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Liban - Enquête - Liban

Lorsque les élèves font mauvais usage de leur « smartphone »

Le téléphone portable, avec son accès aisé aux réseaux sociaux, peut aussi devenir un outil de harcèlement et de triche aux mains des élèves, sans parler de la dépendance qu'il provoque.

Comme de nombreux élèves, cet adolescent pianote sur son iPad en faisant ses devoirs. Son ordinateur est allumé et deux téléphones portables sont posés à côté de lui. Photo Michel Sayegh

Faut-il ou ne faut-il pas avoir son téléphone portable à l'école ? La question, qui est matière à discussion dans bon nombre d'établissements scolaires du pays, débouche sur une problématique plus vaste. À l'ère du libre accès aux technologies numériques, les élèves font-ils bon usage de leur téléphone intelligent et, par le fait même, des réseaux sociaux ?
Deux adolescentes ont préféré changer d'école en plein milieu de l'année scolaire plutôt que de continuer à subir le harcèlement au quotidien de leurs camarades de classe sur les réseaux sociaux. Nouvelles venues dans un établissement francophone de grande réputation, présentant quelques faiblesses dans la langue de Molière, elles étaient constamment moquées sur Facebook. Elles ont jeté l'éponge, mais les harceleurs, eux, n'ont pas été sanctionnés.
Une élève qui a envoyé une photo d'elle dénudée à son petit ami a eu le choc de sa vie en réalisant que sa photo a été envoyée à toute la classe via WhatsApp. Psychologiquement ébranlée, l'adolescente a été prise en charge par une psychothérapeute. Son « ami » a-t-il seulement réalisé les conséquences de son acte ?
Pas un jour ne passe sans un scandale, ici où là, mis au jour par les réseaux sociaux. Un scandale qui ne touche pas uniquement les élèves ou les adolescents, mais aussi le monde adulte, voire la classe politique.

 

(Dossier : L'impact de la révolution numérique sur les enfants et les adolescents)

 

La lente adaptation du monde pédagogique
Dans cet état des lieux, certains établissements scolaires préfèrent interdire formellement le téléphone portable à l'école, comme le collège Notre-Dame de Jamhour, malgré les sollicitations de parents anxieux, soucieux de garder le contact avec leurs enfants. D'autres, comme le Grand Lycée franco-libanais, l'autorisent, vu la situation sécuritaire difficile qui prévaut dans le pays, avec pour consigne de l'éteindre en classe. « Je lutte sans cesse contre le téléphone portable. Je sais que nombre d'élèves le gardent dans leur cartable, avoue le père Charbel Batour, préfet des classes complémentaires et vice-recteur au CNDJ. Ce n'est plus un simple téléphone, mais un appareil photo, un ordinateur et une ouverture sur le monde dès lors que l'élève est connecté à Internet. »
L'éducateur explique alors nombre de dérapages auxquels il a été confronté. « C'est un moyen efficace de triche sous toutes ses formes », assure-t-il. « Face à un examen difficile, l'élève peut prendre la donnée en photo et l'envoyer par WhatsApp à une connaissance qui peut l'aider à la résoudre », précise-t-il. Le préfet relate aussi les cas de harcèlement à l'égard d'enseignants. « Un groupe d'élèves a pris un enseignant en photo et fait circuler la photo sur WhatsApp, commentaires moqueurs à l'appui, ce qui a provoqué la colère de l'enseignant », raconte-t-il. Une forme de harcèlement qui peut aller loin, lorsque les élèves décident de créer un groupe sur Facebook contre tel ou tel enseignant. Les enfants eux-mêmes sont pris pour cible, constate le prêtre, évoquant le cas d'un élève de sixième que ses camarades ont « détruit » à force de le harceler sur Facebook. « La classe a été sanctionnée, et l'intervention des enseignants et des parents a été nécessaire pour régler le problème », affirme-t-il.


Au Grand Lycée franco-libanais, les élèves ont la liberté d'utiliser leur portable en cour de récréation, « chose qu'ils font à longueur de journée », note une enseignante des classes complémentaires et secondaires, Micheline Abou Khater Karam. « Mais le téléphone est interdit en classe sous peine d'être confisqué », poursuit-elle. Certes, les enseignants doivent parfois faire preuve de tolérance car « il n'est pas rare que les élèves sortent leur appareil pour regarder l'heure ». Certains dépassent sciemment les limites autorisées, comme cet adolescent de seconde qui « garde son portable allumé, caché derrière sa trousse, à longueur de journée », aux dires d'un camarade. « Nous sommes conscients que les élèves peuvent nous prendre en photo ou nous filmer avec leurs portables. Ils tentent parfois de nous pousser à bout, rien que pour nous mettre en colère et capturer le moment. C'est déjà arrivé. Des WhatsApp ont été échangés. Des scènes ont été publiées sur les réseaux sociaux », reconnaît Mme Karam.


Alors, pour faire face, le règlement évolue et sanctionne les dérapages, comme le harcèlement sur ces réseaux. Les enseignants adoptent de nouvelles stratégies. « Nous ne tournons plus le dos pour écrire au tableau, mais écrivons sur un tableau numérique en face de nous », explique-t-elle. Ils essaient aussi de se mettre à jour en matière de technologie, histoire de ne pas être dépassés par les adolescents. Lorsqu'ils en ont la possibilité, ils encouragent les élèves à utiliser les réseaux sociaux à des fins pédagogiques. « Je les invite à faire des recherches sur Internet, indique l'enseignante. Ils s'exécutent souvent durant la récréation sur leur téléphone ou dans des salles d'informatique selon une charte bien définie afin d'éviter le plagiat ».

 

(Lire aussi : Un Libanais réorchestre le sexe grâce à la technologie)

 

Des parents qui ont perdu le contrôle
Ces quelques témoignages sont la preuve que les nouvelles techniques, qui ont un impact mondial, sont encore trop peu maîtrisées, tant par les adultes, parents et établissements scolaires que par les enfants eux-mêmes. « Le problème est qu'on a aujourd'hui la liberté de publier tout et n'importe quoi sur Internet sans aucun contrôle », note Stéphane Bazan, chercheur en web science à l'Université Saint-Joseph. Il qualifie de « délirante » la dépendance aux appareils technologiques, qui rend les utilisateurs « prisonniers » et leur fait adopter des « comportements irrationnels » car ils doivent sans cesse se procurer les équipements les plus neufs ou être constamment présents sur les réseaux sociaux, au risque de ne pas être « in ». Les enfants n'échappent pas à cette dépendance. Bien au contraire, il leur est désormais aisé de se connecter sur Internet, de publier des photos privées sur les réseaux sociaux, de jouer en ligne et même d'avoir accès à des vidéos ou des images interdites, comme les contenus pornographiques.


Face à ce comportement, « les parents ont perdu le contrôle », constate ce membre « d'Internet Society, Lebanese chapter ». Et pourtant, leurs enfants sont confrontés à trois types de violence, le cybercrime, la cyberviolence et la cyberignorance. « La violence est beaucoup plus facile sur les réseaux sociaux que directement », note M. Bazan. « Un élève peut balancer n'importe quoi sur une personne sur Facebook ou Twitter. Il l'agresse devant 2 milliards de personnes sans risque de répercussion physique. Ce cyberharcèlement est des plus efficaces », estime-t-il, dénonçant le « côté voyeur » de ces actes « qui ne peuvent plus être effacés ».

 

(Lire aussi : « Neknomination » : le jeu de l’alcool devenu acte de bonté)

 

Manque de sommeil, dépression et échec scolaire
Les répercussions négatives de cette réalité sont palpables. « Les élèves, même les plus jeunes, passent un temps fou sur les réseaux sociaux. Ils n'ont plus de limites car leurs parents sont laxistes », constate la psychologue clinicienne scolaire Claudia Abi Harb. Cela se répercute donc sur leur temps de sommeil. « Ils se couchent de plus en plus tard et chattent avec leurs amis sous la couette jusqu'après minuit », ajoute-t-elle. Résultat, « le lendemain, à l'école, ils sont fatigués et affichent un déficit de la concentration et de l'attention. Certains sont même en situation d'échec scolaire », affirme-t-elle. La psychothérapeute ne manque pas de dénoncer les intimidations à travers les réseaux sociaux. « Des groupes d'élèves se liguent contre un élève fragile », constate-t-elle. Ce mode de harcèlement moral et psychologique est un « véritable problème » car il est souvent pratiqué par « des leaders de classe, réfractaires aux sessions de sensibilisation ». « C'est à la victime de savoir gérer l'humiliation », déplore-t-elle. Mme Abi Harb évoque enfin le danger que représentent les prédateurs adultes ou pédophiles sur les réseaux sociaux. Tout cela rend plus difficile la tâche de l'éducateur qui doit désormais jouer un double rôle, le sien et celui de substitut parental.


Pour la psychiatre Jihane Rohayem, le harcèlement à travers les réseaux sociaux, particulièrement sur Facebook, Twitter et WhatsApp, commence généralement « sous forme ludique ou par désir de vengeance ». Il peut être très mal vécu par les enfants car il est lié à l'image du corps, aux défauts ou aux tics. « À tel point qu'il peut provoquer une dépression, accompagnée de baisse des notes, d'isolement et même d'échec scolaire », souligne-t-elle. Les jeunes victimes en arrivent à détester l'école et à refuser de s'y rendre. Certes, le harcèlement qui part de la classe, amplifié sur les réseaux sociaux, est difficile à vivre pour les enfants. Mais « celui qui part des réseaux sociaux est encore plus mal vécu », estime la psychiatre. Son impact est plus fort car il part d'une « image véhiculée rapidement à un public plus large », note-t-elle. Quant au fait de se dénuder pour un ami sur les réseaux, elle observe qu'une telle pratique n'est pas anodine. « Ce sont généralement des personnes fragiles, "borderline", qui cherchent la provocation et des sensations fortes », fait-elle remarquer.


Le Dr Rohayem met également en garde contre le partage de vidéos à l'école par le biais des réseaux sociaux. « Des élèves se sont partagé des images de guerre trop violentes pour eux. Ces images étaient si fortes qu'ils en ont été choqués », observe-t-elle. Elle tient à sensibiliser les parents contre la dépendance de leurs enfants aux jeux en ligne. Une dépendance qui rend l'enfant tyrannique et violent, et qui risque de le mener à l'échec scolaire.


Comportements excessifs ou pas, il n'est pas question d'interdire aux enfants l'accès aux réseaux sociaux qui présentent de nombreux aspects positifs. Mais il s'agit, du moins, de le réglementer. Et ce bien avant l'arrivée sur le marché libanais des lunettes Google qui risquent de créer une nouvelle révolution, avec toutes les conséquences néfastes, mais aussi positives, de cette nouvelle technologie.

Faut-il ou ne faut-il pas avoir son téléphone portable à l'école ? La question, qui est matière à discussion dans bon nombre d'établissements scolaires du pays, débouche sur une problématique plus vaste. À l'ère du libre accès aux technologies numériques, les élèves font-ils bon usage de leur téléphone intelligent et, par le fait même, des réseaux sociaux ?Deux adolescentes ont...

commentaires (2)

Cet outil, parce que ce n'est qu'un foutu outil, est en passe de dénaturer les relations humaines. J'ai vu de mes yeux vu des gens piquer des crises de nerf parce qu'ils avaient cassé ou perdu leur "smart"(sic!) phone...et pas forcément des ados. En tous cas, l'usage excessif des ces trucs là rend les gens idiots. Toujours dans l'instant, jamais de recul pour la réflexion. Sans compter l'incroyable impolitesse de leurs usagers addicts, qui secouent sous votre nez leur dernier Whatsap ou Dieu sait quoi encore. C'est d'un ridicule achevé...je suppose que çà leur donne l'impression d'exister.

GEDEON Christian

11 h 15, le 20 février 2014

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Commentaires (2)

  • Cet outil, parce que ce n'est qu'un foutu outil, est en passe de dénaturer les relations humaines. J'ai vu de mes yeux vu des gens piquer des crises de nerf parce qu'ils avaient cassé ou perdu leur "smart"(sic!) phone...et pas forcément des ados. En tous cas, l'usage excessif des ces trucs là rend les gens idiots. Toujours dans l'instant, jamais de recul pour la réflexion. Sans compter l'incroyable impolitesse de leurs usagers addicts, qui secouent sous votre nez leur dernier Whatsap ou Dieu sait quoi encore. C'est d'un ridicule achevé...je suppose que çà leur donne l'impression d'exister.

    GEDEON Christian

    11 h 15, le 20 février 2014

  • Il nous manquerait en effet que ces lunettes Google qui pourraient faciliter la surveillance mutualisée. Il serait en effet très facile de filmer ou prendre des photos à tout moment -en famille, au travail, une impression gênante d'espionnage généralisée dans les établissements scolaires et un peu partout .

    Sabbagha Antoine

    08 h 30, le 20 février 2014

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