Il faudra sans doute du temps pour que le tableau autour de l’action de cheikh el-Assir et de son groupe armé, ainsi que de ses protecteurs arabes et autres, soit complété. Depuis lundi, les services compétents au sein de l’armée et des autres institutions de l’État, notamment la justice, s’emploient à découvrir les zones encore obscures pour avoir une vision complète de ce qui se préparait pour le Liban à travers ce cheikh. Mais de l’avis général, il s’agissait d’un plan de déstabilisation généralisée, à travers le déclenchement d’une discorde entre les sunnites et les chiites. Une source sécuritaire précise à cet égard que la dernière conférence des Amis de la Syrie à Doha a donné en quelque sorte le signal d’une action décisive, qui se préparait depuis des mois, dans le but d’entraîner le Hezbollah dans des conflits internes et de l’isoler sur la scène locale et internationale. Il fallait surtout lui faire payer le prix de la bataille de Qousseir qui a largement contribué à renverser les rapports de force entre les troupes du régime syrien et celles de l’opposition.
Dans ce cadre, cheikh el-Assir avait adressé un ultimatum pour évacuer les appartements occupés par des membres du Hezbollah à Abra depuis le début des années 90, menaçant de lancer un vaste mouvement pour les évacuer de force lundi, si rien n’était fait d’ici là. Après ce coup de force, cheikh el-Assir planifiait d’ouvrir un front entre Abra et Haret Saïda, entravant ainsi les déplacements des partisans du Hezbollah et des chiites en général, en aiguisant les dissensions confessionnelles. D’ailleurs, deux semaines auparavant, il avait fait un premier test dans le secteur en déployant ses hommes en un temps record et en étudiant les failles éventuelles de son plan d’attaque des appartements. L’élément marquant de cette « avant-première » était le déploiement simultané de membres de la Jamaa islamiya et du courant du Futur à Saïda, comme s’il s’agissait de mobiliser l’ensemble de la ville, au même moment que l’attaque des appartements, pour lancer l’étincelle d’un embrasement généralisé comme en 1975. Le Hezbollah et Amal avaient aussitôt saisi le message et compris la gravité de la situation. Ils ont alerté les autorités, qui étaient déjà d’ailleurs mobilisées. Wafic Safa et Ahmad Baalbacki se sont même rendus chez le commandant en chef de l’armée, le général Jean Kahwagi, pour en discuter avec lui et il a été convenu que les groupes chiites devraient rester à l’écart et n’entreprendre aucune action, ou réaction, sur le terrain.
Des contacts ont d’ailleurs été aussitôt entrepris par certaines parties politiques et certains responsables avec cheikh el-Assir pour essayer de le calmer et ce dernier a annoncé le report de cette action, d’autant, avaient dit ses adjoints, que certains membres de sa famille devaient passer les épreuves du brevet lundi. Le week-end s’annonçait donc calme et les habitants de Saïda et de Abra ont fait des programmes dominicaux. Mais cheikh el-Assir bluffait. Dimanche, voulant prendre de court l’armée, il a donné l’ordre à ses hommes d’attaquer de sang-froid le barrage militaire, faisant quatre martyrs parmi eux et déclenchant la riposte de la troupe. Cheikh el-Assir a d’ailleurs été surpris par la contre- offensive, car il croyait que l’armée n’était pas préparée à l’affrontement à cause de l’annonce du report de son mouvement. Les soldats se sont donc battus avec courage et méthode et les commandos ont été envoyés sur place en renforts.
Voyant que le plan ne fonctionnait pas comme prévu, cheikh el-Assir a appelé à l’aide les ulémas salafistes de Tripoli, lesquels, cheikh Salem Raféi en tête, ont aussitôt pris le chemin de Saïda pour tenter une médiation. Ils ont d’ailleurs rencontré des responsables militaires à Saïda proposant un cessez-le feu. Ce qui aurait signifié la consécration des lignes de démarcation et un coup porté au prestige de l’armée. Celle-ci a donc opposé une fin de non-recevoir, poursuivant sa riposte contre ses agresseurs. Cheikh el-Assir a alors sollicité l’aide des groupes palestiniens extrémistes installés dans le camp de Aïn el-Héloué, notamment Jund al-Cham et Osbat al-Ansar. Ceux-ci ont d’ailleurs répondu à l’appel, tentant d’occuper l’armée par l’ouverture d’un front à Taamir (quartier limitrophe de Aïn el-Héloué). L’armée a réagi, répondant aux sources de tirs. Les responsables locaux du Hamas ont alors tenté d’obtenir la conclusion d’un cessez-le-feu, mais là aussi l’armée a totalement refusé, poursuivant sa riposte. C’est alors que le chef du bureau politique du Hamas Khaled Mechaal et le chef de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas sont intervenus et ont contacté le président de la Chambre Nabih Berry pour l’informer que les Palestiniens n’interviendront pas dans les conflits libanais. Les groupes palestiniens salafistes se sont retirés et l’armée a poursuivi son opération contre el- Assir et ses hommes, parvenant en moins de 48 heures à contrôler son QG.
Avec savoir-faire et bravoure, l’armée a donc réussi à mettre un terme à l’aventure de celui que certains milieux appellent « le cheikh de la discorde » et qui pourtant se préparait depuis plus de deux ans à ce moment, recevant régulièrement des fonds et des armes, dont des fusils de francs-tireurs sophistiqués en provenance d’Australie, qui lui ont été envoyés par les rebelles syriens.
Un jour, sans doute, tous les détails de cet épisode seront dévoilés, mais en attendant, il est certain que le plan visant à susciter une discorde confessionnelle au Liban entre les sunnites et les chiites a reçu un coup. Toutefois, les milieux proches du Hezbollah estiment qu’il n’est pas mort pour autant. Ils restent donc vigilants, d’autant que certaines rumeurs parlent désormais d’un projet de provoquer des incidents entre Tarik Jdidé et les camps de Sabra et Chatila d’un côté et la banlieue sud de l’autre. Intox ou non, la crainte existe...
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Cet « éclairage » lumineux vous est proposé par Fatima Gül, génératrice flottante de ténèbres en tous genres.
Jack Hakim
00 h 21, le 28 juin 2013