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Rouge de fête

Allons, oubliez un moment que cela fait des années qu'il s'obstine à nous oublier lui-même. Que le bonhomme pansu à la longue barbe blanche se montre scandaleusement radin envers un petit pays qu'en d'autres temps il lui arrivait souvent de choyer : de gâter outre mesure, de pourrir, penseront même d'aucuns.


Oui, plus que jamais il nous faut recommencer à croire au père Noël, et pas seulement parce que nous n'avons pas trop le choix. C'est à un devoir d'espérance – mieux encore à une obligation – que sont tenus tous les fils d'une patrie mille fois envahie et occupée, mille fois fragmentée, et mille fois ressurgie pourtant de ses propres cendres. Faillir à cet impératif serait se résigner, par avance, au pire.


Ce n'est pas à une communauté particulière que se limite cette modeste, et peut-être bien candide, objurgation à la résistance, même si les chrétiens ont toutes les raisons de s'alarmer au spectacle d'un Orient qui se vide régulièrement d'une de ses composantes religieuses les plus anciennes ; d'un Orient où l'on en vient à s'attaquer aux lieux de culte ou à kidnapper des évêques et des nonnes; et jusque d'un Liban où ne cesse de s'effilocher une influence chrétienne qui fut – et qui demeure, il n'y a nulle honte à le rappeler – la raison d'être de ce pays.


Non moins concernés néanmoins sont les musulmans du Liban tragiquement rattrapés, treize siècles plus tard, par le schisme sunnito-chiite, dont les convulsions mettent en péril l'édifice national tout entier. Autant que les chrétiens, les deux branches de l'islam local ont en réalité tout à perdre si le pays, dans sa formule absolument unique, ne devait pas survivre à l'érosion en cours des entités étatiques issues, il y a bientôt un siècle, de l'accord Sykes-Picot : si sunnites et chiites libanais n'étaient plus soudain que les fourgons de queue d'ensembles régionaux nouveaux taillés, de surcroît, au tranchant de l'épée.


Autant sinon plus qu'à mes coreligionnaires, c'est à mes amis musulmans que vont mes vœux de Noël et mes souhaits pour 2014 car sans eux, eux aussi, le Liban ne serait pas le Liban. Aux patriotes musulmans, aux esprits libéraux, il appartient de se dresser avec fermeté et courage contre la folie moyenâgeuse des fanatismes sectaires qui les menace eux aussi, dans leur manière de vivre, dans leur ouverture sur le monde et leur exigence de modernité.


Ce qu'il y a de plus beau dans la Nativité à l'ombre du cèdre, c'est que le sapin traditionnel ne prend pas racine dans les seuls foyers chrétiens ; c'est que de nombreux petits Mohammad ou Hassan attendent impatiemment, eux aussi une fois de plus, l'arrivée du vieillard tout vêtu d'un rouge qui n'est pas de sang et chargé de joujoux. C'est que les chrétiens se délectent, à leur tour, du kellaj de ramadan.
À tout prendre, il n'est pas une ordure : il faut croire au père Noël.

Issa GORAIEB
igor@lorient-lejour.com.lb

Allons, oubliez un moment que cela fait des années qu'il s'obstine à nous oublier lui-même. Que le bonhomme pansu à la longue barbe blanche se montre scandaleusement radin envers un petit pays qu'en d'autres temps il lui arrivait souvent de choyer : de gâter outre mesure, de pourrir, penseront même d'aucuns.
Oui, plus que jamais il nous faut recommencer à croire au père...