Rechercher
Rechercher

Liban - Artisans du Liban – série

Dans la Békaa, la mosaïque a son chantre

Il y a 15 ans, Abdelkarim Emama lâchait la construction pour s'adonner à sa passion à temps plein.

Les œuvres de l’artisan de Majdel Anjar. Photos Anne Ilcinkas

Longtemps, la mosaïque ne fut qu'un passe-temps. Aujourd'hui, cette passion est devenue le travail à plein temps de Abdelkarim Emama, un solide gaillard de 58 ans.
Une passion qui remplit son atelier, situé dans le jardin de sa maison de Majdel Anjar, un village libanais proche de Zahlé et ayant la particularité d'être équidistant de Beyrouth et de Damas. Les mosaïques de Abdelkarim sont posées contre le mur du fond, alors que l'artisan travaille assis sur un banc... en mosaïques multicolores. À l'intérieur comme dehors, sa maison est une véritable galerie d'exposition. Tableaux, lampes, vases et tables en mosaïques : aucun doute sur la passion du père de famille.

Abdelkarim Emama a travaillé de ses mains toute sa vie. Jusqu'à il y a 15 ans, il besognait dans la construction. Lassé du manque de rigueur et de contrôle qu'il avait sur son travail et convaincu par ceux qui lui disaient que son talent valait bien toute son attention, il s'est mis à la mosaïque.
Pour créer ses portraits et tableaux en mosaïques comme à l'ancienne, il coupe les blocs de roc avec une vieille pince rouge, tenant la pierre entre le bout de ses doigts musclés, durcis par la roche et le temps. Puis, à l'aide d'une petite meule, il polit les bouts de marbre pour en faire de petits pixels de couleur. Bien entendu, Abdelkarim ne porte pas de gants...

Sa couleur préférée est le rouge car, en plus de sauter aux yeux, « c'est la couleur du cœur et du sang, or c'est un travail difficile ». « Les gens ont tendance à éviter ce genre de corvée. Moi j'aime le travail difficile car il mène toujours à quelque chose de grand et d'important », explique-t-il.
Abdelkarim trouve ses matières premières – la roche, le marbre, la céramique – en faisant tous les mois la tournée des usines de pierre partout dans le pays, avec l'objectif d'y dénicher les couleurs et compositions les plus remarquables.
Dans son atelier, il débite les blocs en dalles, à l'aide d'une scie électrique, puis en tiges longues de 30 cm et épaisses d'un centimètre. Parfois ces tiges servent de bordure aux tableaux et portraits qu'il conçoit. Le plus souvent, les tiges sont recoupées en morceaux de moins d'un centimètre cube qui formeront les mosaïques.

 

 

 

Patrimoine
Durant les quinze ans qu'il a entièrement dédiés à son artisanat, il estime avoir fait plus de deux cents tableaux. À son palmarès, des portraits, entre autres de Majida el-Roumi et du patriarche Raï ; des cartes du Liban, de Baalbeck, de Tyr ; des proverbes et des versets coraniques. Il a même tenté la reproduction d'une mosaïque grecque d'un cavalier en armes, une de ses premières œuvres. « Ce travail me fait plaisir, se réjouit l'artisan. La mosaïque fait partie du patrimoine libanais. Cela fait 4000 ans qu'on en fait. Les Romains, les Phéniciens, même les Arabes et les Turcs faisaient des mosaïques. »
Selon lui, ce sont les portraits qui sont les plus exigeants. « Une seule erreur détruit tout le projet. Et j'exige de moi-même que ce soit un travail réussi, je veux que les gens en parlent pendant longtemps », dit-il.

Si l'époque du commerce touristique de Majdel Anjar est révolue, l'artisan reçoit toujours des commandes grâce au bouche-à-oreille. La plupart de sa production est vendue moins d'une centaine de dollars, le prix ne grimpe que si l'œuvre lui a pris plus d'une semaine de travail. Il lui faut environ vingt heures pour compléter une plaque de 20 par 45 cm. « Cet artisanat n'a rien à voir avec l'argent, explique-t-il. Je ne veux que manger et élever mes enfants. » Ce qui n'est pas rien car Abdelkarim a dix enfants.

Transmission
Les deux benjamins apprennent la technique du père. Aya, 13 ans, est encore novice, mais elle s'entraîne à former et à faire cuire de petites sculptures en céramique. Bachar, 14 ans, fait déjà des tableaux. Le jeune garçon est d'ailleurs très fier de sa dernière œuvre : un tableau en mosaïques d'à peu près la taille d'un livre d'école, une rose aux pétales rouges sur un fond en dalle turquoise.

Abdelkarim Emama apprend aussi son art aux enfants des voisins. « Ils adorent », dit-il le sourire jusqu'aux oreilles. De temps à autre, quand on le lui demande, il donne des cours dans des universités de la région, mais l'artisan a des doutes sur l'utilité d'un cursus scolaire sur l'art de la mosaïque. « Le talent ne s'apprend pas à l'école. L'école ne peut que leur donner les notions de base, estime-t-il. Ceux de mes élèves qui ont du talent y arriveront sûrement. Mais tous n'y arriveront pas, c'est certain. »

 

Prochaine rencontre : Le fondeur de cloches de Beit Chabab

 

Lire aussi
Artistes, artisans et designers veulent se réapproprier Mar Mikhaël

Lumières sur les soies du Liban, de Syrie et de Palestine

Longtemps, la mosaïque ne fut qu'un passe-temps. Aujourd'hui, cette passion est devenue le travail à plein temps de Abdelkarim Emama, un solide gaillard de 58 ans.Une passion qui remplit son atelier, situé dans le jardin de sa maison de Majdel Anjar, un village libanais proche de Zahlé et ayant la particularité d'être équidistant de Beyrouth et de Damas. Les mosaïques de Abdelkarim sont...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut