de la société civile et, du fait qu'il est plus proche des intérêts quotidiens des citoyens, il est le...

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