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Nos Lecteurs ont la Parole - Émile HOKAYEM

Une opportunité rare pour les rivaux régionaux de Téhéran

Alors que les ministres des Affaires étrangères se félicitaient à Genève, un sens de désarroi et d'abandon s'est abattu sur les capitales du Golfe. Les réactions initiales vont de la panique basée sur des théories conspirationnistes de certains commentateurs politiques au silence de l'Arabie saoudite et un accueil réservé des Émirats arabes unis.
Aux États-Unis où l'attention était concentrée sur un rapprochement avec Téhéran, certains écartaient d'un revers de la main ces objections avec un dédaigneux « et alors ? ... »
Mais ce serait une erreur d'ignorer les inquiétudes des pays du Golfe. Ils ne peuvent peut-être pas s'opposer à un accord nucléaire, mais ils demeurent cruciaux pour tout nouvel arrangement sécuritaire.
En fait, l'accord du 24 novembre représente un net avantage sur le plan sécuritaire. Cela rallonge le calendrier nucléaire de l'Iran, préparant par le fait même le terrain pour un accord final exhaustif.
Les responsables du Golfe se plaignent que l'accord ne prend pas en considération le comportement menaçant de l'Iran. Cela est injuste car la sécurité régionale n'a jamais figuré sur l'agenda à Genève. Mais c'est aussi bienvenu. Le format de la conférence de Genève n'était simplement pas approprié pour de telles discussions. Les États du Golfe devraient exiger d'être directement impliqués dans les discussions sur la sécurité régionale plutôt que de charger les autres d'en discuter à leur place.
Les inquiétudes des pays du Golfe a l'égard de l'Iran ne sont pas sans fondements. Le programme nucléaire s'accéléra sous la présidence du pragmatique Akbar Ali Rafsandjani et du réformiste Mohammad Khatami. Les responsables du Golfe qui ont travaillé avec les deux dirigeants se sont sentis floués. Le dur Mahmoud Ahmadinejad représentait une plus fidèle expression de l'esprit de la République islamique. Le président Hassan Rohani a des chances de mieux réussir, tant à Téhéran qu'avec les États du Golfe, en raison de ses connexions à l'intérieur de son pays et de son récent succès diplomatique.
Une autre source d'inquiétude contestable pour les pays du Golfe est que le cœur, l'esprit et peut-être même le portefeuille des Occidentaux sont à Téhéran plutôt que dans les capitales du Golfe. À la première occasion, les Occidentaux accourront au Nord et transformeront l'Iran en un partenaire stratégique à leurs dépens.
Une inquiétude plus pressante encore est que l'accord du 24 novembre pave la voie à un accord sécuritaire régional qui subordonnerait les intérêts du Golfe à ceux de l'Iran. Déjà certains suspectent que Washington a fait des promesses à l'Iran durant des discussions secrètes tenues à Oman. Est-ce qu'un président américain qui cherche à se détourner du Moyen-Orient excusera le comportement de Téhéran et ses provocations afin de protéger son seul succès diplomatique ?
Aux yeux du Golfe, Barack Obama s'est montré naïf sur le dossier iranien (ainsi que sur l'Égypte) et cynique sur le dossier syrien. Le problème est que le Golfe considère que la politique américaine s'est arrêtée sur un accord avec l'Iran, anticipant que cela aiderait M. Rohani à réorienter la politique iranienne.
Considérons la Syrie. Une frappe militaire contre le régime d'Assad aurait mis en danger la diplomatie secrète d'Obama. Le fait qu'elle n'ait pas eu lieu a maintenu sur les rails les négociations avec l'Iran. Une théorie conspirationniste paranoïaque ? Non, d'après certains analystes politiques du Golfe.
Aucun dossier ne déterminera la balance stratégique régionale plus que le dossier syrien. Les pays du Golfe, menés par l'Arabie saoudite, cherchent à renverser Bachar el-Assad. Cependant, une victoire des forces de l'opposition n'est guère prévisible dans les circonstances actuelles. Alors que les pays du Golfe donnent des armes et de l'argent, l'Iran offre au régime d'Assad une expérience, une expertise et une patience stratégiques qui ont très bien marché sur d'autres champs de bataille.
En réponse, les États du Golfe doivent réfléchir politiquement. L'accord nucléaire a pour objectif de renforcer la main de M. Rohani contre l'aile dure qui mène la politique iranienne en Syrie. Par conséquent, au lieu de résister à une participation iranienne à la conférence de Genève prévue en janvier, les États du Golfe devraient affirmer explicitement que le test de crédibilité de M. Rohani et par extension celui des États-Unis repose sur l'acceptation inconditionnelle par l'Iran de la déclaration de Genève de juin 2012 qui précise le mécanisme de transition d'un transfert de pouvoir par Assad.
Faire des déclarations intempestives sur la définition d'une politique étrangère autonome qui s'est bruyamment manifesté à cet égard manque d'options, d'alliés et d'expérience pour mener une campagne totale, coûteuse et risquée visant à maintenir la pression sur l'Iran.
Même maladroits, les États-Unis demeurent le seul garant viable de la sécurité des États du Golfe. Les protestations et les menaces futiles les rendent moins sûrs d'eux-mêmes qu'ils ne le devraient. Ils devraient plutôt se concentrer maintenant à influer sur l'accord final qui se dessine en élargissant ses objectifs afin d'y inclure un agenda sécuritaire clair pour la région.
Cela veut dire réfléchir à ce que des relations normales avec un Iran normalisé devraient être tant au niveau des bases militaires étrangères, des arrangements maritimes, qu'aux projets économiques et d'infrastructure conjoints. Oman, Qatar et même les Émirats arabes unis peuvent faciliter la tâche.
Les pays du Golfe ont internationalisé leur sécurité avec succès, gagnant de l'influence et des alliés. Il est temps de déployer ces deux atouts de manière mûre et judicieuse.

Émile HOKAYEM
Senior fellow for Middle East Security
à l'International Institute for Strategic Studies

(Publié dans le « Financial Times » le 26 novembre 2013 –  traduit de l'anglais par Jihad Mouracadeh)

Alors que les ministres des Affaires étrangères se félicitaient à Genève, un sens de désarroi et d'abandon s'est abattu sur les capitales du Golfe. Les réactions initiales vont de la panique basée sur des théories conspirationnistes de certains commentateurs politiques au silence de l'Arabie saoudite et un accueil réservé des Émirats arabes unis.Aux États-Unis où l'attention était...
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