Cela était naturellement prévisible. Les deux dossiers brûlants de la guerre syrienne et des rapports de l'Iran avec la communauté internationale, ainsi que les retombées libanaises de ces deux crises ont été au centre de tous les débats – au niveau du volet politique – lors de la sixième édition de la « World Policy Conference » qui s'est tenue ce week-end dans le cadre somptueux de l'hôtel Fairmont, à Monaco. Les 300 personnalités politiques, diplomatiques, académiques, universitaires et du monde des affaires et de la presse qui ont participé à ce forum d'échanges et de discussions multidisciplinaires attendaient avec impatience les deux temps forts de cette conférence, organisée à l'initiative du fondateur et directeur de l'Institut français des relations internationales (IFRI), Thierry de Montbrial (voir L'Orient-Le Jour du vendredi 13 décembre) : un débat avec le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, et une intervention du chef du Quai d'Orsay, Laurent Fabius, au cours du dîner de gala, samedi soir.
Le chef de la diplomatie iranienne a toutefois déçu toutes les attentes en se décommandant à la dernière minute, en raison du fait, selon la version officielle, qu'il avait été contraint de rester à Téhéran au chevet de sa mère, admise d'urgence à l'hôpital. S'agissait-il d'un prétexte qui cacherait une certaine réticence à s'aventurer à jouer le jeu d'un débat ouvert, en présence de personnalités arabes, israéliennes et occidentales ? On chuchotait en effet dans les couloirs des salles de conférences où se déroulaient les séances de travail de la « World Policy Conference » que l'équipe du président Hassan Rohani est soumise à des pressions de la part du courant radical iranien (en l'occurrence les pasdaran) qui ne cache plus sa nervosité face à l'accord de Genève. Face à ces tiraillements internes, il devient compréhensible que le chef de la diplomatie iranienne a sans doute voulu éviter le terrain glissant d'un débat public « à l'occidentale ».
Il reste que M. Zarif a tenu à se faire représenter par l'ambassadeur d'Iran à Paris et Monaco, Ali Ahani, qu'il a chargé de transmettre aux congressistes un message écrit de sa part, lu par l'ambassadeur. Dans son message, M. Zarif a mis l'accent sur la nécessité d'« ouvrir une nouvelle page dans les relations entre l'Iran et l'Occident », soulignant que l'élection de Rohani à la présidence de la République iranienne a donné le coup d'envoi d'une « nouvelle période de dialogue et d'ouverture entre l'Iran et les pays occidentaux sur base de l'équité afin de bâtir la paix dans la région ». M. Zarif a insisté dans ce cadre sur l'importance primordiale du rétablissement de la confiance entre l'Iran et l'Occident.
Après la lecture de ce message, l'ambassadeur Ahani est intervenu à la deuxième séance plénière consacrée, précisément, au thème de « l'intégration de l'Iran dans la communauté internationale ». Évoquant le système de « démocratie religieuse » (?) en vigueur en Iran, M. Ahani a affirmé que l'élection de Hassan Rohani au premier tour a été une « surprise ». Reconnaissant que l'accord transitoire sur le nucléaire conclu à Genève fait face à « une opposition en Iran », l'ambassadeur a admis par la même occasion que le président Rohani et M. Zarif « sont soumis à des pressions de la part de ceux qui n'ont pas confiance dans les États-Unis ». « Si l'accord de Genève est appliqué, a-t-il souligné, nous pourrons alors apaiser les opposants. » D'où l'importance, selon lui, du facteur de la confiance mutuelle qui ne pourrait être rétablie que si l'accord de Genève est appliqué.
Le Hezbollah et l'Arabie saoudite
Abordant ensuite le cas du Liban, et plus particulièrement du Hezbollah, M. Ahani a estimé que « le Hezbollah doit être respecté et il faut prendre en considération son poids et son rôle, d'autant qu'il a prouvé son efficacité dans la défense du Liban ». À une question de L'Orient-Le Jour portant, par ailleurs, sur l'attaque frontale lancée par le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, contre l'Arabie saoudite alors que trois jours auparavant M. Zarif se déclarait favorable à l'ouverture d'une nouvelle page dans les rapports avec les pays du Golfe, dont notamment l'Arabie saoudite, l'ambassadeur d'Iran a répondu : « Vous savez, le Hezbollah est un parti qui a son autonomie. » (sic !). Interrogé d'autre part sur le rôle stabilisateur que l'Iran pourrait jouer dans la région, notamment au Liban, en Syrie et en Irak, M. Ahani a fourni une réponse lourde de conséquences : « Nous serons disposés à aider au plan régional lorsqu'on aura avancé suffisamment sur le dossier nucléaire et lorsque la confiance aura été rétablie. »
L'analyse de Fabius
Le deuxième temps fort de la conférence de Monaco aura été l'intervention du chef du Quai d'Orsay, Laurent Fabius, lors du dîner de gala offert samedi soir à l'hôtel Fairmont. M. Fabius a notamment déterminé les grands dossiers auxquels il accordera la priorité au cours de la prochaine année. Il a fixé en tête de son agenda la Libye, précisant que ce pays sera sans doute prochainement la cible prioritaire du terrorisme international. Vient ensuite évidemment le dossier de la Syrie et de la conférence de Genève 2 (ou plutôt de Montreux) dont l'objectif, a-t-il précisé, est de « mettre en place un gouvernement de transition doté de tous les pouvoirs exécutifs ». Il s'est montré quelque peu pessimiste quant aux perspectives de solution sur ce plan, soulignant qu'il voyait mal comment Bachar el-Assad pourrait envoyer des émissaires à cette conférence pour discuter des modalités d'un transfert du pouvoir. « Du côté de l'opposition modérée, que la France soutient, elle fait face à des difficultés », a ajouté M. Fabius qui a exprimé dans ce cadre son inquiétude quant aux retombées d'une impasse syrienne sur le Liban, rappelant à ce sujet que ce pays accueille plus d'un million de réfugiés syriens.
Troisième priorité dans l'agenda de M. Fabius : l'Iran. La question qui se pose, a-t-il relevé, est la suivante : « L'Iran a-t-elle accepté de renoncer à la perspective d'avoir l'arme nucléaire ou a-t-elle accepté simplement de suspendre son programme nucléaire ? Dans le premier cas de figure, il sera possible d'aboutir à un accord définitif. Dans le second cas de figure, il faudra s'attendre à des réactions de la part des pays voisins de l'Iran. »
Quatrième priorité : le dossier des négociations israélo-palestiniennes. La question qui se pose à cet égard, indique M. Fabius, est de savoir si les leaders des deux parties seront en mesure de présenter à leurs peuples un accord définitif.
Un monde « zéro polaire »
« J'ajouterai un autre point à mes priorités, a enchaîné le chef du Quai d'Orsay, à savoir la dégradation due au problème climatique. Les chercheurs disent que nous courrons droit vers l'abîme. La situation est tellement sérieuse sur ce plan que l'on risque d'être confronté à des problèmes d'ordre climatique particulièrement graves. »
Se livrant ensuite à une analyse macropolitique de la conjoncture internationale, M. Fabius a souligné qu'après le système bipolaire régi pendant de nombreuses années par les États-Unis et l'Union soviétique, le monde a connu une courte phase de système politique monopolaire, dû à la prééminence des États-Unis. « Je souhaite qu'on arrive à un monde multipolaire, a-t-il souligné, mais aujourd'hui, le monde est zéro polaire. D'où le blocage au niveau de l'ONU et l'impuissance à régler le conflit syrien. Le président Obama dit aujourd'hui qu'il veut axer ses efforts sur l'Asie et sur le dossier israélo-palestinien et qu'il ne veut pas s'impliquer dans chaque conflit. Le résultat est que nous nous trouvons face à un vide, d'où le fait que la Russie a effectué un » come-back « dans la région (du Moyen-Orient). Mais pour qu'elle puisse jouer un rôle, encore faut-il que la Russie aboutisse à un équilibre budgétaire et pour qu'un tel objectif budgétaire soit atteint, le baril de pétrole doit être à 114 dollars. »
La situation présente au Moyen-Orient étant ce qu'elle est présentement, et face aux enjeux existentiels et historiques qui se posent dans plusieurs pays de la région, ce dossier a fait l'objet tout au long de la conférence d'une séance plénière spéciale et de débats dont l'intérêt particulier se reflétait dans la qualité et l'importance des intervenants arabes, israéliens et occidentaux.
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commentaires (11)
DE COMBIEN DE KILOS ???
LA LIBRE EXPRESSION
19 h 28, le 16 décembre 2013